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Transsubstantiation vs. transformation de la matière

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Table des matières

Introduction

Si les nanosciences changent considérablement notre façon d’appréhender la matière, nous proposons ici une réflexion autour d’une œuvre crée en 2011 par l’artiste Stéfane Perraud, La Règle de trois + 1, qui interroge ces nouvelles technologies par un questionnement à la fois historique, artistique et scientifique sur le thème de la transformation.

Ce travail fait appel à l’iconographie religieuse du Christ pour dialoguer avec les notions de transformation de la matière dans la chimie moderne et dans la sculpture contemporaine. L’œuvre consiste en la restauration des bras de quatre Christ anciens à travers quatre techniques différentes mettant en jeu l’or et le collagène.

Ce travail pose différentes questions liées à la chimie moderne et à l’alchimie. De la transmutation des métaux à leur transformation quand ils sont réduits à des dimensions nanométriques, Stéfane Perraud tente de mettre en résonance la transsubstantiation du Christ lors de l’Eucharistie et la transformation des métaux grâce aux nanosciences.

Ce projet sculptural est né dans le cadre de l’Open Lab (résidence d’artiste au sein de laboratoires de chimie, dans le cadre de l’année internationale de la chimie en 2011) entre le Laboratoire de Chimie de la Matière Condensée et le Laboratoire de Réactivité de Surface, Laboratoire du CNRS et de l’Université Pierre et Marie à Paris. Il a regroupé et impliqué les chercheurs Nadine Nassif, Niki Baccile et Alban Letailleur du LCMCP, et Catherine Louis, Xavier Carrier, et Vincent Humblot du LRS.

A- Présentation de l’œuvre, La règle de trois + 1

L’image du Christ est l’une des figures majeures de l’art. C’est très certainement le corps le plus représenté dans toute l’histoire occidentale, il devient par ce biais un corps presque universel, atemporel. Toucher au corps du Christ, c’est en quelque sorte toucher à la création la plus achevée de Dieu.

C’est autour de ce concept que Stéfane Perraud conçoit le projet La Règle de trois + 1. Il propose de faire coexister art, science et iconographie religieuse afin de révéler leur similitude et leur velléité créatrice. L’artiste se pose ainsi en « démiurge d’une alchimie de la matière », comme l’était l’alchimiste au Moyen Âge, lorsqu’il accomplissait la transmutation des métaux vils en or. Ce projet explore différents sujets formels et esthétiques : celui de la retranscription contemporaine de l’iconographie du Christ, d’une vision artistique de la restauration d’une œuvre d’art et enfin, grâce aux nanosciences, de la création d’une sorte de « miracle nanotechnologique ».

La Règle de trois + 1 est composée de quatre sculptures anciennes du Christ, ayant perdu leurs bras. Trois paires de bras seront restaurées avec de l’or et la dernière avec du collagène.

[Figure 1]

Nous commencerons par détailler les trois premières sculptures en bois et ivoire qui constituent « la règle de trois ».

Cesare Brandi affirmait : « Le présent doit sauver le passé pour le transmettre au futur ».1

Le mot « restauration » représente l’unique moyen de préserver l’œuvre de la destruction, en gardant « l’aspect historique de son passage dans le temps ».

L’or, qui est l’un des symboles de l’inaltérabilité, se prête parfaitement au jeu de la restauration. L’artiste assure cette restauration, qui consiste à recouvrir des bras en polymère moulés, en choisissant de colorer les bras avec trois états de l’or : des nanoparticules d’or roses, des nanoparticules d’or bleues et de la feuille d’or.

Ces deux états de l’or, rose et bleu, sont issus de techniques de synthèse des nanoparticules d’or stabilisés sur des oxydes.

Le choix de ces trois couleurs appelle une citation de la fameuse trinité qu’Yves Klein utilisa pour son ex-voto à Sainte Cascia en 1961 : le bleu, le rose et l’or. (cf. photo de l’œuvre)

Les nanosciences nous permettent de réaliser l’impossible alchimie en réunissant ces trois couleurs de même nature chimique : Au (or), tandis que les poudres de Klein étaient faites de pigments.

L’œuvre est par ailleurs traversée par une symbolique liée au chiffre 3 : 3 Christ, 3 paires de bras, 3 matériaux, 3 couleurs. En outre, la réalisation d’une statuette de Christ en croix doit se faire en 3 temps. Un sculpteur ne pourra que très difficilement tailler la forme en croix dans un seul bloc de bois, d’os ou d’ivoire. Il sépare alors le corps du Christ en 3 parties.

