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Paradigme vibratoire et recréation du futur (Entre arts et sciences : Plasticité et cosmologie)

Paradigme vibratoire et recréation du futur (Entre arts et sciences : Plasticité et cosmologie)


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Table des matières

A travers la capacité de la théorie des supercordes à générer la collaboration d’artistes et de scientifiques, ce qui mérite examen c’est la potentialité d’unification du paradigme vibratoire et les nouveaux enjeux dont il est devenu le vecteur: la « recréation » du futur et la plasticité. On verra en quoi les plasticiens, dans cet « art cosmologique », loin d’être confrontés de façon « accidentelle » à des questions qui leur viendraient des scientifiques, comme de l' »extérieur », s’avèrent explorer certaines des interrogations les plus intrinsèques à leur démarche artistique, que ce soit à travers la capacité de l’oeuvre à générer du « temps en puissance »,1 ou dans l’élargissement des valences de la plasticité. Dans son affinité avec le paradigme vibratoire, la plasticité se révèle capacité de réactualisation sans fin de la puissance d’être. S’y découvrira en quoi le paradigme vibratoire, dans ce creuset entre arts et sciences, échappe aux idéologies postmodernes du « finir » en réouvrant l’horizon de l’utopie.

1. La théorie des supercordes: des contredons entre arts et sciences aux nouveaux chemins de l’utopie

1.1. Une particule inobservée porteuse de l’utopie de la « grande unification »

Plus d’une décennie a passé depuis que J.P. Allouche pouvait déclarer: « Ce qui me frappe est le retard avec lequel les objets mathématiques se glissent dans les boîtes à outils des artistes; /…/ que je sache, personne n’utilise en art la théorie des cordes, les modules de Drinfeld ou l’analyse non-standard. »2 Contrairement à ce constat en forme de regret que dressait J.P. Allouche en 1998, il n’est plus rare aujourd’hui de découvrir des artistes, essentiellement des plasticiens, qui se réfèrent, pour l’une ou plusieurs de leurs oeuvres, à la théorie des supercordes. Générateur d’expérience touchant au sublime3 pour certains (par l’exacerbation de l’imagination face à l’infiniment grand et à l’infiniment petit,4) simple « source d’inspiration »5 pour d’autres, elle a parfois généré une véritable collaboration entre chercheurs et artistes sur laquelle nous reviendrons.

En 1998, l’essai de vulgarisation de Trinh Xuan Thuan faisait déjà référence à la théorie des supercordes, mais il n’y consacre à l’époque qu’une portion congrue assortie des « doutes » qui pèsent encore sur la prétention, exorbitante, de cette théorie, à savoir la « grande unification » des quatre forces (force électromagnétique, interaction nucléaire forte, interaction nucléaire faible, gravité). Le scepticisme des scientifiques quant aux « promesses » de cette théorie reste fort « car la théorie des supercordes n’est pas encore vérifiée expérimentalement »6 (motif rationnel), mais aussi parce que, pour cette communauté, cette résolution, par des mathématiciens, de l’utopie qui hante les physiciens depuis des décennies (la « théorie unifiée »), cela semble trop beau pour être vrai… Même pour les scientifiques, nourris de « l’idéologie du progrès », la frilosité postmoderne à l’endroit des utopies (sur laquelle nous reviendrons) a laissé des traces. L’utopie est un « pharmakon » dont on rêve comme d’un remède miracle à condition de le tenir à distance, comme un objectif lointain inaccessible, tant on est convaincu que son actualisation pourrait bien s’avérer un « poison ». Culpabilité de physiciens rongés par l’image de la bombe atomique en filigrane des découvertes de leur « maître »: Einstein? Pourtant, la théorie des supercordes ne fait pas même peur à l’époque: pur produit, immédiatement suspecté « d’inapplicable », sorti de l’abstraction conceptuelle des mathématiciens, ces « artistes » dont les raffinements théoriques par trop sophistiqués répugnent à la rationalité plus empirique des « vrais scientifiques »… Fondamentalement, la réception de cette théorie des supercordes est restée longtemps marquée par le dénigrement de son caractère « physiquement invraisemblable », tel qu’il est apparu dans sa première version:

