La notion de paysage est complexe et toute définition univoque de celle-ci est une entreprise difficile, voire impossible. Cependant, il y a une certaine unanimité quant à considérer que le concept occidental de paysage, malgré ses multiples déterminations, est historiquement redevable du domaine esthétique et notamment de la peinture. En effet, comme l’écrit Anne Cauquelin, « il est admis actuellement que l’idée de paysage et sa perception tiennent à la présentation qui en fut donnée dans la peinture en Occident, au XVe siècle
[1] ». Cette origine picturale a profondément marqué notre conception de cette réalité qui, selon plusieurs auteurs et chercheurs, reste toujours une expérience essentiellement visuelle. « Le paysage n’est-il pas ce qu’il y a de visible dans l’environnement ? » se demandait le philosophe, orientaliste et géographe français Augustin Berque
[2], dans un texte publié en 2012.
Pourtant, de nombreuses recherches, notamment celles qui ont thématisé les questions du son et du silence dans l’environnement et dans la vie, ont critiqué l'emprise de ce qu’un autre géographe, Claude Raffestin, a qualifié de « “totalitarisme de l'œil” qui néglige complètement tout ce qui a trait aux autres sens
[3] », et souligné ainsi l’aspect irréductiblement poly-sensoriel du paysage.
Une ratification claire et institutionnellement déterminante de cette nouvelle conception poly-sensorielle a été donnée par la
Convention européenne du paysage. Appelée aussi
Convention de Florence parce qu’adoptée dans cette ville le 20 octobre 2000, elle a défini le paysage comme « une partie de territoire telle que perçue par les populations ». Percevoir, comme nous le savons, est un verbe qui indique la capacité à saisir, à « prendre connaissance par les sens
[4] ». Le paysage est donc un phénomène qui met en jeu le
sensorium dans sa globalité et non pas seulement les yeux.
Depuis la deuxième moitié du siècle dernier, le paysage est progressivement devenu un sujet de débat sociétal majeur. Les raisons de l’émergence de cette problématique sont nombreuses, mais deux facteurs ont sûrement joué un rôle fondamental. D’un côté la progressive transformation des territoires due à la forte tendance à l’urbanisation et à la conséquente extension de la ville dans les campagnes : un processus de concentration humaine dans les métropoles qui a aussi produit une forte mobilité, l’explosion des réseaux de communication et la naissance d’un tourisme de masse. Et de l’autre côté, la prise de conscience de la dégradation des conditions écologiques qui a donné une perception nouvelle des territoires et de la nature en produisant le sentiment qu’il s’agissait de patrimoines vitaux à préserver et à défendre.
Le débat et la réflexion autour de cette problématique se sont principalement institués autour de trois noyaux thématiques de nature politique, esthétique et éthique. Ce triple enjeu a été historiquement pensé dans le cadre de deux conceptions distinctes, voire opposées. Différemment nommées, selon les périodes ou les domaines disciplinaires, celles-ci peuvent être désignées, en suivant une définition assez courante et relativement bien établie dans la réflexion sur le sujet, par les termes de « culturalisme » (les représentations culturelles et sociales du paysage, les conceptions subjectivistes) et de « naturalisme » (l’analyse quantitative par des modèles positifs et scientifiques du paysage, les conceptions objectivistes).
La polarisation, voire l’antinomie, entre naturalisme et culturalisme a été largement débattue et a généré, outre une littérature scientifique importante, deux courants de pensée qui ont développé des positions variées, parfois profondément différentes. Toutefois, cette opposition apparaît désormais inféconde. En effet, la nécessité d’élaborer des modèles nouveaux – aptes à interroger et à subsumer, dans une logique plus vaste et articulée, les positions culturalistes et naturalistes – s’est affirmée. Ainsi, des approches inédites, montrant les limites d’un tel antagonisme et faisant dialoguer les postulats esthétiques et ceux environnementaux, ont été proposées. De ce fait, une nouvelle « paysagétique
[5] » a été théorisée tout comme les notions de paysage « trajectif
[6] » et « cognitif
[7] » ou encore « co-évolutif
[8] ».
La recherche sur la dimension sonore du paysage a contribué de façon importante à produire ce nouveau cadre épistémique global. C’est justement en écoutant et en réfléchissant aux sonorités du monde qu’une contribution significative a été apportée – et continue de l’être – à cette quête de nouvelles modalités de vivre, de représenter, d’imaginer et d’honorer le paysage. Dans cette écoute du monde, une autre conception du paysage surgie et résonne en donnant un tout autre retentissement à ses enjeux politiques, esthétiques et éthiques. Elle n’est donc pas une énième
vision de celui-ci, mais une façon, à la lettre, inouïe de l’entendre.
L’écoute du paysage
L’expérience d’écouter un paysage est un moment anthropologique fondamental. Tout être humain a été confronté, à un moment ou à un autre de sa vie, à cette particulière forme d’attention psychique, concernant le sens de l’audition, non focalisée et non orientée sur un événement sonore spécifique, mais ouverte sur l’étendue enveloppante et isotrope de la sphère audible en tant que telle. Que ce soit par peur, par plaisir esthétique ou par curiosité, l’écoute du paysage fait partie de l’expérience humaine et constitue, avec le bruit de la pluie, du tonnerre, de l’eau, du vent, etc., qui sont des archétypes sonores, une modalité de relation au monde archétypale et incontournable. Constamment plongé dans le monde des sons, l’être humain a développé, de l’intérieur de celui-ci, des stratégies de survie et de vie, de présence ou de retrait, en y articulant sa voix et ses silences, ses signaux et les bruits de son existence. Il a également produit des instruments sonores d’extérieurs dont le rôle a été et reste essentiel puisqu’ils engagent les individus et les collectivités dans l’écoute du monde environnant
[9].