[Figure 2]

Dans la quatrième sculpture (« + 1 »), l’image du Christ se composait normalement de trois parties sculptées en os jusqu’à la perte des deux bras. La technologie du collagène condensé rend possible quelque chose qui ne peut a priori l’être. Cette technologie mise en place par Nadine Nassif au LCMCP imite la structure de l’os à un point jamais égalé. De l’impossibilité à sculpter le Christ d’un bloc, Stéfane Perraud a décidé de le restaurer en greffant au corps osseux une paire de bras de même nature.

[Figure 3][Figure 4]

B – Collaboration art/science

Ce projet n’aurait jamais eu lieu sans la rencontre de Stéfane Perraud avec des chercheurs en chimie et sciences des matériaux. Il s’agit donc d’une pure création collaborative. Comme mentionné plus haut, Il engage un ensemble de chercheurs en chimie de divers horizons.

Nous avons choisi, Catherine Louis et moi-même, de co-écrire cet article car notre collaboration autour des nanoparticules d’or fut capitale pour la création du projet.

B-1.0 – Démarche préparatoire de Stéfane Perraud

M’intéressant à la lumière dans ma recherche plastique, mon point de vue était jusqu’alors tourné vers la physique. Lors de cette résidence, je me suis intéressé à la chimie, mais toujours dans le but de mieux comprendre le domaine de la lumière. J’ai donc choisi l’or, car il est l’une des représentations physique et symbolique de la lumière. Certains alchimistes pensaient au Moyen Âge que l’or provenait du grand luminaire céleste puisqu’il en revêtait la couleur. En effectuant cette recherche, j’ai pu à la fois continuer mon travail initial et explorer de nouveaux horizons plastiques.

Je m’intéresse aussi à l’éthique et au statut des sciences dans nos sociétés modernes. Les nouvelles technologies de la chimie sont encore mal connues du public et peuvent être mal perçues. Il m’a paru intéressant de soulever un débat au travers d’une figure majeure de l’art et de la religion. Disséquer ou opérer le Christ amène à des questions d’éthiques importantes sur le corps humain, que nous verrons plus bas grâce à l’eucharistie.

B-1.1 – La sculpture remise en question par le matériau

« Il existe une couleur or, mais ce n’est pas celle dont Rembrandt s’est servi pour donner à voir un casque doré. »2
Ludwig Wittgenstein

Cette description que fait Wittgenstein de L’Homme au casque d’or pose un certains nombres de questions sur la représentation d’un matériau. Capturer « le réel » du matériau passe d’abord par une ré-appropriation de celui-ci. C’est avant tout en retranscrivant sa lumière, sa couleur et sa texture que Rembrandt parvient le mieux à décrire la réalité du matériau. Je partirai de cet exemple pour décrire mon raisonnement.

Dans un premier temps, la rencontre avec les chimistes m’a permis de mener une réflexion sur la transformation et l’hybridation des matériaux avec l’apparition des nanosciences. Les multiples innovations et applications des nanosciences remettent en question la matière elle-même. Prenons l’exemple des nanoparticules d’or qui transforme les propriétés du métal puisque, d’un jaune brillant métallique, on passe à un rose ou à un bleu mat.

[Figure 5]

Les nanosciences mettent à nu l’invisible. J’imagine cette opération scientifique comme un mouvement qui irait de « l’intérieur vers l’extérieur », de la manière dont on retourne un sac vide. En montrant « l’intérieur » de la matière, on en déduit un autre caractère. En travaillant sur les nanoparticules d’or, je tente à la fois une réflexion sur le matériau et sur la sculpture.

La sculpture et le matériau sont de fait inséparables. Le sculpteur travaille la matière pour en faire émerger une forme. La sculpture peut être désignée comme l’harmonie du combat entre le faiseur et la matière.

«Dans la sculpture Être fleuve, Giuseppe Penone identifie le geste du sculpteur à celui du fleuve qui, avec le temps, transforme la pierre originaire en galet travaillé par les mouvements et les chocs qu’il lui fait subir. »3

[Figure 6]

En transformant les matériaux à l’état nano, la chimie moderne interroge les symboles qu’ils véhiculent. Lorsque j’utilise un matériau comme l’or, qui contient une grande charge symbolique, qu’advient-il s’il perd son aspect? Perd-il son symbolisme du même coup ? Si je dis au spectateur « ceci est de l’or » en montrant une poudre bleue, aura-t-il la possibilité d’y voir une quelconque symbolique ?

