Qui mésinterprète, qui sous-interprète ? Mise en scène du « tiers observateur » dans les fictions de double : trouble dans l’interprétation
« Mes yeux, en soi, ne sauraient ce qu’ils voyaient, privés du secours d’une vision étrangère. […] En effet, chaque fois qu’il nous arrive de voir une chose que nous supposons être les premiers à découvrir, ne courons-nous pas appeler quelqu’un, afin qu’il la voie aussi avec nous ? […] Nos yeux doutent d’eux-mêmes, tant que les autres ne nous ont pas aidés à établir en nous la réalité de ce que nous voyons{{Luigi Pirandello, Un, personne et cent mille, Paris, France, Gallimard, L’imaginaire, n˚ 103, 1982, p. 177.}} ».
Au cinéma, la figure du personnage double remet en question les lois d’identification qui consistent à identifier un personnage à travers une seule identité{{Lubomir Dolezel, « Le Triangle du Double », Poétique, 1985, no 64, pp. 463-472.}} ; le même est l’autre. Quelque chose se trouve dérèglé. La notion d’identification traditionnelle, qui consiste à considérer un seul acteur pour un rôle précis, se trouve mise à mal. Un acteur n’incarne plus un seul et unique personnage, mais peut endosser plusieurs identités. Jean-Louis Leutrat, dans son ouvrage Vie de Fantômes, répertorie, sous l’entrée « Double{{Jean-Louis Leutrat, Vie des fantômes : le fantastique au cinéma, Paris, France, Cahiers du cinéma, 1995.}} », ces différentes combinaisons : un acteur peut incarner deux personnages physiquement semblables au sein du même film (Faux-semblants, David Cronenberg, 1988) ou deux personnages différents (La Vie d’un honnête homme, Sacha Guitry, 1953). Deux acteurs distincts peuvent également, incarner un seul et même personnage, tour à tour (Cet Obscur objet du désir, Luis Buñuel, 1977) ou simultanément (Fight Club, David Fincher, 1999). Cette typologie nous permet d’envisager deux axes d’analyses précis : axe 1/un acteur pour deux rôles différents, axe 2/deux acteurs pour un seul et même rôle.
Cette double identification peut également laisser planer un sentiment grotesque face à une multiplication de personnages similaires, ou d’inquiétante étrangeté teintée d’incertitude et de perplexité face à un personnage aux multiples facettes, selon la tonalité du film mais également selon le degré de savoir du spectateur, ayant accès, ou non, à la dimension « double » de l’un des personnages (axe 1) ; ce savoir constituant un terrain propice aux quiproquos et aux malentendus. Dans ce cas, un certain nombre de signes sont mis en avant, à travers la mise en scène, afin de signifier explicitement qu’il s’agit d’un personnage à l’identité double, et afin de s’assurer que le spectateur ne se trompe pas quant à cette identité. Aucune marge d’erreur n’est alors possible en termes d’interprétation ; le spectateur dispose effectivement de tous les éléments pour comprendre ces jeux de duperie, et peut alors se plaire à admirer ces allers-retours entre différents personnages, à l’image d’un spectateur de théâtre observant les entrées et sorties de scène de personnages ayant échangé leurs identités, notamment dans les pièces de Marivaux, comme l’Ile aux esclaves, tandis que les autres personnages en scène, eux, mésinterprètent. Un premier terme apparaît ici : celui de la mésinterprétation, compris comme une réception erronée, due notamment à un manque d’information certain. Le spectateur, ayant, lui, accès à toutes les informations nécessaires pour saisir la dualité du personnage, peut précisément se complaire dans cette situation, en observant les autres personnages en scène qui vagabondent et se leurrent, ne disposant pas, de leurs côtés, de justes informations, et condamnés à mésinterpréter.