« Les premiers calculs utilisant le concept de cordes ne furent pas très encourageants. Ils produisaient des particules qui voyageaient plus vite que la lumière, ce qui n’était pas permis par la Relativité »7

Le scepticisme des physiciens à l’égard de la théorie des supercordes aurait pourtant dû être levé lorsque celle-ci proposa enfin des particules à vitesse physiquement vraisemblable:

« Les cordes devinrent des « supercordes ». Celles-ci restèrent bien sagement au-dessous de la vitesse de la lumière, et la théorie des cordes fut sauvée. La « supersymétrie » introduisit aussi un invité surprise qu’on n’attendait pas: une particule sans masse voyageant à la vitesse de la lumière et de spin 2. Vous l’aurez reconnu: c’est le graviton, hypothétique particule messagère de la force de gravité. /…/Cette gravité, qui s’était montrée si réfractaire, s’était enfin décidée à rejoindre la compagnie des autres forces /…/ La théorie des supercordes semblait promettre au bout du chemin l’unification tant attendue des quatre forces de la Nature. »8

Mais la suspicion des physiciens demeure: pas de trace observable de ce fameux « graviton ». Pourtant, Trinh Xuan Thuan ne raconte-t-il pas lui-même comment le neutrino, particule imaginée par W. Pauli (un des fondateurs de la physique quantique) et présumée tout aussi irréelle, au motif qu’elle n’avait jamais été observée, a pu être « vue » et même produite, une fois mis au point des accélérateurs plus puissants.9 Mais loin d’accorder le « bénéfice du doute » aux nouvelles particules imaginées par les physiciens, Trinh Xuan Thuan valorise la culpabilisation de Pauli, plus conforme à l’ancien code du « physically correct »:

« Au contraire de certains physiciens contemporains qui, sans aucun état d’âme, se font une joie d’inventer les particules les plus invraisemblables et les plus difficilement détectables pour expliquer le moindre phénomène, Pauli pensait qu’il avait peut-être commis le pire péché pour un physicien: postuler l’existence d’une particule élémentaire qui ne pourrait jamais être soumise à vérification. »10

Et c’est pourtant par cette capacité d’imagination et d’invention, défiant le vraisemblable et ne limitant pas son horizon à celui du « actuellement vérifiable », que les sciences contemporaines avancent… La force symbolique des mathématiques, c’est de faire des découvertes, alors même qu’il n’y a rien d’observable. Si les accélérateurs ont permis d’aller au delà du paradigme de la vision assistée (soumis aux limites de la propagation de la lumière) en franchisant « le mur de l’opacité », seules les mathématiques des supercordes sont susceptibles de franchir le « mur de Planck ».11 Les mathématiciens sont des précurseurs dans cet affranchissement du paradigme de l’observation, de la vision, a fortiori lorsqu’il prétend s’ériger comme « preuve » unique et incontestable du « réel ». Si les physiciens ont tendance à « sourire » des particules chimériques invraisemblables forgées par des approches purement mathématiques, les mathématiciens eux sourient des « thomistes » qui ont la naïveté de ne croire que ce qu’ils voient. Dans cette querelle des « anciens et de modernes », ce qui est en jeu n’est pas tant la « mathématisation » du monde que le dépassement du paradigme de la vision au profit du paradigme vibratoire, dont nous tenterons d’analyser l’incidence.

