Le nanomonde : Une nouvelle « hétérotopie » ?
Dominique Peysson
Nr 03 . 11 février 2013
Table des matières
Résumé
Le « nanomonde » constitue un univers radicalement différent du monde tel que nous le percevons à l’échelle macroscopique et qui, par conséquent, ne peut être retraduit directement dans un langage commun accessible à tous. Une sorte d’« hétérotopie »,1 c’est-à-dire un lieu à la fois pleinement réel et absolument irréel. L’hétérotopie -nano englobe plusieurs mondes : le « nanomonde » décrit à l’échelle de l’atome et le « monde-nano » qui est le monde à notre échelle dans lequel l’homme intègre la dimension transformatrice des nanotechnologies. Les œuvres qui abordent la question des nanotechnologies se différentient selon leurs positionnements respectifs, en donnant à percevoir ce qui se joue à l’échelle nanoscopique, à l’échelle macroscopique ou en questionnant au contraire le rapport d’échelle nano/macro. L’art peut alors contribuer, par sa capacité de clarification, à construire une représentabilité partageable et à enrichir la pensée en multipliant les expériences sensibles et les images métaphoriques, hors des images fétichisées qui brident l’imaginaire collectif.
Introduction
Les nanosciences constituent un exemple paradigmatique de la science aujourd’hui, transdisciplinaire, complexe et liée très étroitement aux questionnements ontologiques sur la vie. Après l’ère du micro (microprocesseur, microordinateur) qui a été le substrat de la théorie cybernétique, la technologie toujours plus performante nous ouvre les portes sur un nouveau champ d’exploration aux potentiels vertigineux, celui de la matière à l’échelle de l’atome. Un univers radicalement différent du monde tel que nous le percevons à l’échelle macroscopique, et qui par conséquent ne peut être retraduit directement dans un langage commun accessible à tous. Une sorte d’ « hétérotopie »,2 pour prolonger la notion plus sociale de Michel Foucault, c’est-à-dire un lieu à la fois pleinement réel, en relation avec l’espace au sein duquel il se trouve, et absolument irréel puisqu’il ne peut être perçu qu’en passant au travers d’appareils de mesure ultra-perfectionnés qui ne font que le retranscrire. La dimension éthique et sociétale y est prégnante. Il est donc particulièrement important que le grand public acquière une connaissance suffisante de ces lieux et soit informé des avancées scientifiques sous quelque forme que ce soit.
L’art peut contribuer à construire une représentabilité partageable et à la mettre en questions. À condition que les artistes ne se cantonnent pas à retransmettre des formules fétichisées que personne ne comprend vraiment et qui néanmoins façonnent l’imaginaire collectif. Les œuvres qui abordent la question des nanotechnologies se différentient selon leurs positionnements respectifs, en donnant à percevoir ce qui se joue à l’échelle nanoscopique, à l’échelle macroscopique ou en questionnant au contraire le rapport d’échelle nano/macro. Les différents espaces explorés de l’hétérotopie -nano iront du nanomonde au monde-nano, que nous allons expliciter.
« Nanomonde » et « monde-nano »
La particularité des nanosciences est de se situer à la fois dans notre réalité et dans un lieu qui nous est inaccessible, dont les lois sont différentes de celles que nous expérimentons à notre échelle. Selon le « troisième principe » de Michel Foucault, « l’hétérotopie a le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu réel plusieurs espaces, plusieurs emplacements qui sont en eux-mêmes incompatibles ».3
À l’inverse des poupées russes qui cachent dans leur intérieur une réplique parfaitement exacte qui ne diffère d’elle-même que par la taille, le monde matériel découvre à l’œil appareillé un « monde du dedans » qui en est à la fois constitutif et radicalement autre. L’hétérotopie -nano englobe donc plusieurs mondes suivant la dimension fictive du regardeur, avec à ses extrêmes le « nanomonde » décrit à l’échelle de l’atome d’une part, et d’autre part le « monde-nano » qui est le monde à notre échelle dans lequel l’homme intègre la dimension transformatrice des nanotechnologies. Le premier est impossible à penser, car il ne fait pas « image ». Ou plutôt il convie de nombreuses images d’Epinal glanées au fil des articles de vulgarisation, dont le poids écrase toute possibilité de nuances, sans aucun liens ni corrélations réciproques entre elles.