À l’inverse, certaines fictions de doubles (axe 2), et notamment les fictions de double en « trompe-l’œil{{Aurélie Ledoux, L’Ombre d’un doute : Le cinéma américain contemporain et ses trompe-l’œil, Rennes, PU Rennes, 2012. }} » portées par le cinéma américain des années 1990, sont entendues comme des fictions qui, par le biais de ressorts spécifiquement cinématographiques, jouent sur le caractère duel de leurs personnages. Celles-ci se jouent de cette dualité afin de maintenir le spectateur dans une posture de « sous-interprétation » dans la mesure où celui-ci n’accède à la dualité du personnage qu’en fin de film, à la suite d’un twist ou retournement de situation : ce qui lui avait été présenté comme « réalité » au niveau diégétique est ensuite déconstruit par effet de relecture, partiel ou total, et crée une double temporalité : illusion-désillusion. L’enjeu du film se loge ici dans la duperie du spectateur qui se trouve avoir été piégé par une assomption erronée de la réalité{{Le précédent article précise que les films en trompe-l’œil doivent posséder au moins les caractéristiques suivantes : « assomption erronée de réalité, double temporalité, piège pour le spectateur, illusion qui implique les conditions de sa réception, le trompe-l’œil devra donc constituer au moins en partie le 'thrill' du film » (p. 30) }}. Ces fictions de double en « trompe-l’œil » sont le plus souvent liées à une forme de double « intrapsychique{{Lihi Nagler, « Singling out the Double: Objectivity, Subjectivity and Alterity in Kieslowski’s the Double Life of Veronique », Post Script, 22 juin 2003, vol. 22, no 3, p. 8. }} » : deux personnages a priori distincts s’avèrent finalement n’être qu’un seul et même personnage, ou bien l’un des deux est la création psychique de l’autre. Cette fois, le spectateur dispose bel et bien d’une marge d’erreur. Il ne s’agit plus du même plaisir, lié à un degré de savoir supérieur aux personnages. Au contraire, plongé dans la subjectivité d’un seul personnage qui se trouve être double, il n’a plus accès aux éléments lui permettant d’interpréter de façon juste ou correcte la fiction qui se déroule sous ses yeux. Celle-ci est agrémentée d’un subtil jeu de mise en scène qui consiste à mettre de côté certains éléments relégués en un hors cadre ou un hors scène, permettant de masquer tout au long du film l’identité « double » du personnage, et, a fortiori, dans le cas de double intrapsychique, sa dimension irréelle et fantasmatique. La mise en scène en « trompe-l’œil » vient ainsi garantir ou « protéger » cette construction sous le sceau de l’illusion puis de la désillusion, et maintenir l’interprétation biaisée que peut se constituer le spectateur.
En conséquence, la question de l’interprétation est ici étudiée dans trois de ses dimensions : d’une part, l’interprétation d’un acteur et ses différents rôles, potentiellement double, d’autre part, l’interprétation que peut avoir un personnage de la diégèse, par rapport à ce protagoniste double aux identités multiples, et enfin, l’interprétation entendue comme réception du spectateur de différents codes, dans le cadre d’un cinéma narratif, lui permettant de forger une histoire à partir d’éléments inscrits dans la diégèse. Ces trois formes d’interprétation sont liées. La mise à mal de l’identification/interprétation d’acteur peut ainsi mettre à mal l’interprétation/réception du spectateur, le personnage principal de ces fictions de double étant vecteur de quiproquos, de malentendus et de mésinterprétations.
Cet article propose d’observer plus particulièrement le rôle charnière d’un personnage, que l’on nommera « tiers-observateur » ; personnage tiers –différent du personnage principal et son double, il entre en contact, à un moment de la diégèse, avec le personnage double et se trouve perturbé par ces différentes strates d’identités. Quelque chose est déréglé. Mais de quoi s’agit-il ? Le tiers-observateur se porte témoin des jeux d’illusions et de duperie du personnage-double, tout en faisant écho à la posture du spectateur ; il peut cristalliser ses interrogations quant à l’identité du personnage double.
Qui mésinterprète, qui sous-interprète ? Qui ne dispose pas de suffisamment d’éléments permettant de forger une interprétation juste : le tiers observateur, le spectateur, ou les deux ?
Quelles mises en scènes favorisent ou maintiennent ce « trouble dans l’interprétation » ?
L’analyse de deux séquences permettra de mettre en lumière ces deux tendances. Le premier temps de notre analyse correspond au premier axe : un acteur pour deux rôles différents. Dans l’adaptation du conte de Goethe par René Clair, La Beauté du diable, (1950) Michel Simon{{« Son goût de prédilection pour les doubles, voire les triples rôles (Cavalcade d’amour) et les « rôles-doubles » dont parlait François Truffaut. », Gwenaëlle Le Gras, Michel Simon, l’art de la disgrâce, Scope Eds, 2010, p. 54. }} incarne tout d’abord un professeur d’université désenchanté, au soir de sa vie, souhaitant retrouver la vigueur de ses jeunes années, puis, à la suite d’un pacte avec le diable, un Méphistophélès vif et sans scrupule (cf. axe 1). Cet acte surnaturel permet un retournement de situation et offre un large panel d’interprétation pour l’acteur Michel Simon, qui se trouve jouer successivement un type de personnage puis sa version opposée. Il échange son rôle précédent avec l’acteur Gérard Philippe qui incarne, à son tour, l’universitaire déçu dans le corps d’un jeune homme vigoureux mais sans le sou. Ici, le tiers observateur se trouve être le majordome, témoin des changements brusques de son maitre, qu’il ne reconnait plus ; il mésinterprète, et le spectateur en rit.