Dans le devenir de ce rapport entre les humains et les sons, constamment en évolution, un changement subit s’est produit avec l’industrialisation. Le monde moderne s’est constitué et a été fortement perturbé par la diffusion des moteurs qui ont introduit dans la vie de tous les jours, et pour une grande majorité des humains, des sons continus et puissants. D’abord à combustion interne et par la suite aussi électriques, ces moteurs permettent des activités constantes dans presque tous les milieux et produisent des nuisances sonores, voire des pollutions, fortement désagréables et parfois dangereuses pour les humains et les autres espèces vivantes.
À partir du XVIIIe siècle, un processus historique considérable, à la fois idéologique et technique, s’est mis en place autour de l’utilisation de l’énergie fossile et des machines aptes à l’utiliser. Il s’agit de la possibilité de stocker et de déplacer cette énergie, une capacité qui a été définie par le socio-anthropologue des techniques Alain Gras la « délocalisation de la puissance
[10] ».
À l’augmentation de la puissance énergétique conservée et transportée, correspond aussi non seulement l’augmentation de la puissance sonore qui est engendrée et propagée par cette méga-machine, mais aussi la naissance de ce que R. Murray Schafer a appelé « la ligne droite en acoustique
[11] » dont l’apparition est, selon le compositeur, « une autre conséquence de la révolution industrielle
[12] ». Or, « la ligne droite en acoustique est artificielle
[13] ». En effet, selon Schafer, « on la trouve rarement dans la nature. (La stridulation continue d’un insecte comme la cigale est une exception)
[14] ».
Puissance et linéarité, voici les deux conséquences majeures de l’industrialisation sur les sonorités du paysage : deux caractéristiques qui sont aussi le propre de la civilisation occidentale et du « paradigme rétinien » qui l’a caractérisée et qui s’est trouvé ainsi confirmé et amplifié dans son devenir historique.
À la « chose motorisée
[15] » – cette « machine automate [qui] incarne une philosophie du temps paradoxale, celle de la croissance continue et illimitée de l’emprise sur le milieu, naturel et humain, alors même qu’elle épuise ce milieu et provoque ainsi sa fin
[16] » – et à ses sons continus, d’autres machines se sont ensuite ajoutées en jouant un rôle fondamental dans la transformation du monde et des sons qui le composent. Il s’agit des techniques de mémorisation, « re-production », transmission et amplification des sons qui ont brusquement et radicalement modifié les équilibres sensibles et les modes de représentation établies depuis les origines de l’humanité, non seulement pour ce qui concerne les sons, mais aussi pour ce qui est de l’ensemble de nos relations perceptives, affectives et conceptuelles au monde.
Les mémoires acoustiques exosomatiques ont des conséquences multiples. Elles détachent la source sonore de son effet vibratoire (ce que Murray Schafer a appelé la « schizophonie ») en le décontextualisant et en le desémantisant ; elles engendrent des émetteurs et des récepteurs séparés dans l’espace et dans le temps ; elles réifient le son et en permettent sa manipulation ainsi que sa diffusion dans n’importe quel recoin de la terre et à n’importe quel moment, jusqu’à atteindre directement l’oreille de chaque individu.
C’est justement à partir de cette situation totalement inédite, produite par l’industrialisation motorisée et les mnémo-télé-technologies acoustiques, que la conscience du rôle des sons dans le paysage a progressivement fait surface et a été thématisée. Le son devenait présent partout, à tout moment, comme un bourdon incessant, sans identité et monotone, tout aussi bien dans le paysage domestique, que dans ceux urbains et naturels et cela dans une densification et intensification puissantes et envahissantes. Confrontés à des réalités toujours plus gênantes et parfois intolérables, de nombreux mouvements de protestation et de lutte se sont manifestés en dénonçant et en s’opposant à de telles situations, un processus qui, malheureusement, est loin d’être terminé puisque selon des enquêtes récentes les citoyens européens perçoivent le bruit « comme l'un des principaux problèmes environnementaux
[17] ». Ce sont bien ces nouvelles qualités de puissance, de présence continue, de décontextualisation, de réification et de marchandisation du son, dues à l’industrialisation motorisée et aux techniques mnémo-télé-acoustiques, qui ont engendré ces mouvements. En effet, les nuisances dues aux bruits ne sont pas seulement l’apanage de notre époque. Nous avons de nombreux témoignages de la présence de nuisances sonores dans les sociétés préindustrielles dont le désagrément devait être égal, si ce n’est parfois supérieur au nôtre
[18].
Cette nouvelle conscience relève donc d’un ensemble complexe de facteurs qui ont engendré non seulement la volonté de se défendre des bruits, mais aussi celle d’écouter le monde. Outre les nuisances provoquées par l’industrialisation triomphante, le fonctionnement incessant et envahissant de ses machines et la prolifération des mnémo-télé-technologies acoustiques, il faut aussi prendre en compte plusieurs autres facteurs qui, loin d’être indépendants de ces deux phénomènes, y sont intimement et structurellement corrélés. En effet, les langages musicaux et artistiques ont thématisé, sur le plan esthétique, le bruit comme un matériau à part entière et formulé des catégories d’analyse tout à fait novatrices pour la compréhension de ce phénomène. Par ailleurs, le renouveau radical des paradigmes épistémologiques et de la conception du Monde a institué une conceptualisation inédite de l’espace et du temps tout aussi bien dans les domaines scientifiques et les arts que dans les relations sociales. Mais, ce qui a joué d’avantage un rôle majeur dans la prise de conscience de la dimension sonore du paysage et de ses enjeux, a été la pensée écologique, une pensée complexe et systémique qui a profondément bouleversé la vision anthropocentrique de la Modernité.
La question des sonorités du paysage s’inscrit donc dans une plus vaste problématique qui concerne la transformation de l’ensemble des rapports qui président aux relations entre les sons et le monde. Les humains ne sont pas les seuls êtres concernés par cette transformation globale du cadre de vie et de la réalité naturelle, les autres espèces aussi y sont impliquées. C’est une des raisons pour laquelle l’étude du paysage et des sonorités qui le caractérisent se sont immédiatement inscrites dans une réflexion plus large qui est celle de l’écologie sonore.