Le matériau utilisé ici est paradoxal, il contient de l’or, mais n’en a pas l’apparence. Ainsi à travers cette recherche, je tente de questionner la sculpture et son évolution. Qu’adviendrait-il de la sculpture si les matériaux perdaient leur logique symbolique ?

La Règle de trois +1 tente de soulever ces questions en invoquant la figure universelle du Christ. Ainsi, je désire à travers cette sculpture/installation révéler à nouveau la valeur symbolique de la matière.

B-1.2 – Art/science/religion

Je tente ici de faire cohabiter art, science et iconographie religieuse dans le but de soulever une réflexion sur la transformation de la matière et du symbole dans le champ de l’art.

Comme je le dis plus haut, ce projet est collaboratif. Les chercheurs m’ont proposé un ensemble de matériaux et de projets possibles. J’en ai retenu deux, l’or et le collagène. Les trois premières paires de bras sont constituées de polymère moulé. Les bras sont ensuite recouverts des différentes poudres constituées de nanoparticules : des nanoparticules d’or stabilisées sur oxyde de titane (bleu), des nanoparticules d’or sur alumine (rose) et enfin des feuilles d’or pour la troisième paire de bras. La dernière paire de bras est constituée par un moulage à base de collagène condensé.

La restauration des statuettes de Christ de bois et d’ivoire est envisagée afin de les mettre en résonance avec l’or et ses différents états. La figure du Christ désigne à la fois l’immatériel, la transformation et l’inaltérable. La symbolique de l’or contient elle-aussi ces trois notions. Je tente d’établir trois liens :

– L’immatériel est ici représenté par la symbolique de la lumière via l’or et la présence du corps mystique du Christ.

– La transformation est figurée par le travail chimique des nanosciences en regard avec la transsubstantiation du Christ lors de l’Eucharistie (voir paragraphe sur l’Eucharistie).

– L’inaltérabilité chimique du matériau or est mise en abîme avec l’image du Christ. En étant considéré comme le fils de Dieu, le Christ devient à son tour immortel.

Par ces choix, je tente de redonner à la matière sa charge symbolique. Ces trois points symboliques rapprochent le Christ du matériau or. Nous verrons dans le paragraphe suivant que certains alchimistes voyaient aussi dans la transmutation des métaux, un parallèle avec la passion du Christ.

B-2.0 – Démarche scientifique, par Catherine Louis

Avant de résumer le cheminement de la démarche scientifique qui a conduit à la collaboration avec Stéfane Perraud, il semble utile de préciser que l’on qualifie de nanoparticules, des particules dont la taille est de l’ordre du nanomètre (nm), c’est-à-dire de quelques millionièmes de millimètres. Elles sont invisibles à l’œil nu et leur observation requiert l’usage de la microscopie électronique. En raison de leur faible taille, elles sont instables et, afin d’éviter qu’elles s’agrègent et grossissent, elles doivent être stabilisées, soit sur un substrat solide, soit en solution par des molécules organiques. De plus, leur faible taille leur confèrent des propriétés différentes de celles du matériau massif.

Nous avons proposé à Stéfane Perraud d’exploiter les propriétés chromatiques exceptionnelles des nanoparticules d’or pour mener son projet.

Il faut savoir que l’or sous forme de nanoparticules perd ses propriétés de métal noble, autrement dit son caractère inaltérable et inoxydable, ainsi que sa couleur jaune brillant si caractéristique, autrement dit, l’or tel qu’on le connaît disparaît. Les nanoparticules d’or prennent des couleurs qui varient du rouge au bleu selon leur taille, leur forme et le substrat qui les stabilise. Ainsi, les nanoparticules d’or, invisibles à l’œil, peuvent se matérialiser par le biais de leur couleur.

Nous pouvions synthétiser pour Stéfane Perraud, des particules d’or bleues et roses en jouant sur le substrat stabilisant, poudre d’oxyde de titane ou d’alumine (blanche dans les deux cas). Ces nano-matériaux font précisément partie de ceux que nous préparons et étudions au LRS pour leurs propriétés catalytiques : les catalyseurs permettent d’accélérer la vitesse d’une réaction chimique sans être consommé durant le processus. Ces catalyseurs sont présents dans de nombreux procédés de la vie courante (pots catalytiques pour les automobiles, fours ménagers auto-nettoyants, élimination des polluants de l’eau…), ainsi que pour la synthèse de produits aussi variés que les médicaments, des textiles, les matières plastiques… Les nanosciences sont au cœur de la catalyse et les particules d’or constituent l’un des exemples emblématiques de catalyseurs qui nécessitent une taille nanométrique. L’or, qui est le métal le plus noble, c’est-à-dire le moins réactif, a longtemps été considéré comme catalytiquement inactif. C’est seulement à la fin des années 1980 que l’on a découvert ses propriétés catalytiques tout à fait remarquables dans la réaction d’oxydation du monoxyde de carbone (CO + 1/2 O2 → CO2) à température ambiante, réaction qu’aucun autre métal n’est capable de catalyser à si basse température. La clé de cette découverte est directement liée à la capacité de préparer des nanoparticules d’or de taille inférieure à 5 nm, déposées sur des oxydes.