À l’inverse, la seconde analyse met en lumière les ressorts esthétiques et les « rétentions spectatorielles » à l’œuvre dans l’une des plus célèbres fictions de double en trompe-l’œil : Fight Club, de David Fincher (1999). Edward Norton puis Brad Pitt incarnent simultanément un seul et même personnage, Tyler Durden (cf. axe 2), et dont la double identité n’est révélée au spectateur qu’en fin de film. Ici, le tiers-observateur se trouve être Marla Singer, amie puis, en définitive, petite amie du personnage de Tyler, qui suit de près les comportements impulsifs du personnage. Cette fois, le tiers-observateur comme le spectateur ne rient plus ; ils se trouvent tous les deux perplexes face au personnage double. Nous analyserons les éléments de narration comme le jeu de cadrage, qui permettent d’éviter une confrontation frontale entre les deux versions de Tyler Durden ; l’illusion se trouve alors « préservée » et le spectateur tout comme le tiers-observateur expérimentent ce « trouble dans l’interprétation ». Quelque chose semble échapper à l’interprétation, quelque chose se trouve déréglé et demeure énigmatique jusqu’au retournement de situation final.
Quiproquos et dérèglements comiques provoqués par le Tiers-observateur : La Beauté du diable, René Clair, 1950.
La Beauté du diable s’ouvre sur une séquence accompagnée d’une musique aux notes intrigantes qui présente la chambre du professeur Faust, encombrée d’instruments servant à ses expérimentations. Un travelling arrière vient dévoiler progressivement ces outils de recherche, suivi d’un second plan sur une pile de vieux grimoires, révélée par un second travelling arrière qui laisse apparaitre sur le bord droit du cadre un premier personnage. Il ne s’agit pas du professeur Faust, mais bien du tiers-observateur en question dans ce film : son majordome. La caméra s’éloigne tout en accompagnant ses mouvements et en révélant une certaine lassitude. Il balaie la pièce, souffle sur un des livres posés sur le bureau central, se remet à balayer mécaniquement et avance vers l’avant, tandis que le cadre ne bouge plus. Son regard croise un objet hors champ, sur le sol ; un livre poussiéreux. Le majordome l’ouvre. Un insert du livre dévoile une figure diabolique. Le majordome, effrayé, sursaute. D’entrée de jeu, ce n’est donc pas le personnage de Faust qui est introduit au spectateur, mais celui du majordome, qui sera témoin des métamorphoses de ce dernier. La figure du majordome tient une place particulière dans les fictions de double ; il s’agit d’une personne particulièrement proche du personnage à l’identité duelle, ayant donc accès à une certaine intimité, et à un certain nombre d’informations imperceptibles dans une sphère plus sociale. Gardien de la sphère intérieure, il connaît et perçoit le personnage sous ses différents aspects. En ce sens, cette première séquence peut s’apparenter à une « séquence-emblème », équivalent de ce que serait un plan emblème{{Noël Burch, La Lucarne de l’infini : naissance du langage cinématographique, Paris, France, l’Harmattan, 2007. }}, dans la période muette du cinéma (N. Burch), permettant au spectateur d’identifier un personnage et le rôle qu’il est destiné à jouer tout au long du film. Cette séquence permet au spectateur d’identifier le personnage du majordome, et de comprendre rapidement le lien que celui-ci va avoir, tout au long de la diégèse, se faisant témoin du changement de personnalité de son maître. Rapidement, un décalage flagrant entre les deux personnages alimente une atmosphère comique : le professeur se trouve progressivement hanté par la voix de Méphistophélès qui vient lui rendre visite et s'immisce petit à petit dans son quotidien. Une première séquence de rencontre entre les deux personnages, Faust et Méphistophélès, du moins, sa voix, intervient à quelques minutes du début du film. Seul dans sa chambre, celui-ci entend une voix venue de l’au-delà : « je m’introduis dans ta maison » lui dit-elle. Michel Simon, acteur adepte des doubles rôles, joue alors un Faust apeuré, effrayé, cherchant à éloigner ce mauvais esprit : « et si je t’appelais ? — je viendrais aussitôt ». Trois coups retentissent. Le professeur prend peur : « non, je ne t’ai pas appelé, je n’ai rien dit ». Les trois coups retentissent à nouveau. La caméra suit Michel Simon qui s’approche de la porte, sur le bord latéral droit. Effrayé, hésitant, il reste pétrifié devant la porte. Une main apparaît de l’autre côté, et dévoile progressivement une ombre sur le bord opposé : « l’heure n’est pas venue, encore », se lamente Faust, craignant de voir arriver le diable, tandis que la silhouette du majordome entre dans la lumière : « mais si, monsieur, c’est l’heure », tout en lui montrant la porte, « le dîner est servi ». Ce contraste entre les deux personnages ne percevant pas la réalité de la même façon, en raison de la posture perturbée de l’un et de l’indifférence ou plutôt, de l’ignorance de l’autre, crée une situation éminemment comique, que l’on retrouve