Voilà pourquoi cette expérience particulière qu’est l’écoute du paysage, que nous pourrions qualifier d’expérience de la sonosphère ou encore d’expérience du «
paysage sonore », s’est révélée être non seulement un moment gnoséologique indispensable pour orienter et structurer les luttes opposées aux nuisances et aux pollutions acoustiques et sonores, mais aussi pour réfléchir et structurer une pensée inédite sur la réalité et le monde. Bien au-delà de concerner exclusivement le plan musical ou celui esthétique, c’est la dimension anthropologique qui a été interrogée et bouleversée.
« Paysage sonore »
Avant de poursuivre cette analyse, je voudrais évoquer une question qui peut apparaître secondaire et qui n’a probablement pas été relevée par le lecteur. Elle concerne la locution « paysage sonore ». En effet, proposer comme je viens de le faire une
expérience du «
paysage sonore », implique une clarification préalable de cette notion qui s’est banalisée dans la langue française et dont la signification semble aller de soi.
La notion de « paysage sonore » est problématique. D’une certaine manière elle est fondamentalement équivoque et inexacte, voire trompeuse. En effet, si nous attribuons au terme paysage la signification d’« une partie de territoire telle que perçue par les populations » ou encore celle proposée par le philosophe Paolo D’Angelo, d’« identité esthétique d’un lieu
[19] », alors l’idée même d’un « paysage sonore » serait erronée puisque le son est un élément constitutif du paysage. On devrait donc employer la locution
composante sonore du paysage et non pas celle de paysage sonore.
D’ailleurs, on ne dit pas un « paysage visuel » ou un « paysage à regarder ». On dit simplement : « un paysage ». Cela va de soi. La connotation visuelle du paysage est de facto considérée comme intrinsèque. Or, le paysage dans sa complexité sensorielle n’est ni un panorama, ni une «
veduta ». D’une certaine manière, utiliser l’expression « paysage sonore » signifie donc conforter et cautionner le préjudice rétinien qui
voit le paysage seulement comme un apanage du regard. Il faudrait donc réserver cette locution seulement aux formes de représentation littéraires et acoustiques concernant les sonorités propres à un paysage donné.
En français la notion de « paysage sonore » – mais cela est valable aussi pour l’espagnol («
paisaje sonoro »), l’italien («
paesaggio sonoro »), le portugais («
paisagem sonora ») et l’allemand («
Klanglandschaft ») – a été employée pour traduire le néologisme anglais
soundscape et, comme pour les autres langues, elle a été au centre d’un vaste débat essentiellement centré sur sa pertinence sémantique, philologique et conceptuelle.
En réalité cette formule, « paysage sonore », a vu le jour en 1943 sous la plume de Marguerite Duras dans son roman
Les impudents[20]. Dans la langue française, elle a donc plus de soixante-dix ans.
En 1968, on la retrouve dans un texte portant le titre de
Milieu et environnement publié par le compositeur Pierre Mariétan
[21], dans lequel elle est thématisée de manière explicite. À la même époque, le compositeur canadien Raymond Murray Schafer forgera le terme
soundscape, en déclarant par la suite que « les années 1960 furent une décennie bruyante, peut-être la plus bruyante du XXe siècle
[22] ». De toute évidence, l’ambiance feutrée des salles de concert n’était plus capable ni de contenir ni de présenter l’éclatement sonore des paysages urbains et industrialisés.
Le néologisme
soundscape eut un succès planétaire et devint rapidement à la mode, engendrant aussi tout une série de malentendus et de confusions regrettables. Par l’union du mot «
sound » et du suffixe «
scape », tiré du terme «
landscape », Schafer transposait immédiatement sur le plan de la dimension sonore la connotation visuelle propre, historiquement parlant, au concept de paysage dans le contexte linguistique anglophone.
Or,
soundscape est intraduisible en français de même que le mot «
tuning », un verbe qui renvoie aux notions de régler et accorder. C’est la raison pour laquelle, quelques années plus tard l’expression « paysage sonore » a été choisie, faute de mieux, pour traduire le titre de l’ouvrage de Schafer,
The Tuning of the World, publié en anglais en 1977
[23] et traduit en français
[24] par Sylvette Gleize en 1979.
Schafer lui-même déclara son insatisfaction quant à cette traduction française du terme
soundscape. Interrogé à ce propos, il répondit :
C’était très difficile de trouver une traduction. Quand je suis venu la première fois à Paris on cherchait un terme approprié et il y avait différentes propositions, comme par exemple celle de « relief sonore ». Puis quelqu’un a trouvé le terme de « paysage sonore » : ça a marché et on a fait la même chose dans d’autres langues, comme en allemand. Toutefois, le choix des mots est très important et l’expression « paysage sonore » diffère du mot soundscape. Le caractère neutre du terme soundscape disparaît quand on le met en relation directe avec la notion de paysage. Quand j’étais en Pologne, quelqu’un voulait traduire ça par « sonosphère » ce qui aurait mieux exprimé cette exigence de neutralité. Mais bon, aujourd’hui le terme « paysage sonore » est passé, l’important est que l’on sache ce que c’est[25].
C’est donc cette expression de « paysage sonore » qui s’est imposée dans le contexte francophone et qui reste toujours dominante tout aussi bien dans le langage courant que dans la littérature spécialisée. Cela étant, même si l’expression paysage sonore « a fait fortune », comme le synthétise clairement le musicologue Makis Solomos
[26], nous devons
malgré tout considérer qu’elle est problématique et que son utilisation devrait être avisée.
Le mouvement de recherche et de création qui s’est développé autour des sonorités du paysage a eu une étendue planétaire et s’est structuré dans de nombreuses organisations et référents institutionnels.