Mais au regard des codes du « physically correct » de la « vieille école », certains physiciens commencent à ressembler dangereusement à des mathématiciens, ces « artistes » qui passent pour des scientifiques aux yeux des profanes, si l’on en croit la rationalité empirique des « anciens ». Dans l’histoire de l’évolution de la théorie des supercordes, un des faits remarquables est précisément la transgression de la convivialité endogame (masque d’une ironie glaciale) entre la « tribu » des mathématiciens et celle des physiciens. En 1991, les mathématiciens ont fait, en l’honneur d’E. Witten, exception à leur règle, en remettant, pour la première et unique fois, leur plus prestigieuse distinction, la « médaille Fields », à un physicien (une révolution dans les codes de la « caste » des mathématiciens qui était l’indice, pour un observateur initié aux moeurs de la tribu, qu’une découverte fondamentale avait véritablement révolutionné les sciences contemporaines, sans quoi la probabilité d’une telle transgression au rite eût été nulle). En 1983, s’il n’avait pas encore cette renommée quasi légendaire, Edward Witten était déjà suffisamment apprécié pour que Paul Steinhardt ait pris la peine de vaincre ses résistances à participer au fameux WOGU. Pourtant, jamais le WOGU (« Workshop on Grand Unification »), n’aura mieux porté son nom qu’en Avril 1983. Le dernier jour de ce symposium, Edward Witten, chercheur en Physique Théorique de Princeton alors âgé de seulement 32 ans, prend la parole d’une voix douce et expose, tranquillement, les arguments qui montrent qu’il est temps de considérer une approche totalement nouvelle (ce que ses collègues déchiffrent, sous l’euphémisme poli, comme un constat qu’ils se fourvoient dans des impasses), et qui explique en quoi les perspectives ouvertes par la théorie des supercordes vont pouvoir répondre au défi de la théorie unifiée.

Witten s’empressa d’abord de souligner que ce n’était pas à lui que l’on devait faire crédit de l’idée qu’il était en train de suggérer et qu’on devait ce changement de point de vue possible aux recherches de quelques théoriciens intrépides largement sous-estimées et sous médiatisées.12 Après avoir rappelé à ses collègues, la plupart encore néophytes en la matière, en quoi le nouveau paradigme vibratoire de la théorie des supercordes était heuristique, Witten précisa qu’il était particulièrement attiré par les perspectives qu’elle ouvrait « parce qu’elle incluait les gravitons comme un bonus caché, comme Scherk et Schwarz l’avaient d’abord montré. »13 La potentialité de la théorie des supercordes à unifier les quatre forces et à réconcilier la visée einsteinienne géométrique de la gravité avec la théorie quantique s’est donc jouée autour de cet infime graviton, soit « la plus petite unité possible des ondes gravitationnelles selon les lois de la physique quantique. »14

1.2. Quand le romantisme de l' »art cosmologique » rencontre la théorie des supercordes

Witten poursuivit son exposé en montrant en quoi les théoriciens n’avaient qu’à adapter aux six extra dimensions spatiales dans la théorie des cordes l’idée de Klein (rendue plus tangible par la célèbre « bouteille de Klein » exposée au Palais de la Découverte). Avec une prudence discrète, comme pour atténuer le choc de ses propos, Witten avait tourné une page de la physique et de la cosmologie. Selon Neil Turok, l’auditoire n’en fut pas moins abasourdi. On parle souvent des « chocs esthétiques ». Il est aussi des « chocs scientifiques », pour lesquels la fascination de la beauté n’est pas en reste… Plus tard, Witten développa une méta-théorie des supercordes, la « M theory », dont la capacité à féconder les imaginations fut portée par la polyvalence potentielle du « M » (initiale pour Membranes, Magic, Mysterious, Matrix, Mother… Theory, selon la coloration de l’imaginaire des scientifiques). Les branes (diminutif de « Membranes ») y prenaient le statut des cordes, dans une théorie vibratoire permettant d’appréhender des cordes de dimension 1 à 6….selon les configurations géométriques. Neil Turok, fit son miel de l’idée que la collision de deux branes pouvait décrire le processus du Big Bang et porta à terme, avec P. Steinhardt, cette potentialité entrevue de la « M Théorie » à renouveler les modèles de la cosmologie et à réouvrir les chemins du futur à l’Univers. Mais tous ces développements, complexes, n’auraient pu voir le jour sans cette idée/image initiale de la théorie des cordes, belle parce que simple, dont Witten disait : « L’image de la corde est belle en ce qu’une entité basique- la corde- peut potentiellement rendre compte de la myriade des particules élémentaires observées dans la nature. »15 Or, le berceau de cette magnifique théorie des cordes n’est autre que le creuset où mathématiques et musique se sont rencontrés:

« La théorie nous dit que les supercordes ont une longueur infinitésimalement petite de 10 -33 cm, qui n’est autre que la longueur de Planck où la gravité est à pied d’égalité avec les autres forces. Les particules de matière et de lumière, celles qui transmettent les forces qui lient le monde ensemble et font qu’il change, tout cela n’est que la manifestation des vibrations de ces supercordes. Tout comme la vibration des cordes d’une guitare ou d’un violon produisent, pour notre plus grand bonheur esthétique, des sons variés accompagnés de toutes leurs harmoniques (c’est à dire des sons ayant des fréquences multiples de celle du son fondamental), les supercordes sont à l’origine des divers sons et harmoniques qui se manifestent dans la Nature et nos instruments de mesure comme des protons, des neutrons, des électrons, des photons, etc.. En fait, les mathématiques développées au XIXème siècle pour décrire les vibrations des cordes dans les instruments de musique rendent bien compte des vibrations de ces supercordes. »16

En matière d’échanges entre arts et sciences, un bienfait n’est jamais perdu. Au don des mathématiques à la musique a fait suite un contre don aussi imprévisible qu’immense: celui d’une théorie capable d’unifier les quatre forces et de réconcilier la gravité avec la théorie quantique. Là où les mathématiques avaient aidé les musicologues à décrire les vibrations des instruments à corde, la musique vibratoire des cordes permet, en retour, de décrire les particules élémentaires de l’univers:

« L’énergie de chaque mode de vibration correspond à une particule dont la masse est égale, selon la formule d’Einstein, à cette énergie divisée par le carré de la vitesse de la lumière. Ainsi, le proton n’est autre qu’un trio de supercordes qui vibrent, chacune correspondant à un quark. Comme un trio de violoncelles qui nous enchante en interprétant un air de Mozart, les vibrations combinées des trois supercordes produisent la musique du proton qui se traduit en une masse, une charge électrique positive et un spin de 1/2 quand cette musique est captée par nos détecteurs scientifiques. L’atome, qui est une combinaison de protons, neutrons et électrons, dispose, pour créer sa musique, de plus de musiciens encore dans son orchestre. Ces musiciens sont encore plus nombreux et le son devient encore plus ample et majestueux quand il s’agit de la molécule, faite d’un ensemble d’atomes. Tout autour de nous, les supercordes chantent et vibrent, et le monde n’est qu »une vaste symphonie ».17

Dans cette nouvelle théorie vibratoire unifiée de l’Univers, le paradigme de référence est, clairement, musical. En filigrane, on retrouve sans doute l’influence d’un des premiers grands mathématiciens, Pythagore, et de sa « musique des sphères ». Cette affinité entre cosmologie, mathématiques et musique est profonde et s’est poursuivie, bien au delà de Pythagore. Anne Boyé rappelle « qu’au moyen âge, les quatre « arts mathématiques », désignés par le quadrivium, comportaient l’arithmétique, la musique, la géométrie et l’astronomie ».18 La nouvelle alliance entre la théorie des cordes et la cosmologie s’inscrit dans la filiation directe de ce quadrivium.