tout au long du film. La phrase de Faust s’adressant à Méphistophélès vient parfaitement coïncider avec la situation prosaïque dans laquelle se trouve le majordome, où l’une semble faire écho à l’autre. Cela renforce le comique de situation à l’œuvre, dans ce cas. De plus, le paradigme est ici renversé ; le majordome, en dépit de sa proximité avec le personnage, ne joue pas son rôle de confident, comme cela peut être notamment le cas des diverses nourrices dans les pièces de Marivaux{{ On peut noter notamment ce procédé, dans Le Jeu de l’amour et du hasard (1730). }}. Au contraire, il n’a nullement accès à cette étrangeté qui traverse le personnage principal. Il ne comprend pas la métamorphose qui est sur le point de s’opérer entre Faust et Méphistophélès. Le spectateur, à l’inverse, se délecte de ces décalages et rit de ce tiers-observateur voué à une interprétation erronée. La scène qui suit occupe une double fonction, d’exposition : présenter le professeur dans son environnement quotidien, dans sa salle à manger, et de situation : montrer son état de désespoir et son appétit maigre, mais également poursuivre ce quiproquo, amorcé dans la scène de la chambre. Le majordome s’étonne de ce maigre appétit, il le questionne. À travers le même procédé de double énonciation, le majordome s’adresse à Faust, qui lui répond et, immédiatement après, répond à la réplique de Méphistophélès qui se poursuit dans sa tête, en hors-champ, à voix haute : « Tu n’as faim que de science ! — Oh, tais-toi. — Mais je n’ai rien dit, monsieur le professeur. » Mais cette scène semble être une nouvelle « scène-emblème », qui va permettre au spectateur de suivre la métamorphose de Michel Simon, d’un personnage à un autre, et d’en renforcer la dimension comique. On retrouve effectivement quasiment la même séquence, une vingtaine de minutes plus tard, après que l’échange d’identité a eu lieu entre Faust et Méphistophélès –dans une scène mythique où la voix des deux acteurs s’interchange, tandis que leurs visages s’entremêlent, dans un gros plan de miroir enflammé qui laisse apparaître le visage de Gérard Philippe (devenant Faust, jeune) sur celui de Michel Simon (devenu Méphistophélès). Un fois de plus, le majordome mésinterprète, n’ayant pas eu accès au changement de corps : il entre dans la chambre, trouve Faust (Gérard Philippe), qui s’exclame : « mais n’ayez pas peur, ce n’est que moi ! ». Il part en courant, criant : « au secours ! ». Enfin, la même séquence du repas se répète. Le majordome lui adresse la même réplique : « le dîner est servi, Monsieur le professeur ». Méphistophélès, sous les traits de Faust, cette fois, est ravi. Il court se mettre à table en sifflant. « –comme monsieur a changé depuis son voyage ! » remarque le majordome. Une fois de plus, le comique de situation et le quiproquo naît de cette double-énonciation ; une possibilité que le changement du professeur soit véritablement dû à son changement d’air, tandis que le spectateur peut aisément sourire face à cette situation absurde, dont il détient, lui, les clefs de la compréhension.[caption id="attachment_3440" align="aligncenter" width="300"] Séquence 1/ Michel Simon en Faust [00 :07 :10/ colonne de gauche][/caption][caption id="attachment_3449" align="aligncenter" width="300"] Michel Simon en Méphistophélès [00 :34 :20/ Colonne de droite][/caption]Les mêmes plans semblent se répéter. Mais une légère différence marque le changement de rôle et l’altération des identités. Les deux scènes ou fragments séquentiels se faisant écho, on peut qualifier ce moment de « montage à distance » ou de « rime visuelle{{Vincent Amiel, Esthétique du montage, Armand Colin., 2014.}} ». Toutefois, la première séquence démarre sur un insert de la table dressée, une assiette garnie, un verre à pied et une carafe, puis un travelling arrière laisse apparaître Michel Simon/Faust en amorce et le majordome face à lui, derrière la table. La seconde, à l’inverse, démarre par un plan de tableau ; Michel Simon/Méphistophélès observe un tableau, une nature morte représentant une table garnie, avant qu’un panoramique ne le montre s’asseyant à la même table, sifflotant. Cette fois, la caméra n’est plus positionnée en amorce, mais située face à Michel Simon. L’angle de vue le montre frontalement, ravi, prêt à dévorer le plat qu’il espère recevoir. On retrouve ensuite un même découpage : insert sur la table dressée suivi d’un plan rapproché du visage de Michel Simon. La même échelle des plans est employée pour les deux séquences, mais l’axe de la caméra est une fois de plus légèrement différent dans les deux cas se rapportant au raccord dans l’axe qui diffère d’une scène à l’autre, sorte d’effet Koulechov. Le même montage ne produit pas le même effet. Et l’acteur, par son jeu de moues, porte la différence entre ces deux séquences. Effectivement, le plan rapproché de Michel Simon, dans les deux séquences, témoigne d’une même surprise, mais qui ne naît pas du même motif. La première fois, il est