Comme dans toute hétérotopie, les choses y sont posées dans des sites à ce point différents qu’il est impossible de leur trouver un lieu commun. Quant au monde-nano, si l’on change d’espace tout en restant localisé au même endroit, il constitue une sorte d’« espace du dehors ». C’est « le monde », mais où les hommes, ou pour le moins certains d’entre eux, feraient un usage révolutionnaire des nanotechnologies. Il ne s’agit plus ici d’hétérotopie, mais d’« hétérochronie », le monde-nano opérant une « rupture absolue avec le temps traditionnel »,4 nous plongeant dans un univers du futur à la Star Trek où des nanorobots pourraient nous permettre d’améliorer notre espèce comme l’a été celle des « Borgs » de la série télévisée.
Les artistes qui s’intéressent aux nanosciences peuvent les aborder selon trois points de vue différents. La retranscription du nanomonde à l’échelle des atomes d’une part, les dangers et implications éthiques induites par les nanotechnologies dans un monde-nano d’autre part, ou enfin le passage imaginaire de l’un à l’autre de ces deux mondes, notamment en cherchant à représenter la différence d’échelle. La non représentabilité ou l’indicible de ces espaces et de la différence d’échelle les conduits souvent à reconstruire une néo-réalité au sein de l’informe qu’ils structurent à leur manière.onstruire une néo-réalité au sein de l’informe qu’ils structurent à leur manière.
Échelle nano. Imag(in)er le nanomonde
Les images dont nous disposons pour étayer notre représentation du nanomonde sont tributaires des instruments d’imagerie, comme le microscope à effet tunnel dont la complexité du fonctionnement induit de grandes difficultés d’interprétation. Le philosophe Sacha Loeve5 parle de ces surfaces nanoscopiques montrant des paysages aux couleurs jolies sur lesquelles il est faciles de projeter des espaces familiers. Elles ne sont que des « parodies de représentations, car elles font usage de la ressemblance et de la familiarité ».6 Elles nous conduisent à concevoir le monde nano de manière réductrice, comme un même monde en plus petit.
Les artistes peuvent ici intervenir pour nous inciter à nous déprendre de notre rapport d’adhésivité au visuel. À aborder le nanomonde par l’expérience sensible. Plutôt qu’imager le nano, il s’agira alors plutôt de l’« imaginer » de manière dynamique, c’est-à-dire de produire des scénographies induisant des gestes mentaux nous donnant un nouvel accès à la matérialité. Il ne s’agit pas de « faire image », mais plutôt de créer des relations fictionnelles entre les constituants pour les donner à penser, d’imaginer leurs « modes d’être au monde ».
À ce niveau, la manière d’aborder le nanomonde peut être conventionnaliste, comme l’a défini le physicien, mathématicien et philosophe Henri Poincaré. Pour lui, connaissance structurale et connaissance ontologique sont découplées. Seul l’invariant structurel, le jeu des relations qui se combinent et se transforment, est valide. L’usage des images et des analogies concrètes est pour lui affaire de convention, leur rôle étant de faciliter la compréhension du phénomène. Citons, par exemple, l’œuvre vdW de Xavier Bouju, Marie-Hélène Bouju et Christophe Ruetsch.7
Elle prend comme support imaginaire les forces de van der Waals, qui caractérisent les forces attractives à longue portée exercées entre deux entités (atomes, molécules, surfaces). Marie-Hélène Bouju a chorégraphié une danse en se plaçant artificiellement dans le nanomonde. Le corps y est considéré comme une masse dont le centre, élément essentiel de l’équilibre et des déplacements, peut se déplacer dans différentes parties du corps. Ce corps est donc soumis à une nouvelle recherche d’équilibre dans un univers où les lois physiques bouleversent nos repères fondamentaux. L’œuvre procède par « homologie », pour reprendre la terminologie d’Elie During.8
[Figure 1]La relation entre l’œuvre et le nanomonde est minimale dans ses moyens, puisqu’il s’agit d’une simple correspondance entre les forces d’attraction d’une molécule et une surface, et les forces imaginaires qui vont plaquer le corps de la danseuse sur la surface du sol. Les effets sont par contre très puissants, grâce aux jeux de transfert et de transduction. L’œuvre de Ludwig, Quantum Flies (2010), se positionne à l’endroit même où se repose cette question conventionnaliste : quelle image ontologique utilise-t-on pour développer la formulation théorique ?