La démarche de collaboration avec Stéfane Perraud participait, en premier lieu, d’un intérêt de notre part pour l’art contemporain. D’autre part, elle était l’occasion de confronter la démarche de création scientifique à celle de création artistique et d’ouvrir notre propre champ de réflexion. Nous étions aussi très curieux de voir comment un artiste pourrait s’approprier et transformer l’objet de nos recherches.

Le très bon contact que nous avons immédiatement établi avec Stéfane Perraud, en raison notamment de sa sensibilité et de son intérêt pour la démarche scientifique, a rapidement levé les doutes quant à la possibilité d’une réelle collaboration. La conception de l’œuvre a résulté de plusieurs visites au laboratoire et d’une série de discussions qui ont généré des allers-retours entre la vision artistique de Stéfane Perraud et les contraintes pratiques liées à l’exécution du projet que nous lui opposions. Contrairement à ce que nous pensions au début du projet, il ne s’est pas contenté de récupérer nos matériaux pour les mettre en forme mais il a revêtu la blouse blanche pour réaliser lui-même des synthèses de nanoparticules, comme n’importe quel chercheur du laboratoire.

Nous avons réalisé que la création artistique procède du même cheminement que la recherche, qu’elle s’appuie d’abord sur une idée, mais que le concept et la mise en application sont indissociables et se nourrissent l’un l’autre. Le concept se met en place en créant l’œuvre, de même que le concept scientifique est validé au fil des expériences.

C – De l’alchimie aux nanotechnologies, mystique et science

« L’or des alchimistes anciens peut s’extraire effectivement de tout. Mais ce qui est difficile, c’est de découvrir le don qui est la pierre philosophale et qui existe en chacun de nous. »4
Yves Klein.

La transformation des matériaux s’est faite au cours du temps de façon empirique. Par exemple, en créant des alliages entre certains métaux, l’homme crée des matériaux aux nouvelles propriétés. L’alchimie a participé depuis le début de notre ère à ces découvertes. L’un des buts les plus connus de l’alchimie était de transmuter les métaux vils en or. L’or est donc placé à un très haut niveau de noblesse. Il est pour les alchimistes le matériau parfait.

« Etienne-François Geoffroy, l’un des chimistes français les plus réputés au début du XVIIIe siècle, présenta le 15 avril 1722 à ses collègues de l’Académie royale des Sciences un mémoire intitulé “Des supercheries concernant la pierre philosophale”. Plutôt que de voir dans ce texte, comme on le fait trop souvent, la preuve d’une rupture entre les absurdités supposées de l’alchimie et la rationalité de la chimie, on montrera au contraire que la chimie de l’époque, tout en marquant sa nouveauté et son inscription dans les sciences de son temps, n’entendait pas renier les travaux des alchimistes qui firent son passé. »5

Selon Bernard Joly, un certain nombre d’alchimistes créèrent des théories de la matière qui n’avaient rien à voir avec l’ésotérisme. Leur but était de comprendre les secrets de la nature en cherchant à l’imiter, par exemple en essayant de reproduire des matières nobles, par exemple, fabriquer des pierres précieuses ou de l’or.

L’alchimie était donc une proto-chimie qui à force d’expériences empiriques s’efforçait de reproduire la nature et de comprendre la matière. Pour beaucoup d’alchimistes, jusqu’au XVIIe siècle, il n’était pas irraisonnable que la transmutation des matériaux soit possible.

Pendant le XIIIe siècle, nous retrouvons d’ailleurs deux termes fort intéressants, l’aurifiction et l’aurifaction. Le premier signifie, comme le mot l’indique, une fiction de transmutation des matière en or, il ne fait qu’imiter le matériau. Certains alchimistes, par exemple pouvaient faire passer des alliages de cuivre pour de l’or. Le second terme, « aurifaction », signifie la transmutation grâce à la Pierre philosophale des matières viles en matière précieuse. De ces deux termes très proches, nous voyons se dégager deux courants au sein des alchimistes : les rationalistes et les mystiques.