cadré en plan rapproché poitrine, un chandelier posé à sa gauche, il porte des lunettes et un bonnet. La seconde, le plan est légèrement plus proche. Michel Simon, tête nue, sans lunette et sans chandelier, témoigne de son effroi ; les mets de la nature morte auxquels ils s’attendaient ne se trouvent pas dans son assiette. Le jeu d’acteur de Michel Simon, est plutôt virtuose. L’acteur joue à la fois de son corps (« jeu de cape{{Vincent Amiel, « I. Marlon Brando, et la cape de Balzac », in Christophe Damour (dir.), Jeu d’acteurs : Corps et gestes au cinéma, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, Formes cinématographiques, 2019, pp. 21-26. }} », passant d’un corps assez voûté, de mains tremblantes à un port de tête assez fier et un dynamisme de déplacements) et de son visage (du plissement d’yeux plutôt figé aux inflexions étonnantes de rapidité des expressions faciales) pour matérialiser le changement de personnage incarné{{Cf. « Michel Simon se réinvente un corps pour chaque rôle », Vincent Amiel et José Moure, Histoire vagabonde du cinéma, Paris, France, Vendémiaire, 2020, p. 325. }}. Aussi, d’un point de vue de la forme cinématographique, la deuxième séquence semble traduire le plus grand dynamisme du personnage joué par Michel Simon, avec un raccord-regard sur l’assiette réelle avant de revenir sur lui puis d’effectuer un zoom avant, assez rapide, vers les crustacés illustrés sur le tableau, venant exprimer le désir frustré du protagoniste. Ce zoom avant s’oppose d’une certaine façon au travelling arrière de la première séquence et ces « mouvements d’appareil{{Le Zoom étant ici une modalité particulière de ce qui peut être rassemblé sous le terme : « mouvement de caméra »}} » peuvent alors presque prendre un tour métaphorique ; ils viendraient manifester le double mouvement : décrépitude du professeur âgé, puis énergie débordante mais malveillante de Méphisto. Enfin, le retour de la séquence, selon un jeu de plans et un jeu d’acteur légèrement distinct du précédent, assure ainsi une interprétation juste de la part du spectateur de 1950 : cette fois, cet acteur ne joue pas le même rôle que dans la scène précédente. Avisé, il peut ainsi rire des décalages, quiproquos et mésinterprétations du tiers-observateur, condamné à percevoir une version erronée du personnage, confondant les deux identités en une seule. Mais il n’en va pas de même du spectateur de film à twist des années quatre-vingt-dix.
Sous-interprétation du tiers-observateur comme du spectateur. Manipulations en trompe-l'oeil : Fight Club, David Fincher, 1999.
La fiction en trompe-l’œil qu’est Fight Club propose un tout autre traitement de la figure du tiers-observateur, qui partage, cette fois, la même désorientation que le spectateur face au personnage double. On retrouve tout d’abord une même dichotomie entre les deux facettes du personnage double ; une part pulsionnelle, indomptable et se laissant aller au principe de plaisir, tandis qu’une facette plus commode et acceptée socialement occupe le plus souvent le devant de la scène psychique du personnage. Cette division et opposition est un topos de la figure du double, que l’on trouve aussi bien dans les premiers canons littéraires du double{{Miriam Fernandez-Santiago, « Edgar Allan Poe’s Narrative Use of Literary Doubling », Mediterranean Journal of Social Sciences, janvier 2013, vol. 4. }} que dans le cinéma des premiers temps{{Rae Beth Gordon, « Les galipettes de l’Autre burlesque ou la mécanique corporelle du Double », Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 2010, n° 61, no 2, pp. 128-148. }}. Seulement, ici, cette dimension est accentuée par l’emploi de deux acteurs/protagonistes distincts afin d’incarner les deux parts contradictoires d’un seul et même personnage : Brad Pitt venant incarner cette part fantasmée, qui « vit comme il aimerait vivre …{{Cf. “All the way you wish you could be. That’s me. I like like you want to leave. I talk like you want to talk…” Fight Club, 01 :53 :27 }} » tandis qu’Edward Norton est un sujet qui subit son quotidien morose et sans saveur, et cherche un peu de réconfort dans un cercle de parole dans lequel il fera la rencontre de Marla Singer (Héléna Bonham Carter), jeune femme toute aussi désenchantée mais dynamique. En 1999, lors de la sortie de Fight Club, ce procédé de double instanciation n’est pas nouveau : « Mais cette double instanciation, c’est-à-dire l’incarnation par deux acteurs différents du même personnage, n’est pas nouvelle, et Fight Club rejoint par là un modèle évident : Cet obscur objet du désir de Luis Buñuel (1977). Adaptation du roman de Pierre Louÿs (La Femme et le pantin), le film de Buñuel repose sur l’énigme que représente le personnage féminin, « objet insaisissable » du point de vue du héros{{Aurélie Ledoux, L’ombre d’un doute, op. cit., p. 91.