L’artiste s’intéresse à ce qu’on appelle la dualité « onde-corpuscule », qui fait état de la capacité des particules à se comporter à la fois comme un corpuscule et comme une onde. Il procède à cette expérience de pensée qui consiste à se représenter ce qu’il se passe au niveau des particules si l’on tient compte de la mécanique quantique. Comme par exemple le principe d’incertitude d’Heisenberg, qui stipule qu’on ne peut pas localiser une particule (on ne connaît que la densité de probabilité de sa présence), et que plus on a d’informations sur son mouvement, moins on en a sur sa position.
Son œuvre immerge le spectateur dans un champ rempli de brume parcourue de lucioles fantomatiques, les ondes lumineuses interfèrent entre elles, éclatent en flashes et en éclairs. Sa volonté est de matérialiser les champs de probabilité et les fonctions d’onde, les donnant à ressentir, non pas comme traduction littérale et macroscopique de ce qu’il se passe à l’échelle atomique, mais en mettant notre système réflectif en échec, incapable de saisir la logique du système. Le sentiment esthétique peut résulter de la résonance entre l’action perçue au travers de l’œuvre et une mise en action virtuelle dans notre champ mental d’imitation intersubjective, comme l’explique Louis-José Lestocart9 dans son analyse d’œuvres décrites comme des systèmes complexes.
C’est alors le caractère complexe de la dynamique de ce champ spatio-visuel qui nous renvoie à celui de la mécanique quantique. Une autre œuvre nous invite à une expérience perceptive différente, puisqu’elle permet d’écouter une vibration émise à l’échelle nanométrique, puis amplifiée, obtenue par la sollicitation d’un os de vache.10
Les vibrations ne valent pas en soi comme support pour imaginer le nanomonde, mais comme une incitation à chercher des représentations autres que celles des images vulgarisées. Le dispositif est « transmodal »,11 c’est-à-dire qu’il fait appel à l’ouïe pour convoquer des images mentales pouvant être visuelles. Pour ce faire, il ne sera pas affaire purement d’imagination, mais peut être plutôt d’« imagin’action »,12 pour reprendre les termes de Sacha Loeve. Pour lui, l’œuvre ne donnerait pas accès à une représentation, mais au fonctionnement des instruments qui agissent sur l’infiniment petit et nous rendent sensibles aux atomes. Il y a ici partage du sensible entre l’humain et le non-humain, le matériau, l’appareil et le spectateur, l’os étant capable de répondre à son environnement. Dans les années 1960, Nicolas Schöffer et les artistes de l’art cinétique cherchaient déjà à pallier l’« atrophie sensorielle »13 à laquelle conduisait la science abstraite de l’invisible, en éduquant la perception visuelle, c’est-à-dire en la mettant en action dans des situations limites – comme dans ses œuvres présentant un nombre de plus en plus élevé d’images à la seconde, tous les micro-temps.
L’« imagin’action » prise dans un sens plus large pourrait consister à exercer notre sensibilité à la réponse dynamique du nanomonde, ou à sa manière d’être au monde plus qu’à son état d’être, comme avec les vibrations nano-sonores de Transjuicer B. Notre réaction sensible intersubjective nous permettra, grâce à la réponse macroscopique du matériau, d’entrer en relation avec le mécanisme nanoscopique qui est à son origine.
Différence d’échelle. Du nanomonde au monde-nano
Les nanolithographies de ciels étoilés d’Alain Josseau et Laurence Ressier sont des mises en abîme qui nous laissent à mi-parcours entre l’infiniment petit des étoiles et leur représentation nanoscopique par oxydation d’un support silicium. Une œuvre qui est à rapprocher de celle de Victoria Vesna et James Gimzewski, qui ont photographié un mandala réalisé par des moines tibétains à partir de sa taille d’origine de deux mètres jusqu’à la structure moléculaire des grains de sable qui le composaient, et de celle d’Alessandro Scali et Robin Good, donnant à (aperce)voir une sculpture de chameau suffisamment petite pour entrer dans le chas d’une aiguille.