Les dons et contre dons entre astrophysique et musique se poursuivent, même si Jean-Pierre Luminet s’étonne que si peu d’oeuvres musicales se soient encore inspirées du cosmos.19 C’est pourquoi il a été d’autant plus sensible à la singularité du projet « Le Noir de l’Etoile » qui mêlait aux instrumentistes, sur scène, la retransmission in situ de la musique des pulsars:

« Le Noir de l’Etoile, de Gérard Grisey, est une narration de la rencontre, à une heure précise et en temps réel, entre une étoile mourante qui émet ses derniers signaux, un gigantesque radiotélescope qui l’écoute et six musiciens qu’elle guide. La rotation du pulsar devient rythme. »20

Le « chant du cygne » d’une étoile mourante: avec quoi renouent ici les artistes, dans cette collaboration avec des scientifiques, sinon le romantisme? Ce n’est pas une des moindres surprises de ce dialogue arts-sciences contemporain: loin de s’y réduire à la quête d’un positivisme rationaliste supposé refroidir leur imagination, les artistes, et leur public avec eux, viennent y chercher ce romantisme aux accents infinis de « sublime » que la glaciation des codes de l’art conceptuel semblait avoir déserté.

« The Morning Line »

Les plasticiens se sont emparés, à leur tour, de cet « art cosmologique », non sans accorder une faveur particulière à la théorie des supercordes ou des « branes ». Matthew Ritchie ne vise rien moins qu’à « concevoir une cosmologie personnelle qui tisse sa propre histoire à partir des vocabulaires scientifiques ».21 Sa démarche s’est poursuivie par deux oeuvres collaboratives, « The Evening Line » et « The Morning Line » présentées, respectivement, à la 11ème Biennale d’architecture de Venise et à la 3ème Biennale d’art contemporain de Séville dédiée, en 2008 « aux convergences entre art et science »22 :

« Les deux réalisations consistent en des élaborations de modules à l’infini, construits sur la base d’un patron appelé le « bit » qui s’assemble à d’autres identiques pour envahir l’espace. Il est conçu comme un échantillon universel qui peut être planifié avec les dessins de M. Ritchie pour produire des images de et dans l’espace. »23

Cet « anti-pavillon »24 prend la forme d’une structure cellulaire ouverte à des reconfigurations en de multiples formes architecturales et utilise des cycles fractals pour construire un modèle de l’univers. Matthew Ritchie ne s’est pas contenté de présenter le langage visuel de « The Morning Line » comme étant fondé sur « une théorie cosmologique radicale développée par Paul Steinhardt et Neil Turok »,25 en concevant une structure basée sur leur modèle « Epikyrotic ».26 Il a collaboré avec ces deux scientifiques pour sa mise en oeuvre. L’interdisciplinarité27 entre arts et sciences s’est accompagnée ici, comme souvent, d’une démarche interartiale où les frontières des compétences sont poreuses et où chacun a trouvé son identité en excédant les stéréotypes de son « rôle » et en « outrepassant sa borne ». La démarche dominante est celle des arts plastiques et fait une large part à la sculpture et à l’architecture, mais la musique n’est pas oubliée pour autant:

« La structure géométrique du projet intégrant une essentielle identité sonique « invisible » génère une interactivité très particulière: un système sensoriel enregistre et répond aux mouvements des visiteurs entrant et parcourant le pavillon, à travers un mouvement musical, créant et traduisant ces mouvements en de nouvelles narrations. The Morning Line, grâce à son système entrecroisé de modules variables, devient en soi une vaste performance externe, un espace de réception et d’audience pour le visiteur ainsi qu’un « instrument de musique » utilisé par de nouveaux intervenants et artistes sonorisateurs ».28

L’opposition du « Morning Line » au « Noir de l’étoile » n’est donc pas tant celle d’une oeuvre d’art plastique à une composition musicale que celle d’un art cosmologique qui joue moins du romantisme de l’agonie (et de l’émotion que peut créer la trace d’entités défuntes), que de la mise en jeu de l’imprévisible pour réouvrir les chemins du futur:

« Plateforme pour la musique contemporaine, The Morning Line est autant un instrument qu’un monument /…/Le système interactif enregistre le mouvement de toute personne à l’intérieur et convertit leur présence pour construire de nouvelles formes de musique, de nouvelles histoires créées par chaque visiteur. Il offre un site concerné de façon privilégiée par la génération de significations et d’usages potentiellement infinis. En d’autres mots, il n’est pas seulement conçu / »designed/ pour le futur, il le crée. »29