}} ». Toutefois, il est intéressant de noter ici l’inversion qui a lieu par rapport au paradigme habituel, qui consiste à voir, le plus souvent, comme cela est le cas dans le film de Buñuel, mais également dans ce qui pourrait être son spectre originel, Vertigo, d’Hitchcock, un homme follement épris d’une femme, qu’il rêve et fantasme comme étant double, angélique et démoniaque, blonde et brune, sacrée ou profane…Cette fois, la paradigme est inversé : il s’agit de deux versions opposées d’un seul et même homme et, malgré le fait que le spectateur soit plongé dans la subjectivité du personnage principal –avant tout, à travers l’œil de Tyler/Edward Norton, cette opposition se reflète, en miroir, dans les yeux du personnage féminin{{ Cf. Jean Louis Leutrat, « la tradition est tellement forte du dédoublement de la femme face à l’homme, lui-même double », ibid., p. 67.}}. Marla Singer, assiste à ces changements de personnalités brusques du protagoniste double. Elle se trouve ainsi perplexe face à certains comportements qu’elle qualifie d’incompréhensibles. En effet, ici, afin d’éviter de révéler la double personnalité du personnage principal, qui vient justifier, en définitive, la double instanciation, la mise en scène en trompe-l’œil soigne les plans dans lesquels ces trois personnages sont amenés à se rencontrer. Loin de l’évidence du « plan-emblème » proposé par La Beauté du diable, en 1950, l’enjeu est précisément, cette fois, de mettre de côté un certain nombre d’indices qui permettraient au spectateur de prendre conscience du fait qu’il ne s’agit que d’un seul et même personnage. La mise en scène, à travers de subtils jeux d’évitement du cadre, et une certaine « interdiction » de plans doubles au contact du tiers observateur qu’est Marla Singer, permet de maintenir celle-ci, au même titre que le spectateur, dans une forme d’indétermination que l’on peut qualifier de : « sous-interprétation ». Sous-interprétation, dans la mesure où le spectateur est maintenu dans une posture sous-interprétative, ne disposant pas de la totalité des éléments sémantiques, narratifs et esthétiques, qui lui permettraient de se faire une opinion juste sur la réalité de la diégèse. On peut qualifier cette posture comme un degré plus en avant vis-à-vis de la direction de spectateur, proposée notamment à de nombreuses reprises par Hitchcock. Ici, il s’agit non seulement de diriger le spectateur, à travers son émotion, guidé de fausses pistes en mensonges, par un narrateur qui n’est pas fiable (unreliable narrator), mais également d’opérer une rétention d’informations en privilégiant une mise en scène en trompe-l’œil, qui permettra de renverser la réalité diégétique telle qu’elle était présentée jusqu’alors (twist) : ce qui passait pour vrai va finalement être démenti au profit d’une vérité qui avait été mise de côté jusque-là (personnalité double du protagoniste). Si les deux personnages (Tyler/Edward Norton et Tyler/Brad Pitt) apparaissent par moments en plan double{{« Le terme « plan double » est employé ici selon l’acception de Diane Arnaud. Il renvoie au cadrage des deux personnages doubles dans le même plan.}} (jouant notamment sur un changement de focale permettant une bascule progressive du point, de l’un à l’autre), ils n’apparaissent jamais, au sein du film, tous deux dans le même plan que le personnage féminin. Elle se trouve successivement aux côtés de l’un, puis aux côtés de l’autre, mais jamais dans la même pièce, et encore moins dans le même plan. Ce jeu d’évitement du cadre est accentué par le fait que ces trois personnages se rencontrent essentiellement dans une sphère intime, personnifiée par la maison en friche dans laquelle vit Tyler Durden. D’un point de vue de la narration, ce huis clos est justifié de par la marginalité des personnages et leur posture éminemment rebelle. D’un point de vue de la mise en scène, cette disposition permet de légitimer le fait que les trois personnages se meuvent le plus souvent dans un espace clos et dans une sphère intime, comme cela était le cas du personnage du majordome, dans La Beauté du diable. De plus, cette justification est accentuée par le fait que, les deux hommes étant radicalement différents, Marla se trouve tour à tour avec l’un puis l’autre, dans des espaces liés à des enjeux bien différents ; érotisme aux côtés de Tyler/Brad Pitt, partage affectif et amical aux côtés de Tyler/Edward Norton. En conséquence, les trois personnages sont condamnés à ne jamais se croiser, et l’illusion de ce « double intrapsychique » s’en trouve ainsi préservée. Une première séquence présente ce jeu de relais entre les personnages masculins. Après avoir reçu un appel de Marla, Tyler/Edward Norton s’endort. Une séquence de rêves/fantasmes présente les ébats entre Marla et Tyler/Brad Pitt. À son réveil, le premier croise Marla dans sa cuisine : « — tu n’imagines pas le rêve invraisemblable que j’ai fait hier soi ». Elle lui répond : « — tout est invraisemblable à propos d’hier soir… ». Une fois de plus, on assiste au même comique de situation dont il était question dans le film de René Clair, entre le majordome et le personnage principal : les deux personnages