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La métamorphose des formes

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Table des matières

Résumé

L’art a en soi une composante nomade qu’il est possible de retrouver dans les nanotechnologies vues comme processus en mesure de saisir la transformation et l’organisation des formes. De l’observation de la matière à l’échelle nanométrique, il apparaît évident que la structure ramifiée d’un minéral est semblable, de par la forme et le processus d’agrégation, à la région périphérique d’un neurone ou à la structure atomique de certains polymères.

Mon intérêt pour la transformation des choses et leur processus entropique m’a permis de développer une nouvelle vision du paysage où l’aspect artificiel se superpose à l’aspect naturel, sans jamais coïncider avec, dans une dilatation graduelle de l’espace physique et mental. Mon intention est de tenter d’aller au-delà du plan perceptif traditionnel et dans toutes mes œuvres, y compris celles d’animation vidéo en 3D, j’ai continué à enquêter dans la matière à l’instar d’un archéologue dans le sous-sol à la recherche de pièces intangibles. Je suis convaincue que, pour l’artiste, l’accès au nanomonde permet de s’approcher des principes de la forme et de la création.

Texte intégral

« Qu’un poète regarde au télescope ou au microscope, il voit toujours la même chose »
Gaston Bachelard.

J’ai commencé à m’occuper d’images en nanoscopie à l’échelle nanométrique en 2003, attirée par un univers secret, invisible et mystérieux, qui va au-delà des aspects les plus évidents de la matière. Toute ma recherche n’a cessé d’être une tentative de dépasser la ligne de démarcation qui sépare artificiellement notre manière de percevoir la réalité entre la composante consciente et inconsciente, le visible et l’invisible. C’est la complexité, dans ses différents aspects, qui m’a toujours captivée et ce n’est pas un hasard si je me suis approchée avec beaucoup d’intérêt des théories du chaos et du principe d’indétermination de Werner Heisenberg.

[Figure 1]

Citant un roman de l’écrivain portugais Fernando Pessoa, je suis partie du concept d’être « une seule multitude ». Mon but était de démontrer la coexistence de formes créatives différentes qui ne mènent pas nécessairement vers l’unitarité de l’œuvre.

Dans mon travail, il y a une composante nomade que j’ai retrouvée dans les nanotechnologies,en tant que processus en mesure de saisir la transformation et l’organisation des formes. Ce que nous voyons, de manière directe ou indirecte, nous le retrouvons cycliquement dans le cosmos et dans le microcosme. Le principe d’indétermination nous dit que rien n’est mesurable et l’univers quantique nous enseigne que le vide n’existe pas et que de ce « néant » naissent constamment des particules et des antiparticules.

Ce n’est pas un hasard si, en 2009, j’ai réalisé une œuvre intitulée The God Particle (le CERN de Genève) qui analyse, d’un point de vue esthétique, le heurt entre les éléments à la recherche du boson de Higgs, la particule élémentaire mythique destinée à engendrer la masse de l’univers.

[Figure 2]

Par le truchement du nanomonde, je suis entrée en contact avec une série d’images obtenues à l’aide des microscopes électroniques et optiques les plus puissants, qui m’ont évoqué des paysages ambigus, des lieux distants qui rappellent le réel dans sa fragmentation et sa complexité. En 2006, j’ai inventé les écrans peints (screen painting) où le procédé vidéo est accompagné et contaminé par le procédé pictural, et je me suis interrogée sur la métamorphose des formes, sur leur poursuite réciproque dans des domaines divers et imprévisibles.

Dans la complexité de l’univers, la référence essentielle est une série de formes primaires qui semblent contenir en elles toutes les choses. En utilisant les images scientifiques, j’ai visité des bois, des fleurs et des poussières merveilleuses que j’ai ensuite traités en 3D. Ce procédé m’a permis de mettre en évidence leur ambiguïté en introduisant, dans certains cas, des éléments picturaux empruntés au monde animal ou végétal, peints directement sur l’écran ou sur la toile de façon à multiplier l’image comme s’il s’agissait d’un rituel zen. Le paradoxe des screen paintings consiste dans le fait que la même image, proposée à plusieurs reprises au moyen du geste pictural, est porteuse d’une unicité qui interagira avec les images numériques répliquées. Si l’auto-réplication amène la perte de la diversité, la peinture, elle, au contraire, réanime les différences.