Cette polarisation sur le futur, si elle contredit la vision réductrice du romantisme, amalgamé à la nostalgie larmoyante sur un passé perdu, s’inscrit dans la filiation du romantisme d’un Wagner qui ne mettait pas par hasard ses réflexions sur les potentialités de « synaction »30 entre les arts sous le titre de « L’oeuvre à venir »31 (non sans valoriser la transformation de l' »état social » nécessaire à l’avènement de cet avenir).32 Ce romantisme est celui de l’action: l’avenir n’y est plus ce qu’on attend mais ce qu’on « forge » comme une « oeuvre collective ». Pour le plasticien qu’est Matthew Ritchie, le futur n’est pas une « fatalité » mais l’affaire d’un designer. Pour autant, il ne saurait se réduire au plan d’un seul auteur, fût-il un artiste. Le futur se crée, mais dans l’interaction. Le futur se crée dans l’action commune comme une « oeuvre commune ».33 C’est par cette « recréation » du futur que cette oeuvre fait écho, de la façon la plus fondamentale, à la démarche qui a porté Steinhardt et Turok à concevoir leurs modèles cosmologiques.

2. Entre art et science: les résistances à la crise multi échelle du futur

2.1. Réouvrir le futur à échelle de l’univers: le nouveau modèle cyclique

Lorsqu’en 2007 Paul Steinhardt et Neil Turok, deux chercheurs de physique théorique, publient leur ouvrage Endless Universe /Beyond the Big Bang, il ne s’agit pas, seulement, de populariser le nouveau modèle cyclique de l’Univers qu’ils ont développé. L’enjeu est de pointer les motivations philosophiques qui les ont poussés à rendre concevable une alternative à la doxa scientifique actuelle dont le scénario, au regard de l’histoire de l’Univers, culmine vers cette prédiction fatidique: NO FUTURE.

Paul Steinhardt se souvient de l’exposé de Guth, le 5 mars 1980, sur son modèle cosmologique de l’inflation, comme de la communication à la fois la plus inspirante et la plus déprimante qu’il ait jamais entendue. Guth expliquait que l’expansion rapide de l’Univers n’aurait pas de fin. Conséquence: le phénomène qui avait permis la naissance de la matière par la collision de « bulles » ne pourra jamais plus se reproduire car, dans le cas de l’inflation, l’espace entre les « bulles » s’étire si rapidement qu’elles ne pourront jamais plus entrer en collision.34 P. Steinhardt resta sous le choc:

« L’expansion inflationnaire qui avait semblé un élixir magique quelques minutes avant s’était soudainement transformé en un poison toxique. /…/Je ne pouvais simplement pas croire qu’une si belle idée puisse échouer de manière si catastrophique. Immédiatement après la présentation, j’essayais de voir si je pouvais trouver une faille en analysant chaque étape de l’analyse et en la vérifiant en utilisant d’autres méthodes. /…/cela signifiait seulement qu’une nouvelle solution aux problèmes cosmologiques devait être trouvée. »35

Quelques années après, le temps d’un travail scientifique acharné, le nouveau scénario, baptisé le modèle ekpirotique, est prêt à être publié quand Paul Steinhardt et Neil Turok se rendent à un colloque de cosmologie en Finlande, en août 2001. Malgré le chemin accompli, ils ne sont pas encore satisfaits et enchaînent sur les bases d’une théorie différente, « le nouvel univers cyclique ». Encore marqués par l’image des cendres des deux tours jumelles,36 Steinhardt et Turok redoublent d’effort pour donner une crédibilité scientifique au scénario cosmologique qu’ils ont imaginé, celui d’un univers cyclique qui n’a pas de fin parce qu’il est capable, tel un phénix, de « renaître de ses cendres », et qu’à chacun de ses « Big Crunch », peut y succéder un nouveau « Big Bang ». L’acharnement à proposer une alternative viable au modèle cosmologique de l’inflation ne se réduit pas au jeu d’une rivalité scientifique. L’enjeu, c’est de prouver qu’il y a encore un futur et que le modèle scientifique qui n’ouvre à l’Univers que la perspective, désespérante, d’un vide où ni matière ni radiation ne pourraient redonner naissance à un nouveau monde, n’est pas le bon scénario.