font référence à un événement différent, n’ayant pas conscience de cette différence mutuelle, tandis que le spectateur, lui, ayant eu accès aux différentes réalités proposées dans des fragments différents, peut se rire de cette situation décalée. Toutefois, ici, on note une différence fondamentale entre le film de René Clair et celui de David Fincher, dans cette double énonciation des personnages doubles vis-à-vis du tiers-observateur ; là où le spectateur riait de ce quiproquo dans le premier film, il ne rit que « partiellement » dans le second, puisqu’il n’a pas encore accès, à ce stade du récit, à la dimension double du personnage. Le décalage naît ici des deux réalités distinctes du personnage masculin et du personnage féminin, mais il ne provient pas encore de ce savoir « supplémentaire » qu’est la connaissance de la dimension double du personnage principal. Ce n’est que lors d’une seconde relecture, ou d’un second visionnage, que celui-ci pourra alors doublement rire de cette situation qui apparaît d’autant plus décalée au vu de cette division intrapsychique. Tyler/Edward Norton s’étonne ainsi de la présence de Marla dans sa cuisine. Celle-ci, furieuse face au manque de considération de celui avec qui elle pense avoir passé la nuit, prend la porte. Un chevauchement au niveau du son permet de faire entrer le personnage de Tyler/Brad Pitt dès l’instant où celle-ci quitte la pièce. On entend alors son rire, hors champ. Un gros plan présente alors Tyler/Edward Norton, de dos, en amorce, et la silhouette de Tyler/Brad Pitt qui passe devant la caméra et vient progressivement masquer voire remplacer celui-ci à l’écran. Un second plan, plus large, permet de voir ce nouveau personnage qui pivote autour du premier, et offre finalement un plan double des deux hommes, l’un en amorce, dans l’ombre, côté droit, l’autre, éclairé par la lumière d’une fenêtre, côté gauche, prenant la place laissée vacante par le personnage féminin. Un fragment en flash-back vient alors expliciter la rencontre qui a eu lieu entre Marla et Tyler/Brad Pitt, en amont… De cette façon, les deux personnages masculins sont ici chacun relégués à une prérogative et dans un cadre bien précis. Une autre séquence met en lumière cette répartition exclusive du champ entre ces trois personnages ; une seconde fois, Marla se trouve dans la pièce de la cuisine auprès de Tyler/Edward Norton. Comme cela était le cas dans La Beauté du diable, les plans semblent se répéter : Marla est toujours cadrée sur le côté gauche de la pièce, tandis que Tyler/Edward Norton est essentiellement cadré à droite, toujours assis, à la même place. Un élément central rappelle ici le comique de situation qui était à l’œuvre avec René Clair et vient accentuer la différence de perception entre les deux protagonistes mais aussi entre les protagonistes et le spectateur : des coups se font entendre derrière une porte. Tyler/Edward Norton ainsi que le spectateur les entendent, au loin, mais Marla est sceptique : « qu’est-ce que tu entends « par "nous", ne change pas de sujet, je veux savoir… ». Un premier plan présente Tyler/Edward Norton qui se déplace jusqu’à la source de ce bruit. Il ouvre cette porte, qui dévoile Tyler/Brad Pitt, cadré en plongée, au bas des escaliers d’une cave : « tu ne lui parles pas de moi, on est d’accord ? ». L’autre Tyler, en plongée, acquiesce. Un jeu scénique se crée alors entre ces trois personnages : Marla s’approche de cette porte, tout en cherchant, par ses propos, à revenir sur des moments passés où Tyler a eu des comportements inexplicables, et notamment lors de la séquence analysée en amont. Elle s’approche de lui, le montage s’accélère. La double énonciation crée à nouveau une situation burlesque ; Tyler/ Edward Norton répond à la fois à Marla et à Tyler/Brad Pitt, situé derrière la porte. Marla va tenter de déceler la vérité au sujet de ce personnage instable, mais elle n’y parviendra pas à ce moment-là. Néanmoins, cette séquence illustre précisément ce jeu de double énonciation et ce trouble dans l’interprétation vécu aussi bien par le tiers-observateur et par le spectateur ; au fur et à mesure, le personnage de Tyler/Brad Pitt hors-champ, derrière la porte, va prendre une importance particulière, en venant dicter ou murmurer les répliques de Tyler/Edward Norton. Relégué derrière cette porte, dans ce hors-champ qui assure que les trois personnages ne se croisent pas sur une même scène ou dans un même plan, il suggère à Tyler/ Edward Norton des réponses pour Marla. Celui-ci, machinalement, répète.