[Figure 3]

Dans toutes mes œuvres, y compris celles d’animation vidéo en 3D, j’ai continué à enquêter dans la matière, à l’instar d’un archéologue dans le sous-sol à la recherche de pièces intangibles. Le procédé de traitement n’a jamais été passif ; je ne me suis pas bornée à observer les formes et leur agrandissement, j’ai choisi plutôt la manipulation en visant l’altération de la signification, de façon à attribuer une nouvelle identité aux éléments. Matter Waves, par exemple, est le titre de la vidéo-installation que j’ai réalisée en 2009, où les images montrent des ondes terrestres qui, dans leur flux et reflux, portent à la lumière des objets différents pour ensuite les réapproprier.

Les objets semblent être de vraies pièces ou de vrais fragments archéologiques, mais, en réalité, ce sont des nanostructures provenant d’éléments moléculaires ou de polymères. L’animation graphique en 3D est l’outil idéal pour développer un nouveau modèle formel qui ne naît pas de la manipulation de la réalité, mais de la création d’un univers parallèle qui épie le cœur secret de la matière. Une particule contient les formes mystérieuses de l’univers, qui deviennent objet de mes voyages stéréoscopiques.

[Figure 4]

Mon intérêt pour la transformation des choses et leur processus entropique m’a permis de développer une nouvelle vision du paysage où l’aspect artificiel se superpose à l’aspect naturel sans jamais coïncider avec lui, dans une dilatation graduelle de l’espace physique et mental.

Ainsi, l’art constitue une tentative d’aller au-delà du plan perceptif traditionnel en entraînant l’observateur au sein d’un univers fluide et instable, caractérisé par la désarticulation des formes selon une nouvelle hypothèse déconstructive.

[Figure 5]

Il est significatif, dans ce sens, que Neither snow nor meteor showers (2010) soit une vidéo-installation qui se répand dans l’espace à travers plusieurs types de traces de signes, notamment l’animation en 3D, la peinture et la sculpture.Comme le titre l’indique, il ne s’agit ni d’un paysage ni d’un phénomène atmosphérique, mais plutôt de l’évocation d’un ur-lieu, d’un lieu germinal, primaire, lié à la sphère pré-cognitive. L’œuvre, qui s’inspire d’une image de vitamine B2, développe un dialogue à l’unisson avec plusieurs voix différentes posées sur une même fréquence.

[Figure 6]

Migration, désagrégation et recomposition sont les caractéristiques intrinsèques d’une recherche lenticulaire. À la contemplation de l’objet, se substitue la vérification d’une hypothèse qui passe au travers du renversement de la signification. En somme, nous assistons à un monde hybride, biomorphe et nanotechnologique où art et nature tendent à coïncider.

De même, mon cycle plus récent, Zone fuori controllo (2011-2012), se relie au thème de la complexité et des nanotechnologies. La vision stéréoscopique entre en rapport direct avec l’espace réel, donnant lieu à un voyage imprévisible parmi les vagues d’une tempête, les espaces mystérieux d’une grotte, les coulées de lave d’un volcan et la collision d’icebergs monumentaux.

Ce sont des hypothèses de paysage qui englobent des formes retrouvées à l’aide du microscope électronique et qui nous font, une fois de plus, réfléchir sur le thème de la vision et de sa précarité.

[Figure 7]

En somme, chaque élément n’est pas ce que l’on croit ou que l’on s’imagine, mais se détermine dans une nouvelle perception visuelle.

Je suis convaincue que, pour l’artiste, l’accès au nanomonde permet de s’approcher des principes de la forme et de la création.

Citer cet article

Giuliana Cunéaz, « La métamorphose des formes », [Plastik] : Nano #03 [en ligne], mis en ligne le 11 février 2013, consulté le 21 novembre 2024. URL : https://plastik.univ-paris1.fr/2013/02/11/la-metamorphose-des-formes/ ISSN 2101-0323

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