Synonyme d’une nouvelle écologie sonore unissant le fait acoustique et celui audible au paysage et à la pensée écologique, ce mouvement, dont les dénominations varient
[27], a largement influencé non seulement la musique, les études paysagères et l’écologie, mais de façon beaucoup plus vaste et profonde de nombreuses recherches en sciences humaines et naturelles. De nouvelles disciplines, comme l’écoacoustique
[28], ont émergé, permettant des avancées considérables dans la compréhension de notre milieu de vie en montrant l’importance du son et du silence pour le monde vivant.
Ce mouvement a analysé, questionné et amplement critiqué les fondations visuelles du paysage et sa conception picturaliste-rétinienne en donnant une contribution décisive à la prise de conscience généralisée du fait que le paysage est un phénomène poly-sensoriel.
Un autre aspect, tout aussi important, si ce n’est plus important que ce premier, concerne l’apport du mouvement de l’écologie sonore en ce qui relève des modalités épistémologiques et méthodologiques d’approche phénoménologique du monde. En effet, s’il est désormais clair que nous ne pouvons plus uniquement nous restre à regarder le paysage, nous n’avons pas pour autant fait une critique des fondations rétiniennes de notre civilisation qui en quelque sorte sont à la base de cette façon de le concevoir.
Le paradigme rétinien occidental
L’Occident est une civilisation visuelle. Sa conception du monde a été profondément orientée par le regard qui a
fixé son être et
pré-figuré son devenir. Or, cette domination du regard persiste. Probablement, elle s’est même accentuée avec les apports de la société « écranique » dans laquelle nous vivons aujourd’hui. En effet, « le paradigme rétinien occidental
[29] » semble se renforcer dans une sorte d’
ultra-vision, un terme qui indique la généralisation jusqu’à saturation et à l’excès des images rétiniennes, dans la puissance d’une vision multi-support spectacularisée qui produit, pour ainsi dire, une nouvelle “cécité sociale” : une incapacité collective et individuelle, à voir, regarder et observer.
Nous sommes donc face à un paradoxe : malgré le fait que la conception poly-sensorielle du paysage soit désormais reconnue, nous persistons à
regarder le monde et avec lui le paysage qui est une métaphore primordiale de ce monde et un mode essentiel d’y accéder et d’y être. Si le paysage est « l’expression finale d’une société
[30] », alors il est de ce fait le résultat du processus historique qui a déterminé cette même société, notamment dans ses modèles sensibles.
Une « mise en perspective » globale et radicale de la vision Occidentale semble donc s’imposer comme préalable à la question du paysage. Cela, afin de faire émerger les conditionnements et les implications implicites dans cette problématique tout en montrant les effets à long terme des causes qui ont structuré ses orientations de fonds.
En effet, c’est dans la Grèce ancienne que s’opère une sorte de focalisation réductrice de la vision laquelle se stabilise et se fige autour des notions de spectateur, de neutralité et de distanciation. Le philologue et philosophe allemand Bruno Snell, montre comment un passage fondamental s’est opéré entre la langue d’Homère et la pensée successive, celle du Ve siècle avant notre époque. La langue d’Homère (IX
e-VI
e siècles avant notre époque) est riche de définitions de choses concrètes que l’on peut expérimenter avec les sens, mais celles-ci disparaîtront par la suite. L’acte de voir est « déterminé par l’objet et par le sentiment qui l’accompagne
[31] », ses formes plus abstraites ne sont pas encore développées. À ce propos, Snell affirme que « Homère utilise une grande quantité de verbes qui décrivent l’acte de voir », cependant « parmi ceux-ci beaucoup sont tombé en désuétude dans le grec successif, tout au moins dans la prose, c’est-à-dire dans la langue vivante ». En effet, « après Homère, pour les substituer nous trouvons seulement deux nouveaux termes : βλεπειν et ϑεωρειν. » Ce dernier, ϑεωρειν, qui est « un mot plus récent pour “voir” […] n’était pas à l’origine un verbe » puisqu’il était tiré d’un nom, ϑεωρος, dont la signification était « être spectateur. Plus tard cependant il se réfère à une forme du voir et signifie alors “rester à regarder”, “observer”
[32] ».
En synthèse, si « d’une façon générale, dans la civilisation hellénique le voir a eu une prédominance nette et structurelle sur l’ouïr
[33] », il ne s’agit pas de n’importe quelle dimension du voir qui est en jeu, mais d’une configuration particulière qui aligne le concept, le percept et l’affect autour d’une modalité spécifique de cet acte de perception qui est celle du spectateur.
Platon, qui a été désigné par Jean-Pierre Vernant comme étant le « liquidateur et l’héritier
[34] » de la tradition archaïque grecque, parachèvera ce processus. En effet, il proposera une détermination sémantique nouvelle, à la fois plus étendue et plus abstraite, des termes
idéa (idea, proprement la « forme visible
[35] ») et
eidos (eidoV « l’aspect qu’une chose visible offre à notre œil corporel
[36] ») en les employant pour indiquer une forme métaphysique sous-jacente à toutes les modalités perceptives. C’est ainsi que, comme l’affirme Heidegger, « ce qui constitue l’essence dans ce qu’on peut entendre, toucher, sentir … tout ce qui est de quelque manière accessible : cela est appelé “aspect”, idea, et est aussi tel
[37] ». Autrement dit, toute occurrence sensible est reconduite et réduite aux modalités de conceptualisation qui sont propres à la vision.
Cette conception forgera la matrice sensible-cognitive de notre civilisation dans une hiérarchisation sensorielle qui privilégie la dimension « rétinienne
[38] » en organisant de ce fait sa «
Welt-Anchauung », littéralement sa « vision du monde ». En effet, à partir de la Grèce ancienne, le rôle du rétinien dans la culture occidentale n’a fait que s’agrandir et prendre du relief. C’est justement cette genèse théorique qui a fait dire au philosophe belge Gilbert Hottois, que : « depuis toujours, le regard a été pour les philosophes le sens par excellence grâce auquel l’homme se rapporte à ce qui est. Toute la thématique et toute la métaphorique des rapports du sujet connaissant à l’être pivote autour de l’œil et de la lumière, dans les matérialismes comme dans les idéalismes
[39] ».
