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De multiples à multiple

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Table des matières

Remerciements

Mes remerciements s’adressent aux artistes, historien-ne-s, chercheu-rs-ses en sciences humaines et sociales qui ont contribué à ce numéro, ainsi qu’aux membres du comité scientifique réuni à cette occasion. Les articles des personnalités très diverses qui ont accepté de participer à ce numéro enrichissent cette recherche en donnant une lecture plus précise du multiple en Art.

Un remerciement chaleureux à Marie-Anne Renaud qui a relu les articles avec attention. Pour les retranscriptions, un merci appuyé à Clément Davenel.

Comité scientifique

Sylvie Coëllier, Judith Michalet, Olivier Schefer, Véronique Verstraete et David Zerbib.
Avec la participation d’Emeline Jaret.

De multiples à multiple

Ce douzième numéro propose de revenir sur la notion de multiple dans la création contemporaine et fait suite à la recherche réalisée lors des séminaires de l’année 2021 et du colloque des 19 et 20 novembre 2021. Etudiants, artistes et théoriciens invités se sont succédés, pour présenter des performances, des formes, des textes, des communications et des discussions de durées variables, au sein de la galerie Michel Journiac et de l’Ecole des Arts de la Sorbonne : Jean-Charles Agboton Jumeau, Sylvie Coëllier, Laurence Corbel, Michèle Didier, Gilles Drouault, Christophe Fiat, Valentina Gioia Levy, Emeline Jaret, Stéphanie Jeanjean, Fabrice Michel, Ghislain Mollet-Vieville, Laura Moretti, Julien Nédèlec, Jean-Christophe Nourisson, Cesare Pietroiusti, Hubert Renard, Carolle Sanchez, Andrea Saemann, Joy Seror, Magali Taureilles, Muden Water, David Zerbib, Zihue Zhou. Les séances ont fait apparaître la complexité et la teneur de la notion explorée. Ont été abordés, par les œuvres et les idées, tout autant la multiplication, la répétition, la reconstitution, la réactivation, la multiplicité, que l’unicité ou le multiple comme pratique. La notion a été réfléchie au-delà d’une catégorie d’œuvres, hors commercialisation, et en dehors de la reproductibilité technique, où le multiple constitue une évidence, et au sujet de laquelle de nombreux écrits ont déjà été publiés. Les imprimés ne sont pas écartés de nos interrogations, mais ils se différencient bien souvent des multiples, par leurs réalisations en nombre infini, en un seul matériau, exécutés à partir d’une matrice technique particulière. Le multiple a été un point de départ, sans savoir si c’était une notion, si c’était une forme en soi, une forme possible dans l’action, où cette large résonance est dans l’art contemporain par les formes entre elles, les actes entre eux, les paroles.

Cette recherche en plusieurs temps – séminaires, colloque, ce numéro de la revue [Plastik], puis exposition et publication recherche-création – s’est construite par les œuvres, choisies dans un corpus existant, international, commun à notre étude. L’exposition intitulée multiple x multiple, conçue par un comité scientifique constitué de galeristes, philosophes, artistes, critiques et doctorant(e)s en arts plastiques et cinéma, a eu lieu, de façon singulière du fait du contenu de la commande passée à une vingtaine d’artistes, entre mi-septembre et début novembre 2022 à la galerie Michel Journiac à Paris. Une publication écrite, éditée aux Editions Jannink, en sera le témoin et une source pour la recherche sur la notion de multiple. Elle complétera ce douzième numéro. Les dix articles de la revue de l’Institut ACTE répondent d’une part aux témoignages de séminaires et d’un colloque, mais d’autre part à un appel à contribution, qui rend compte d’un intérêt pour cette notion, présente à plus d’un titre dans la création contemporaine, vous le verrez en découvrant la diversité des écrits. 

Au côté des quelques articles des intervenants des séminaires et du colloque, un ensemble de communications identifient des problématiques parfois innovantes, qui mettent en relation le multiple et la création. Nous avons, dans le choix des nombreux articles proposés, resserré le champ de travail, pour concentrer notre étude sur le signe produit par une répétition de formes, d’espaces ou de concepts. Qu’il soit production industrielle, manuelle ou esthétique, le multiple permet une diffusion plus importante de l’œuvre, certes, et peut-être une compréhension plus fine, mais lorsqu’il est une pratique récurrente de l’artiste, il développe une œuvre d’une autre nature. Il s’agissait de l’identifier et de l’analyser. Pour l’anecdote, le choix d’un titre pour le numéro a été complexe. Le passage du pluriel au singulier dans le titre initial du projet : multiples à multiple rejoint l’intention de faire de chaque multiple une. Il correspond le mieux à ce qui se rapproche d’un résultat, ce que nous n’obtenons cependant pas ici. Le seul aboutissement, s’il était nécessaire d’en énoncer un, serait le constat d’une condition d’œuvre et non d’une catégorie, avec les œuvres passées et à venir comme seule réponse. L’appel à contribution, dont le but était de nourrir la réflexion et d’élargir le champ des participants, laissait une ouverture en proposant que les articles situent la variété des manières de pratiquer le multiple en Art. Trois axes contemporains identifiés au cours de la recherche ont été énoncés pour guider les participants :

– Les œuvres des artistes qui envisagent le multiple comme création à part entière.

– La signature de l’œuvre comme développement et concrétisation du multiple.

– L’aura et la fascination dans la multiplication. 

Les enregistrements des séminaires et des communications lors du colloque étaient à leur disposition. Nos attentes ont été bousculées lors de la réception des propositions. Nombreuses certes, mais particulièrement vastes, voire inclassables du fait de leurs diversités. Un nouveau constat du foisonnement du multiple comme œuvre à part entière s’est imposé.