Pour certains chimistes chrétiens, et nous revenons à notre sujet par ce biais, l’alchimie pouvait être comprise dans un sens religieux. En 1330, Petrus Bonus parle du processus du Grand Œuvre « qui correspond à la vie humaine (conception, gestation, naissance, croissance, mort), il correspond aussi aux mystères de la religion chrétienne (incarnation et passion du Christ, Jugement dernier, mystère de la Sainte-Trinité) ».6 Le Grand Œuvre est considéré comme la découverte de la pierre philosophale en alchimie.

Titus Burckhardt, dans son livre sur l’alchimie, dit que « du point de vue des chrétiens, l’alchimie était une sorte de miroir naturel offert aux vérités révélées : la pierre philosophale qui change les métaux vils en argent ou en or, est un symbole du Christ ».7

Ce qui est intéressant de remarquer dans la conférence de Bernard Joly à l’UPMC, c’est sa recherche d’un passé historique pour le monde de la chimie. Il le trouve donc au sein de l’alchimie, en nous mettant en garde contre le charlatanisme, mais en gardant une réserve sur les croyances de certains pour le Grand Œuvre.

À cette époque, la religion et l’État ne formait qu’un corps et les alchimistes étaient pour la plupart croyants. Le vide scientifique pouvait donc être comblé par un certain mysticisme. Nous pouvons noter alors une grande forme d’imagination au sein de la communauté d’alchimistes dite mystique, qui faisait d’eux de grands créateurs d’images ou de symboles.

[Figure 7]

Quelle est aujourd’hui la part de mysticisme chez certains scientifiques ? N’y a-t-il pas, dans l’activité de certains d’entre eux, un caractère démiurgique à vouloir modifier les règles de la nature ?

D – L’Eucharistie, transformation du corps en matière, le corps universel

« Car s’Il a pris un corps passible et mortel au sein de la Vierge Marie, c’était pour s’unir à Lui toute chair, pour être le Premier-né d’une grande famille de frères, ou mieux encore, pour être la Tête d’un immense Corps mystique ».8

L’eucharistie est la célébration de l’action de grâce qui a permis la résurrection de Jésus et sa transformation. Le pain devint sa chair, et le vin son sang : c’est la transsubstantiation. Le Christ naît sous la forme humaine, meurt sur la croix, sacrifie sa personne et ressuscite. Il demande alors aux hommes de partager son corps comme nourriture spirituelle et son sang en tant que nouvelle alliance avec Dieu. Par la matière réelle et spirituelle, le Christ devient universel.

Stéfane Perraud s’intéresse à la figure du Christ car elle opère un changement d’ordre métaphysique sur la matière ; d’une autre manière, les nano-sciences transforment notre regard sur elle.

E – Ethique et mutation des perspectives scientifiques

En guise de conclusion, nous parlerons ici de la sculpture « + 1 » de La Règle de trois + 1, le Christ en os. Stéfane Perraud tente de réfléchir sur la transformation du corps universel et donc du nôtre.

[Figure 8]

La greffe opérée sur un Christ en os a quelque chose de médical. L’idée est ici de refaire pousser les bras du Christ afin de créer un monolithe osseux comme si le tibia de mouton avait poussé en croix. Cette aberration technologique nous amène à réfléchir sur l’éthique en regard des nouvelles techniques scientifiques.

Dans sa conférence sur l’histoire des sciences,9 Bernadette Bensaude-Vincent parle d’une dissolution de la nature par les nanotechnologies, car celles-ci ne verraient la nature qu’en pièce détachée. Les nanotechnologies seraient donc à l’initiative de l’effacement de la frontière entre le vivant et l’inerte, en accédant aux briques élémentaires des molécules ou des atomes. Elles participeraient de la transformation du regard posé par le chercheur sur la nature en un regard ingénieur et conduiraient à considérer l’atome comme le dispositif d’une machine et la cellule comme une usine.

Croyons-nous vraiment que la nature est plastique à ce point ? Et que l’homme peut la manipuler comme il le désire ?

On peut donc envisager deux visions différentes de l’activité démiurgique. L’une se placerait du côté de la représentation, l’autre dans la refonte de la nature par la matière organique ou inerte.

Citer cet article

Catherine Louis et Stéfane Perraud, « Transsubstantiation vs. transformation de la matière », [Plastik] : Nano #03 [en ligne], mis en ligne le 11 février 2013, consulté le 28 mars 2024. URL : https://plastik.univ-paris1.fr/2013/02/11/transsubstantiation-vs-transformation-de-la-matiere/ ISSN 2101-0323

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