Cette conception d’une « dominante théorétique de l’Occident », désormais largement partagée, a trouvé une confirmation dans de nombreuses recherches menées dans le contexte de ce que l’anthropologue canadien David Howes
[40] (lui-même influencé par les problématiques inhérentes à l’écologie sonore) a nommé le «
sensual turn ». En effet, depuis les années 1990, ces études ont montré la pertinence d’une approche sensible des civilisations et des cultures en identifiant des modèles sensoriels qui « donnent un sens » au monde et qui traduisent les perceptions et les concepts sensoriels en une « vision du monde » particulière
[41].
Il s’agit d’un aspect incontournable dans la problématique du paysage. Celle-ci ne peut pas être abordée disjointe de celle de la hiérarchisation sensorielle qui lui est préalable.
En effet, le fait de
voir le paysage comme le produit de la figuration picturale qui l’a forgé en tant qu’entité conceptuelle autonome autour du XVe siècle doit aussi être inscrit, à son tour, dans une « perspective » plus profonde : celle d’une orientation générale de notre civilisation de nature
logothéorique. Le discours de l’Occident, son penser-parler, le
logos, a été forgé par le « fait de voir » (
theoria) ; notre héritage est celui d’un savoir qui nait de l’observation-contemplation. Il s’agit donc d’une civilisation qui s’est conceptuellement modelée dans un « centrisme oculaire », selon la définition de l’architecte finlandais Juhani Pallasmaa
[42].
Ce processus, instauré par la culture grecque, s’est progressivement renforcé. De la mise à distance de l’objet propre à la perspective et au paysage de la Renaissance suit une objectivation certaine avec la Modernité épistémologique et philosophique du XVII
e siècle : une époque qui a été fascinée et éprise par les problématiques de l’optique, de la lumière, de la couleur, de la vision et de l’œil. C’est là que le « paradigme occidental moderne classique
[43] », selon l’expression d’Augustin Berque, s’impose.
L’observation du monde devient systématique. La vision, dont la caractérisation peut être reconduite à trois noms qualificatifs –
séparation,
linéarité,
fixité –, prend maintenant toute son exemplarité instrumentale. Ses caractéristiques d’efficacité, de rapidité et de stabilité sont exaltées. En effet, elle est efficace parce que sélective, non contextuelle et non impliquée dans l’objet examiné. Elle est rapide parce que porteuse d’uniformité et de nivèlement dans sa visée monodirectionnelle. Et enfin, elle est stable parce que figée et indifférente à la temporalité et à son orientation (l’entropie, la « flèche du temps »).
Ces aspects fondamentaux qui caractérisent l’acte de voir trouvent, par ailleurs, des notions presque identiques dans les concepts élaborés par la physique de cette époque –
localité,
déterminisme,
continuité – dont la connotation rétinienne est évidente. Or, cet héritage de la Modernité est loin d’être révolu.
J’ai rappelé cette généalogie et ses enjeux théoriques parce qu’il me semble nécessaire de mettre en évidence le fait que déplacer notre attention de l’œil à l’oreille signifie non seulement la concentrer sur les phénomènes sonores, mais d’une certaine manière, relire complètement et radicalement notre histoire et notre relation au monde, tout aussi bien celle du passée que celle actuelle. Si le paysage « représente le premier approche à toute
theoria (au sens grecque de “forme de savoir” qui nait du regarder)
[44] », alors la nécessité d’une nouvelle «
acousia » (
ἄκουσις,
akousis,
ouïe), proposant une forme de savoir qui nait de l’écouter, s’impose.
L’idée fondamentale est donc celle d’une autre approche du paysage qui analyse cette problématique à partir non pas d’un « point de vue », mais bien d’un « point d’écoute », voire, mieux, d’une « sphère d’écoute ». La démarche méthodologique, l’univers perceptif de référence, l’ensemble des concepts «
acousique » seront ainsi référés et construits autour de l’univers des sons et des vibrations. Cette conception appelle à une nouvelle esthétique qui dépasse la dichotomie entre naturalisme et culturalisme, de même que celle entre écologie acoustique et écologie sonore. Le concept d’écosophie pourrait être ici convoqué afin de thématiser l’univers sonore dans ses corrélations à la subjectivité, à la société et au monde.
Écosophie vibratoire
La notion d’écosophie est relativement récente. On la doit au plus important philosophe norvégien du XX
e siècle, Arne Næss, qui la forgea au début des années 1970. Ce terme sera utilisé à nouveau en 1989 par Félix Guattari dans un petit livre intitulé
Les trois écologies[45] : un texte fondamental qui, malgré de nombreuses dissemblances conceptuelles, partage avec Næss l’idée de la nécessité d’un nouveau « paradigme » à la fois épistémologique, éthique et esthétique.
L’écosophie renvoie à une vision écologique – c’est-à-dire basée sur des interrelations complexes – qui s’applique non seulement à l’écosystème, mais aussi à l’ensemble des rapports qui interviennent entre l’esprit, la société et le monde naturel. Ce terme introduit immédiatement au rapport nature-culture en nous situant d’emblée dans la problématique d’une intégration dialogique
[46] entre qualitatif et quantitatif, sujet et objet, éthique et esthétique.
Contrairement aux notions d’« écologie acoustique » et d’« écologie sonore » qui renvoient aux concepts d’objectivité (l’acoustique, la mesure physique du phénomène vibratoire) et de subjectivité (le sonore, le son perçu), l’écosophie dépasse la dichotomie sujet/objet. Or, c’est exactement le dépassement de ce dualisme qui devrait être en cause dans la prise en compte du monde des sons et du monde par les sons.