Un (tout) petit art, comme l’appelle Jean-Marc Lévy-Leblond14 qui nous rappelle que cet attrait pour le minuscule n’est pas récent – comme l’atteste le livre The Art of Small Things de John Mack15 qu’il nous conseille. La loi des puissances de dix, qu’elle soit exprimée de manière directe ou métaphorique, procède du cinquième principe énoncé par Foucault pour les hétérotopies : elle est censée constituer « un système d’ouverture et de fermeture qui, à la fois, les isole et les rend pénétrables ».16 Ainsi, les nanosculptures de Loris Gréaud, présentées à la Freeze Art Fair en 2006 sans système de visualisation : les photos des sculptures, seules preuves de la bonne foi de l’artiste, montrent que toute entrée non appareillée dans le nanomonde est impossible. L’œuvre établit ainsi la limite entre le dedans et le dehors, son libre accès adjoint à sa non-communication.
Échelle macro. La dimension sociale du monde-nano
Les productions artistiques n’ont pas vocation à expliquer, ni à rationaliser. Loin de simplifier les choses, elles étendent notre champ des possibles, orientent notre regard vers le hors-champ, exercent notre capacité à douter. Non pas pour nous perdre, mais pour mettre en doute nos convictions, nos percepts, écarter la trivialité pour imaginer de nouvelles connections. La nanoscience est très jeune et, comme toutes les nouvelles avancées scientifiques, elle apparaît encore comme très floue dans l’imaginaire collectif. Ses potentialités annoncées sont immenses. Pour certaines. Ou surévaluées pour d’autres. Les discours se croisent, les intérêts financiers viennent dénaturer le débat.
Les promesses sont considérables, voire même infinies, l’imagination est sans limites, portée par les nouveaux possibles de phénomènes inédits aux origines physiques très variées. Le phénomène de mode s’emballe et nombreux sont les laboratoires qui rebaptisent leurs axes de recherche en leur accolant le préfixe nano-. Les quelques romans de science-fiction, comme Engines of creation,17 en 1986, et Prey,18 en 2002, qui tronquent les connaissances scientifiques pour les rendre abordables, ont donné l’illusion qu’il était possible pour tout un chacun de penser la manipulation des atomes comme les briques d’un jeu de lego, en mettant de côté la complexité des interactions en physique quantique. L’art peut prendre pied dans cette hétérotopie ou à ses frontières, et y nourrir l’« hétérotopologie », c’est-à-dire « une espèce de contestation à la fois mythique et réelle »,19 selon les termes de Foucault.
Ainsi, les travaux de l’artiste Michael Burton consistent à se saisir d’idées simplificatrices, d’images fétichisées, pour les pousser à leurs extrêmes. À enrichir la pensée en multipliant les expériences sensibles et les images métaphoriques. À produire des analogies ou des anamorphoses. Dans la video nanotopia (2006), il donne à voir une séquence de vie dans un monde-nano, où le visage d’un homme sert de substrat pour faire croître des sortes de champignons gavés de son sang. Ces cultures servent ensuite de complément alimentaire à une jeune femme dans un but apparemment esthétique.
[Figure 2]Il dit envisager les rapprochements potentiels entre bio- et nanotechnologies, et leur combinaison avec le corps humain. Il envisage d’ailleurs dans d’autres œuvre,s comme The Race, la nécessité de faire face à un environnement hostile qui évolue rapidement. L’humanité y est remise en question, les transformations génétiques conduisant à un nouvel état d’être, non plus uniquement déterminé par l’ADN, mais comme un organisme évolué, partiellement animal et partiellement bactérien, microbien et parasitaire. Une évolution qui ne correspond pas à un projet eugénique, mais plutôt à une reconsidération symbiotique de l’être vivant. Si l’on se réfère encore à Michel Foucault, mais cette fois-ci au Corps utopique, on comprend que la vision futuriste d’un monde-nano passe par l’invention d’un corps qui serait « autre ».
