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« Bargny, ici commence l’émergence » : création transmédia

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Table des matières

Introduction

Huis clos dans une commune sénégalaise confrontée à l’industrialisation, au réaménagement de son territoire et aux conséquences du changement climatique. (www.bargnyproject.com)

Sorti en 2018, le webdocumentaire intitulé « Bargny, ici commence l’émergence » propose une immersion dans une commune sénégalaise, Bargny. Ce projet interroge les impacts environnementaux et sociaux de l’industrialisation et du réaménagement du territoire, promesse de développement et d’émergence.

À 35 kilomètres de Dakar, la ville sénégalaise de Bargny est en passe de devenir la nouvelle grande banlieue industrielle de la capitale. Prise en étau entre les conséquences de la montée des eaux liée au changement climatique et sa mutation forcée vers le secteur industriel, elle semble être devenue le vaste chantier de mondes qui se meurent.

Communauté de pêcheurs, propriétaires de leurs concessions familiales héritées de génération en génération, les populations sont peu à peu dépossédées de toutes ressources et rendues dépendantes des industries installées dans la région. Face à la spéculation immobilière, aux expropriations, à la pollution et à l’appauvrissement des ressources, les habitants de Bargny s’interrogent sur ce Sénégal en devenir, inadapté aux enjeux environnementaux, économiques et sociaux.

Comme assis au bord du monde, Bargny questionne notre société et ses choix, témoin d’une marche forcée pour « l’émergence ».

Si dans ce webdocumentaire il est question d’une cimenterie, d’une centrale électrique à charbon, d’un port minéralier et vraquier ou encore d’une nouvelle ville, d’autres projets ailleurs dans le monde font écho à ces politiques controversées : usines agro-industrielles, pétrochimiques, parkings, aéroports, centre commercial ou « EuropaCity »… Ces politiques façonnent les territoires avec toujours pour justification : la modernisation, l’intérêt national, la compétition de marché et la création d’emplois.

Cartographie des fragmentations

Dans notre pratique, nous nous attachons à associer forme et fond, esthétique et contenu documenté ancré dans le réel, afin de faire sens et de développer une « compréhension critique du monde social1 ».

Au sein d’un cadre hybride où les disciplines se croisent, nous empruntons à la sociologie son arsenal méthodologique ; au documentaire de création, aux arts visuels et au journalisme, leur forme, écriture et format diffusion, selon le projet et son sujet2. Cela nous permet d’envisager de multiples formats de diffusion, dans les médias et la presse ou lors d’expositions et festivals.

Pour ce projet – présenté sous la forme d’un webdocumentaire, de publications et d’expositions interdisciplinaires –, nous avons cherché à rendre compte du processus d’industrialisation des territoires, de la façon dont ce processus remodèle les territoires et les façonne. En tant que commune impactée sur ses quatre points cardinaux, Bargny offre un huis clos qui donne à voir avec justesse les fragmentations socio-spatiales qui se dessinent au Sénégal, comme dans de nombreuses villes et territoires.

Nous avons donc établi un axe de recherche sur les quatre point cardinaux (changement climatique et conséquence d’un modèle de production au sud, ancienne usine à l’ouest, nouvelle usine à l’est et développement urbain au nord), repris comme fil conducteur pour la narration du projet, en utilisant des passages d’entretiens enregistrés sous forme de voix off.

Avant de nous rendre sur place, nous avions déjà établi la forme « webdocumentaire long- form » associant écriture, vidéo et photographie. Les vidéos – permettant parfois de plonger plus facilement dans un sujet –, viendraient ponctuer le texte qui, lui, offrirait la possibilité d’intégrer des données plus factuelles. Les capsules vidéo nous permettraient également de retransmettre les interviews et citations des habitants en y apportant texture et couleur.