La notion d’objectivité vient de celle d’objet. « Ob-jet », terme qui vient « du latin scolastique “
objectum”, “ce qui est placé devant”, de “
objicere” “jeter (
jacere) devant”
[47] ». Le terme « objet » mène à celui d’« objectif » dont la signification renvoie à la fois au « système optique d’une lunette », au « but à atteindre » et à une « description impartiale », objective justement. Cette notion d’objectivité adhère parfaitement au monde rétinien des choses, mais est totalement inadéquate à l’univers sonore qui relève avant tout d’une dimension énergétique, temporelle et éphémère. Également pour ce qui concerne la notion de « sujet
[48] » qui renvoie à la même étymologie («
subjicere ») indiquant l’action de « placer dessous, mettre sous ».
Bref, si nous nous plaçons dans la dichotomie sujet/objet (sonore/acoustique), nous sommes figés dans l’essence logothéorique de la pensée occidentale qui « dit le monde » en le percevant visuellement et détachant ainsi radicalement, voire définitivement, l’observateur de l’observé.
Le paradigme mécaniste de la Modernité est le fruit le plus mûr de cette pensée qui a construit ses discours dans la monosensorialité rétinienne en observant le comportement « objectif » d’objets simples et inertes. C’était, évidemment, une grande conquête de la pensée, mais une conquête qui s’inscrivait dans une posture théorique finalement inadaptée à la complexité du monde. La dimension organique, comme tout autre phénomène complexe, ne peut pas être réduite seulement à une telle conception déterministe.
Il faudrait donc trouver d’autres dénominations que celles d’écologie acoustique ou d’écologie sonore. On pourrait avancer ici la notion d’
écosophie vibratoire qui fait référence à ce beau terme de vibration. À la fois tactile et audio, visuel et sensible, concret et abstrait, celui-ci exprime une richesse à la fois objective et subjective. Tremblement sonore, mouvement, état d'un corps qui vibre, lumière vive, ou encore excitation, fébrilité, état de celui qui vibre sous le coup d'une vive émotion, sensibilité propre à un individu perceptible par autrui, action de faire vibrer… ce terme de vibration trouve dans celui d’écosophie un niveau sémantique complémentaire et enrichissant.
Dans ce cadre d’une écosophie vibratoire, l’écoute du paysage est un moment décisif. En effet, écouter le milieu physique dans lequel nous sommes plongés, renvoie à des problématiques spécifiques qui me semblent propres à cette modalité singulière d’appréhension du monde. Celles-ci peuvent être résumées à travers une idée majeure, celle de
continuité ontologique. Dans ce concept, trois notions sont profondément impliquées. Interdépendantes, interpénétrées et par certains aspects, presque équivalentes, celles-ci – la
présence, l’
holisme et la
non-séparation – sont, pour moi, tout aussi bien à la base de l’écoute du paysage que de l’écosophie vibratoire.
La question de la
présence doit être pensée en termes phénoménologiques, en tant que « qualité de ce qui existe ici et maintenant
[49] ».
De visu et
in situ, on pourrait dire avec Paul Virilio
[50]. Ou encore, selon la définition de présence donnée par Yves Bonnefoy, « vers l’immédiat dans la chose
[51] ». Ce qui ne veut pas dire rester prisonnier de l’évidence («
ex-videre », ce qui se donne à voir dans l’instantanéité de la chose vue), mais au contraire saisir la portée de ce qui est présent dans la chose elle-même, dans l’incommensurabilité de ses implications
[52].
Écouter un paysage est une modalité exemplaire d’être présent au monde puisqu’elle renvoie à une prise de conscience qualitative d’une totalité en devenir. Cette écoute ne peut pas être divisée, sectionnée et séparée. On ne peut encore moins lui faire écran, l’esquiver ou s’installer à côté. Nous sommes immergés dans le donné sonore.
Dans l’écoute du paysage (qui n’est pas celle, partielle, distanciée et repliée sur elle-même, de l’iPod : l’écoute d’un « ailleurs »), il est question d’une relation esthétique renouvelée au monde, une relation de réappropriation, autrement dit d’expérience directe de celui-ci et d’attention à celui-ci, considéré en tant que tel et pour ce qu’il est… dans sa portée inépuisable. Autrement dit, il s’agit d’une expérience esthétique qui répond à la question du : « il y a
[53] ». Être conscient de ce qu’« il y a », me semble une, sinon
la, mission fondamentale de toute pratique et réflexion esthétiques. Cette question fonde non seulement la géographie, comme l’a montré Augustin Berque
[54], mais aussi l’esthétique pour ce qu’elle est : la possibilité de percevoir, ressentir, appréhender, communiquer et être dans-avec-le monde. Être
dans le monde, être
avec le monde, être
le monde. Cela non pas dans l’abstrait de la pensée, mais dans l’effectivité sensible-perceptible-communicative de la dynamique ontologique.
L’écoute du paysage est par définition
holiste[55]. Certes, l’ouïe en tant que telle est holiste, c’est-à-dire qu’elle fonctionne dans une réceptivité qui est globale (on parle justement de
sphère de l’audition pour rendre compte de cette forme particulière de perception qui s’opère sur tous les plans à 360 degrés), mais encore une fois, ce n’est pas l’écoute de l’iPod dont il est question ici. Écouter le milieu veut dire autre chose : écouter la sphère, en elle-même et pour elle-même, dans laquelle on est plongé et qui nous est consubstantielle, c’est-à-dire inséparable. Prendre conscience du contexte sonore – ce qui vibre, vit et existe avec nous, qui se donne immédiatement et constamment dans sa totalité et cela non pas dans l’oubli de soi, mais dans une conscience pleine et élargie – voici à quoi renvoie l’écoute du paysage. Une expérience nécessaire de celui-ci, puisque complémentaire et tout aussi riche de celle qui peut être faite avec les yeux. En effet, contrairement à la vue qui est orientée et « séquentielle », l’écoute se donne d’emblée dans une totalité spatiale contiguë et continue. L’écoute n’assigne pas, elle est ambiante
[56].