Le corps, selon Foucault, n’est ni hétérotopique, ni même utopique, puisqu’il est « le contraire d’une utopie, ce qui n’est jamais sous un autre ciel ».20 Il bloque toute possibilité d’ici et d’ailleurs. Il s’agit alors de l’« effacer » pour pouvoir créer une sorte de corps « incorporel », comme dans les contes de fées « où les corps se transportent aussi vite que la lumière, où les blessures guérissent avec un baume merveilleux le temps d’un éclair ».21
Les transhumanistes pensent que le monde futur ne sera plus viable pour notre corps actuel. Se projeter dans l’avenir les conduit à imaginer un corps « autre », augmenté biologiquement et neurologiquement. Il est très important que le grand public puisse prendre part au débat sans se laisser abuser par un optimisme béat ni se laisser emporter par la peur de l’inconnu. Ne pas pouvoir se représenter, c’est ne pas pouvoir « penser la chose », c’est se retrouver frappé d’impossibilité. L’implication des citoyens dans l’utilisation des nanosciences est cependant primordiale. Les risques sanitaires et la dimension éthique sont à la mesure des avancées scientifiques. Le danger lié à la diffusion et à l’hyperréactivité des nanoparticules est d’autant plus important qu’il est mal connu. L’artiste Alice Wang, dans Nanotech Dystopia (2007), imagine la contre-utopie d’un monde-nano où des nano-armes, faciles à mettre au point chez soi, pourraient se répandre de manière incontrôlée et générer de terribles symptômes comme la perte de cheveux, l’apparition d’infections cutanées et la saillie de veines perçant la peau.
La manipulation de l’ADN est maintenant accessible, comme le montre Biopresence (2004), un travail des artistes Shiho Fukuhara et Georg Tremmel qui ont mis au point un système permettant d’intégrer dans l’ADN d’un arbre un fragment d’ADN d’un parent décédé. L’arbre ensuite planté deviendrait donc une sorte de mémorial vivant. Les artistes questionnent la possibilité qu’offre la manipulation génétique de plantes pour élever des protéines humaines. Cette question, l’exploitation de tests génétiques à des fins de thérapies préventives, le relevé des empreintes génétiques des individus posent un problème éthique. La liberté individuelle peut être mise en danger par l’utilisation de dispositifs miniaturisés pouvant être implantés sous la peau et permettant de ficher les individus à leur insu.
Autant de questionnements qui nécessitent débat. Les artistes contemporains y trouvent bien sûr leur place, par leur pouvoir de « clarification » selon Noël Carol,22 c’est-à-dire en nous donnant accès à une meilleure connaissance des enjeux impliqués par une expérience empirique et une immersion émotionnelle dans les œuvres représentées. La force des artistes est de ne pas se laisser porter par les discours mille fois relayés par les médias, mais de prendre le temps de construire leur propre pensée directement auprès des chercheurs. Leur travail peut nous aider à réfléchir à une intelligence de ce que nous sommes, au sens et aux possibilités de notre existence.
[Figure 3]C’est bien souvent lorsque l’artiste aura appréhendé les modes d’être au monde des nanocomposants qu’il pourra se saisir des questions ontologiques qu’ils engendrent. Ainsi, l’œuvre de Paul Thomas Nanoessence (2009), qui utilise les données d’une analyse par AFM pour observer les différences entre la vie et la mort au niveau nanométrique, à partir d’une cellule de peau vivante et d’une cellule morte. Des interfaces de « toucher » et de « respiration » permettent d’établir une relation physique avec l’œuvre au sein d’un environnement immersif, avec une visualisation topographique et des structures sonores. L’œuvre met en scène le questionnement sur la reconstruction de la nature atome par atome et sur ce que représente la vie dans un monde-nano post-humain. Un aller-retour que les scientifiques feraient bien de suivre avec grande une attention, la recherche se devant dorénavant d’introduire la dimension éthique au cœur de ses problématiques.
Citer cet article
Dominique Peysson, « Le nanomonde : Une nouvelle « hétérotopie » ? », [Plastik] : Nano #03 [en ligne], mis en ligne le 11 février 2013, consulté le 22 décembre 2024. URL : https://plastik.univ-paris1.fr/2013/02/11/le-nanomonde-heterotopie/ ISSN 2101-0323