Les articles rassemblés pour ce numéro de la revue [Plastik] rendent compte de la variété des manières de pratiquer le multiple en Art. L’ensemble propose une réflexion sur le multiple par études ou analyses de la multiplication/multiplicité dans certains domaines artistiques, de l’unicité de l’œuvre, de la signature ou du signe dans l’œuvre, ou bien encore de pratiques artistiques particulières.

Cette pratique, qui peut l’être à part entière chez l’artiste, ouvre différents champs d’action et de réflexion, tels que les stratégies de production, les effets de la multiplication, les enjeux de la reproduction, ou bien encore l’identité de l’œuvre, son unicité relative, sa sacralisation et les facteurs d’auctorialité et de signature. Et pour conclure, des cas singuliers d’œuvres, analysés dans le champ de notre recherche, composent des articles par les artistes eux-mêmes.

Voici quelques mots sur les motivations qui m’ont permis, outre l’invitation de Christophe Viart – que je remercie – à mener ce numéro sur le sujet de mon choix, d’explorer collectivement cette problématique que j’interroge dans ma création. Les sources se trouvent tout autant dans les investigations et les œuvres d’Allan Mc Collum, que dans celles de Philippe Thomas, Lygia Clark, Samuel Bianchini, Niki de Saint Phalle, Ettore Sottsass, Abbas Kiarostami, Richard Artschwager ou Wong Kar Wai. La singularité de chaque pièce, aussi mince soit-elle dans une série ou certains multiples, prédomine. Et certaines façons de travailler sont emblématiques d’une période dont nous ne sommes pas encore sortis, que la commande passée aux artistes pour l’exposition multiple x multiple et les articles publiés essaient d’éclairer. Il me semble important de ne pas enfermer l’œuvre dans sa qualité d’objet, ni dans une quelconque entité. « Chez Judd, le concept est la répétition d’une même forme ; le concept est la structure même ; il n’est en aucune façon le signifié1 ». Le cas des pièces de Donald Judd peut être passionnant lorsque l’on avance l’hypothèse que l’aura n’est pas nécessairement liée à l’unicité, parce qu’il a amorcé – certes de façon paradoxale en le réfutant dans ses écrits – cette façon de comprendre la fragmentation que nous retrouvons dans la plupart des œuvres de jeunes artistes et étudiants actuels, du numérique notamment, mais pas uniquement. L’aura, l’authenticité semblaient être remises en cause face au multiple. Cependant, ces fragments sont en relation directe avec l’évolution de l’autonomie de l’œuvre, son développement en multiples, et la relation physique qu’elle entretient avec le visiteur. L’hypothèse d’un rapport entre la discontinuité, l’interruption, le changement spatio-temporel, et une finitude ou un enchaînement, amène à considérer le passage de la sculpture à l’installation, de l’entité aux fragments, et l’inverse, en préservant la dislocation et l’éparpillement, au risque de la complexité. C’est pourquoi le multiple, -disons  hors impression papier ou support classique à deux dimensions-, me semble être un sujet à explorer.

A la notion de fragmentation telle que je l’entends, correspond celle de singularité. Signifiée et valorisée, elle est l’une des constantes actuelles de l’art, peut-être parce qu’elle est liée à une revendication de l’individualité dans un système mondial globalisant. Cette singularité est revendiquée artistiquement par bon nombre d’artistes. Elle dénote un état d’esprit dans lequel les créateurs se trouvaient déjà dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Les réalisations d’Allan McCollum sont significatives de cette singularité, et dénoncent en même temps l’élitisme d’un Art qui s’en éloigne. « Les artistes semblent accepter, sans se poser de questions, d’avoir pour destin de produire des objets rares – des objets pour un usage exclusif. C’est d’après moi la raison pour laquelle l’activité avant-gardiste reste coupée du grand public2 » énonce Allan McCollum, interviewé par Thomas Lawson en 1992. Notre période n’est plus aux courants regroupant des créateurs défendant les mêmes idées ou esthétiques, ni à une recherche collective de la nouveauté. La fin de la frontalité et la perte de l’aura de l’œuvre ont ouvert de nouvelles formes de création. A partir du moment où l’œuvre n’est plus en dehors du monde, et où son espace et celui du spectateur se rejoignent, les attitudes peuvent devenir formes, les commissaires d’exposition ou d’autres peuvent s’en emparer, la multiplication s’affirmer. Lorsque des artistes contemporains proposent à d’autres créateurs de participer à la création de leurs pièces, comme les lissiers, les philosophes, les ébénistes, les jongleurs, les céramistes, les compositeurs ou les interprètes, l’intention de ne pas porter seuls la responsabilité peut être mêlée au désir de bousculer l’authenticité. La production de multiples procède parfois du même dessein.

La performance a en ce sens un statut particulier et me semble la plus appropriée au devenir des œuvres et peut-être de l’Art. Le hic and nunc s’y manifeste de façon éminente, et traduit une expression ultime de la singularité. Le temps et l’individu qui s’y produisent sont radicalement singuliers et se montrent comme tels. Nous sommes captés et saisis, physiquement. 

Véronique Verstraete

[Figure 1][Figure 2][Figure 3][Figure 4][Figure 5]

Citer cet article

Véronique Verstraete, « De multiples à multiple », [Plastik] : De multiples à multiple #12 [en ligne], mis en ligne le 26 juin 2023, consulté le 27 avril 2024. URL : https://plastik.univ-paris1.fr/2023/06/26/3850-2/

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