Par ailleurs, nous avons préalablement défini une méthodologie inspirée des sciences humaines. En effet, nous avons réalisé une liste de profils d’intervenants et acteurs que nous souhaitions rencontrer avec l’aide et la collaboration de personnes de la localité qui nous ont aidé à appréhender les différents quartiers et zones à explorer : à savoir, des personnes directement impactées ou concernées par l’arrivée de ces grands projets, vivant dans la commune3. Cette préparation avait pour objectif d’éviter de tomber dans le micro-trottoir. Nous avons également établi au préalable un guide d’entretien propre aux différents profils. Pour cela, nous nous étions inspirés de l’enquête qualitative semi-directive4. Dans nos entretiens, nous appliquions le principe de symétrie. Nous ne préjugions pas de qui devait parler de technique, de politique ou de social5. C’est après la transcription et le croisement des sources que nous avons opéré une sélection des récits.

Nous avons également souhaité mettre en place des « focus groups » afin de bénéficier de la richesse des échanges entre les différents habitants et conférer un côté « pencoo » (terme wolof pour caractériser certaines formes de discussions, réunions collectives au Sénégal, une manière d’être en commun, d’être en partage) à certaines séquences des capsules vidéo. Cela permettait de rendre plus vivantes certaines déclarations et de les inscrire dans un quotidien. Pour chacun des ‘focus groups’, nous avions « briefé » une personne présente au sein du groupe sur les thèmes à aborder. Ces ‘focus groups’ se tenaient en wolof et étaient filmés pour la réalisation des capsules vidéos. Cela permettait de rendre plus vivantes certaines déclarations et de les inscrire dans un quotidien. Pour chacun des ‘focus groups’ , nous avions « briefé » une personne présente au sein du groupe sur les thèmes à aborder. Ces ‘focus groups’ se tenaient en wolof et étaient filmés pour la réalisation des capsules vidéos.

De son côté, la production visuelle, photographique et vidéographique fait aussi récit. Elle impose un autre temps et une autre exploration du territoire. Cette dimension nous a permis de nous plonger pleinement dans la commune, ses dynamiques et réalités. En effet, il nous fallait tourner et retourner, nous approcher et nous éloigner, pour saisir les images souhaitées au-delà de la simple illustration. Le choix du noir et blanc s’est fait assez spontanément (d’autant que Pierre Vanneste a développé sa pratique en noir et blanc et en combinant numérique et argentique). Nous souhaitions une image avec un univers fort, conférant une « uniformité » et une « intemporalité » au sujet.

Ces deux approches, l’entretien et l’image, sont pour nous complémentaires sachant que l’une introduit l’autre et inversement.

Immersions au long cours 

Depuis la sortie en 2018 de « Bargny, ici commence l’émergence » sous sa forme webdocumentaire, nous continuons de retourner régulièrement sur place afin de suivre l’évolution des transformations toujours en cours dans la commune et son devenir. Les concepts d’émergence et de modernité deviennent centraux dans l’approche du sujet et dans ce qui se construit sur le terrain avec toute sa complexité. La matière récoltée évolue au rythme du territoire et de ses impacts. Il s’agit d’un suivi dans la durée pour en saisir les temps de latence et d’incertitudes6 » et entrevoir comment ces infrastructures transforment irrémédiablement la façon dont nous vivons (travailler, communiquer, consommer). C’est ainsi que pour nous, métaphore du monde moderne, Bargny témoigne de notre histoire passée et à venir, et de ce basculement entre deux mondes.

 

[Figure 1]

 

[Figure 2]

 

[Figure 3]

 

[Figure 4]

 

[Figure 5]

 

[Figure 6]

 

Citer cet article

Laurence Grun et Pierre Vanneste, « « Bargny, ici commence l’émergence » : création transmédia », [Plastik] : En-quête de terrains : l’art de croiser les “gens” #17 [en ligne], mis en ligne le 24 septembre 2025, consulté le 07 novembre 2025. URL : https://plastik.univ-paris1.fr/2025/09/24/bargny-ici-commence-lemergence-creation-transmedia/

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