C’est pourquoi l’écoute du paysage s’expérimente, autrement dit s’éprouve, dans une
non-séparation. La vue est le seul sens qui nécessite un éloignement de l’objet sur lequel elle s’applique pour pouvoir s’exercer et ainsi se déployer et s’offrir à nous pour ce qu’elle a de propre. Cette logique de séparation, qui a été exaltée par la culture occidentale depuis ses origines, a trouvé un moment culminant dans la Modernité. En opposition au
paradigme de la séparation propre à la Modernité, les problématiques de la relation esthétique directe au monde et de l’écoute du monde, en tant que modalité gnoséologique privilégiée, posent comme étant prioritaires des logiques de conjonction, d’implication et de continuité.
Présence,
holisme et
non-séparation, permettent de mieux comprendre notre relation au monde dans la continuité ontologique qui est sa réalité première et notre indiscutable modalité d’y être. Ces trois notions font de l’écoute du paysage un moment fondateur. C’est justement cette expérience – l’écoute de ce qui est là, autour de nous, dans l’étendue de l’espace résonnant – qui, dans sa puissance esthétique archétypale, est la condition préalable, implicite et nécessaire à une nouvelle façon d’entendre le monde.
[1] Anne Cauquelin, « Préface à la seconde édition » de
L’invention du paysage [1989], Paris, PUF, 2000, p. 1.
[2] Augustin Berque, « Des eaux de la montagne au paysage, (La naissance du concept de paysage en Chine) », Version française de « Das aguas da montanha à paisagem », p. 95-103 dans Adriana Verissimo SerrÃo (dir.)
Filosofia e arquitectura da paisagem, Lisboa, Centro de filosofia da Universidade de Lisboa, 2012.
[3] Claude Raffestin, « Les paradoxes du paysage »,
Compar(a)ison, 1998, n° 2, p. 109-118. En ligne : http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4392
[4] http://www.cnrtl.fr/lexicographie/percevoir
[5] Catherine Chomarat-Ruiz,
Précis de paysagétique, Valenciennes, Presses Universitaires de Valenciennes, 2014.
[6] Augustin Berque, « La mésologie pourquoi et pour quoi faire? ». Conférence, 4 décembre 2013. En ligne :
http://ecoumene.blogspot.fr/2013/11/la-mesologie-pourquoi-et-pour-quoi.html
[7] Denis Dumas, « L'esthétique environnementale d'Allen Carlson. Cognitivisme et appréciation esthétique de la nature »,
Æ Canadian Aesthetics Journal / Revue canadienne d'esthétique, Volume 6, Fall/Automne 2001. En ligne : http://www.uqtr.uquebec.ca/AE/Vol_6/Carlson/dumas.html#top
[8] La notion de dimension « co-évolutive » du paysage est ici formulée à partir des travaux du biochimiste Enzo Tiezzi. Voir : Nadia Marchettini, Enzo Tiezzi, « Capitale naturale tra sviluppo sostenibile, estetica e sacralità della Natura »,
informa
Critica, Sul Patrimonio-I, 2000. En ligne : http://www.informacritica.it/informacritica/2000/tiezzi.pdf
[9] Voir le numéro 5 de la revue
Sonorités (Nîmes, Champ social éditions, septembre 2010) consacré à « Traditions Créations Instruments Signes » et qui interroge la pratique et la théorie musicales à partir des instruments sonores, notamment ceux d’extérieur.
[10] Alain Gras,
Fragilité de la puissance. Se libérer de l’emprise technologique, Paris, Fayard, 2003, p. 33.
[11] R. Murray Schafer,
Le paysage sonore, Paris, J.-C. Lattès, 1979, p. 116.
[12] Ibidem.
[13] Ibidem, p. 117.
[14] Ibidem.
[15] Alain Gras,
Fragilité de la puissance. Se libérer de l’emprise technologique,
op. cit., p. 16.
[16] Ibidem, p. 22.
[17] Agence européenne pour l’environnement (AEE),
Bruit,
http://www.eea.europa.eu/fr/themes/noise
[18] Cf. Alain Corbin,
Historien du sensible. Entretiens avec Gilles Heuré, Paris, La Découverte, 2000 ; Jean-Pierre Gutton,
Bruits et sons dans notre histoire. Essai sur la reconstitution du paysage sonore, Paris, PUF, 2000.
[19] Paolo D’Angelo,
Estetica della natura. Bellezza naturale, paesaggio, arte ambientale, Roma, Laterza, 2001.
[20] « Le “septième” où ils logeaient semblait être à une hauteur vertigineuse. On y découvrait un paysage sonore et profond qui se prolongeait jusqu'à la trainée sombre des collines de Sèvres. » Marguerite Duras,
Les impudents, Paris, Plon, 1943. Une nouvelle édition a été publiée par Gallimard en 1992. Les extraits ici transcrits sont tirés de l’édition Folio (2007, p. 13).
[21] Pierre Mariétan, « Milieu et environnement » dans
La musique dans la vie, OCORA/ORTF, Paris novembre 1968.
[22] R. Murray Schafer, « Préface à l’édition française » dans
Le paysage sonore. Le monde comme musique, Marseille, Wildproject, 2010, p. 13.
[23] R. Murray Schafer,
The Tuning of the World, New York, A. Knopf, 1977.
[24] R. Murray Schafer,
Le paysage sonore, Paris, Jean-Claude Lattès, 1979. Traduction de Sylvette Gleize.
[25] Carlotta Darò, « Architectes du son. Entretiens avec Pierre Mariétan et R. Murray Schafer »,
Sonorités, n° 3, décembre 2008, p. 145-156.
[26] Makis Solomos,
De la musique au son. L’émergence du son dans la musique des XXe-XXIe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 481.