[caption id="attachment_3455" align="aligncenter" width="300"] Séquence 2/ Tyler/Brad Pitt hors champ[/caption] [caption id="attachment_3452" align="aligncenter" width="300"] Marla et Tyler/Edward Norton [01 :27 :09][/caption]De cette façon, à travers ce jeu subtil de mise en scène, où le versant double maléfique est relégué hors-champ, l’illusion est préservée ; les trois personnages ne se rencontrent pas, et la dimension fantasmatique de l’un des trois n’est pas mise à mal. Le tiers-observateur comme le spectateur mésinterprètent. Le spectateur, pris dans cette mise en scène en trompe-l’œil, sous-interprète. Le croisement de ces différentes instances peut donner une tonalité comique à cette séquence, et qui le deviendra d’autant plus pour le spectateur qui, lors d’un second visionnage, possède les clefs de cette énigme, et ne se trouve désormais plus dans une posture sous-interprétative ; il se réveille de ce sommeil fictionnel dans lequel il était plongé, et peut se plaire à coudre et découdre les fils de cette illusion première. Dans les fictions de doubles, le tiers-observateur incarne bien ce personnage pivot, qui permet de mettre en lumière les étrangetés que pose le personnage à l’identité double. La double interprétation de Michel Simon dans La Beauté du diable, puis la double énonciation par Brad Pitt et Edward Norton dans Fight Club illustrent les ressorts comiques, esthétiques et scénaristiques que présente ce personnage clef. Depuis son point de vue a priori neutre et extérieur, il permet de saisir les renversements de situation liés à cette dualité, ou, au contraire, de créer un contre-point face à une réalité changeante et non maîtrisée. Il se fait tantôt garant de l’interprétation, ou garant de la sous-interprétation, d’une époque à une autre, d’une génération de film à une autre. Il est intéressant de noter également la persistance de ce personnage dans les fictions de doubles quelles qu’elles soient, à travers la littérature comme le cinéma, mais également d’une décennie à une autre, depuis la poésie de René Clair jusqu’aux effets spéciaux de Fight Club, et de percevoir une mise en scène qui se répète, à travers le temps, et use des mêmes ressorts comiques de mésinterprétation/sous-interprétation, de la part de l’observateur comme du spectateur. Il est à noter que l’on trouve assez fréquemment, et de façon désormais quasi systématique, dans le cinéma américain contemporain, cette technique ou mise en scène qui consiste à reléguer en hors -champ le personnage double ou un personnage intrapsychique quel qu’il soit (Cf. Joker, Todd Phillips, 2019). Le personnage souffrant d’une identité clivée, ou d’un trouble identitaire –qui est un sujet apprécié des productions étatsuniennes de ces dernières années– va créer un personnage imaginaire lui permettant de palier ses carences ou souffrances intérieures. Celui-ci sera alors cadré selon le même procédé analysé en amont : il n’apparaitra que dans des lieux clos, en tête à tête avec le protagoniste (qui l’hallucine), ou, lorsqu’il se trouve dans un lieu ouvert, ne s’adressera à aucun tiers-observateur {{Le personnage du Joker propose une promenade à la jeune femme qu’il pense avoir rencontrée. Dans cette séquence de déambulation amoureuse entre les deux personnages, la jeune femme, qui s’avère en définitive n’être qu’une création de l’esprit du Joker, n’a aucune interaction avec ce qui serait l’équivalent d’un tiers-observateur. Les deux personnages sont, cette fois, cadrés ensemble, dans le champ, mais aucune présence tierce ne vient troubler leur intimité, et, en somme, cette bulle illusoire dans laquelle est plongé le spectateur, pris dans une fiction en trompe-l’œil. }} . Après avoir pris acte de ce phénomène de « trouble dans l’interprétation », lié aux fictions de doubles, et d’autant plus dans les fictions en trompe-l’œil, on peut alors se demander si le spectateur contemporain, habitué à ces dispositifs de twists et de retournements de situation, ne serait plus pris, à un moment donné, dans ce piège interprétatif ? La direction de spectateur à l’œuvre dans les fictions en trompe-l’œil pourrait-elle ne plus « fonctionner », auprès d’un public habitué à visionner ces fictions illusoires, au même titre que le plan-emblème évoqué précédemment est, un beau jour, tombé en désuétude ? Qui interprète, qui sous-interprète ? Le « trouble dans l’interprétation » fait ici référence au terme de Judith Butler{{Judith Butler, Trouble dans le genre, [1990]., Paris, La Découverte, 2005. }} ; l’interprétation, au même titre que le genre, serait galvaudé. Quelque chose en est déréglé, fêlé. Butler évoque le féminin comme un pastiche, une parodie. Il en irait de même de ce concept d’interprétation dans le cas des fictions de doubles, et notamment celles en trompe-l’œil. Le terme serait biaisé ou court-circuité par l’imaginaire déjà affûté du spectateur, habitué à ces fictions en trompe-l’œil. Il ne serait alors plus pris dans ce piège interprétatif, à l’instar du personnage perplexe et désemparé, joué par Woody Allen lui-même, dans Meurtre Mystérieux à Manhattan (1993) : « I can’t figure it out…. Je n’y comprends rien... …It’s got to be that…. Ça voudrait dire... …he’s a….she’s a twin or he’s a twin…qu’elle a une jumelle, ou lui un jumeau… …or they’re multiple personalities… Ou qu’ils ont des personnalités multiples... …Or… you’re a twin and I’m a twin…Ou alors… c’est moi qui suis un jumeau, et toi une jumelle… »