[27] Dans le contexte anglo-saxon « acoustic ecology », « ecoacoustics », «
soundscape studies », «
soundscape ecology ». Dans le contexte francophone « écologie sonore », « écologie acoustique », « paysage sonore ».
[28] Le premier colloque international dédié à l’éco-acoustique a eu lieu à Paris du 16 au 18 juin 2014. « Conçue par le Muséum national d’histoire naturelle, le CNRS et l’université d’Urbino en Italie, cette rencontre [a réunie] près de 120 chercheurs du monde entier. »
CNRS Le journal, https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-biodiversite-sur-ecoute
[29] C’est ainsi que j’avais défini, à cheval des années 1980-1990, cette matrice sensible occidentale. Cf.
Visions techniciennes, Nîmes, Théétète, 2004.
[30] Eugenio Turri,
Il paesaggio e il silenzio (2004), Venezia, Marsilio, 2010, p. 9.
[31] Bruno Snell,
La cultura greca e le origini del pensiero europeo, Torino, Einaudi, 1963 et 2002, p. 23. (Tit. or. :
Die Entdeckung des Geistes. Studien zur Entstehung des europäischen Denkens bei den Griechen, Hamburg, Claassen Verlag, 1946). Je traduis les différents extraits de l’œuvre de Snell à partir de la traduction italienne, langue dans laquelle j’ai lu cet auteur.
[32] Ibidem.
[33] Giovanni Reale, « Che cosa dice Platone all’uomo d’oggi » dans l’ouvrage collective,
Panorami filosofici, Padova, Franco Muzzio, 1991, p. 91. [Je traduis].
[34] Jean-Pierre Vernant,
Religions, histoires, raisons, Paris, Maspero, 1979, p. 120.
[35] André Lalande,
Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, 1926 et 1993, vol. I, p. 445 : article « Idée ».
[36] Martin Heidegger, « La question de la technique » in
Essais et conférences, Paris, Gallimard, 1958, p. 27. (Tit. or. :
Vorträge und Aufsätze, Pfullingen, 1954. Traduction d’André Préau).
[37] Ibidem.
[38] J’utilise ici une terminologie duchampienne. En effet, selon Marcel Duchamp, la dimension rétinienne renvoie à un regard à la fois fonctionnel et litteralisant, incapable de dépasser le côte « physique ».
[39] Gilbert Hottois,
Le signe et la technique. La philosophie à l’épreuve de la technique, Paris, Aubier, 1984, p. 28.
[40] David Howes et Jean-Sébastien Marcoux, « Introduction à la culture sensible »,
Anthropologie et Sociétés, vol. 30, n° 3, 2006, p. 7-17. (En ligne, URI :
http://id.erudit.org/iderudit/014922ar / DOI : 10.7202/014922ar ).
[41] Cf. Constance Classen, « Foundations for an Anthropology of the Senses »,
International Social Science Journal, volume 49, issue 153, 1997, p. 401-412.
[42] Juhani Pallasmaa,
Le regard des sens, Paris, Éditions du Linteau, 2010 (tit. or. :
The Eyes of the Skin. Architecture and the Sens, 2005. Traduction : Mathilde Bellaigue).
[43] Augustin Berque, « Ethique et esthétique de l’environnement : la lumière peut-elle venir d’orient ? »,
Critique, n° 577/578, Juin-Juillet 1995, p. 42. Pour Berque, ce paradigme renvoie à « Bacon (la méthode expérimentale), Galileo (la fin du géocentrisme), Descartes (la séparation du sujet et de l’objet) et Newton (l’espace universel) »
[44] Eugenio Turri,
Il paesaggio e il silenzio (2004), Venezia, Marsilio, 2010, p. 13-14. (Je traduis).
[45] Felix Guattari,
Les trois écologies, Paris, Galilée, 1989.
[46] « Le principe dialogique peut être défini comme l’association complexe (complémentaire/concurrente/antagoniste) d’instances,
nécessaires ensemble à l’existence, au fonctionnement et au développement d’un phénomène organisé. » Edgar Morin,
La méthode 3. La connaissance de la connaissance. Anthropologie de la connaissance, Paris, Seuil, 1986, p. 98.
[47] Dictionnaire
Le Petit Robert, 1993 : item « Objet ».
[48] CNRT-CNRS en ligne :
http://www.cnrtl.fr/etymologie/sujet
[49] Etienne Souriau,
Vocabulaire d'esthétique, Paris, PUF, 1990, item : « Présence », p. 1171.
[50] Paul Virilio,
L’art à perte de vue, Paris, Galilée, 2005.
[51] Yves Bonnefoy, « Entretien avec Fabio Scotto »,
Europe, 81
e année, n° 890-891, juin-juillet 2003, p. 56 (cité dans : James Michels, « Matière faite voix »,
Sonorités, n° 2, décembre 2007, pp. 137-147).
[52] « Car percevoir l’infini dans un arbre ou une pierre ou une personne, c’est donc reconnaître de quoi est faite leur présence ici devant nous, en son unité : et combien alors cette présence se montre-t-elle différente de toutes les autres possibles, combien vertigineusement est-elle ce qu’on ne verra jamais ailleurs ou une autre fois ! » Yves Bonnefoy,
Art et nature les enjeux de leur relation, Tesserete/Lugano, Pagine d’arte, 2009, p. 16.
[53] Cf. Claude Romano,
Il y a, Paris, PUF, 2003.
[54] Cf. Augustin Berque,
Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 2000, p. 10.
[55] La notion d’holisme a été parfois sevèrement critiquée. Augustin Berque, par exemple, dans son livre
Être humains sur la terre (Paris, Gallimard, 1996, p. 69) voit dans l’holisme « une ontologie où, au sein de la même catégorie d’être, l’être général l’emporte en valeur sur l’être particulier ». Cette signification du terme ne correspond pas à celle employée dans ce texte.
[56] Cf. François Jullien,
Vivre de paysage ou l’impensé de la Raison, Paris, Gallimard, 2014, p. 25-26.