En scientifiques rigoureux, Steinhardt et Turok sont conscients que ce n’est pas parce que leur modèle serait beau, ou adéquat à leur philosophie, qu’il s’avèrera juste.37 Mais, tant qu’il restera une possibilité de déconstruire la véracité de ce scénario désespérant et d’offrir une alternative tenable, ils emploieront toute leur intelligence et leur force de travail à relever ce défi qui est celui des conditions de possibilité d’une espérance. Ce qui a motivé leur exploration, c’est quelque chose de l’ordre d’un impératif catégorique: un tel scénario, tel qu’il est prédit par le modèle actuellement dominant de l’inflation, ne doit pas être vrai:

« Maintenant que l’énergie noire a pris le dessus sur l’univers, la formation de structures plus grandes encore ne peut plus avoir lieu. Dans mille milliards d’années, la taille de l’univers doublera des centaines de fois. La matière sera répandue de façon si clairsemée qu’aucunes nouvelles étoiles ou structures ne pourront se former. L’univers lumineux observable aujourd’hui deviendra un vide froid, sans structure, sans vie, qui restera ainsi à jamais. »38

Mais la hantise d’une fin ultime ne s’arrête pas à déconstruire ce scénario, pour P. Steinhardt et N. Turok. Quels que soient les scénarios cosmologiques, la dernière limite sur laquelle butte la possibilité, pour l’Univers, d’avoir un futur, c’est l’entropie. Un des maîtres de la Science Fiction, Asimov, s’en était déjà avisé et en avait fait le cœur de sa nouvelle intitulée « The last question ». En se projetant vers l’avenir, les personnages de ce récit supposent résolu leur problème de renouvellement des sources d’énergie. Non seulement le réchauffement de la planète, mais de multiples autres problèmes éventuels sont supposés « réglés ». Mais l’un des deux héros de cette nouvelle d’Asimov rappelle que ce futur radieux de l’humanité continue à butter sur la limite de la mort du soleil. A première vue, cette question ne semble vraisemblable que dans le cadre des lois du genre de la Science Fiction. Pourtant, dans un blog organisé sur Internet lors de la campagne présidentielle française de 2007, ce dont se préoccupait un internaute, c’était, précisément, de la mort du soleil39 :

« Ce que je voulais faire passer comme message c’est que si on veut que la vie ait un avenir après la mort du soleil, il y a du travail à faire. Et pour l’instant, nous sommes tous désignés pour effectuer ce travail. /…/ Quelle que soit l’espèce qui quittera le système solaire, elle aura –je l’espère–profité de notre travail et aura bâti sa science sur nos acquis. D’autre part, l’évolution ne peut pas nous sauver dans 7.5 milliards d’années. Il faut savoir que le Soleil va d’abord se transformer en géante rouge/…/: plusieurs milliers de degrés 24heures par jour 365 jours par an durant quelques millions d’années dans une atmosphère sans oxygène. Ensuite, en seulement quelques centaines de milliers d’années (trop court pour l’évolution), on va se retrouver sans atmosphère du tout, sans eau, avec –260 degrés 24h par jour, 365 jours par an, jusqu’à la fin des temps. »40

Cette prise de parole d’un internaute (qui n’est pas à prendre totalement au premier degré), est intéressante en ce sens qu’elle témoigne d’un élargissement de l’horizon temporel à partir duquel est resitué le cahier des charges, planétaire, des actions humaines. Le monde commun est perçu comme un patrimoine que les humains ont la charge non seulement de transmettre mais de prémunir contre les menaces futures. Ce dont on se sent collectivement responsable, c’est de la possibilité qu’il reste un futur… Ce nouvel horizon du politique est déterminé par l’échelle du temps scientifique. Le message est bien reçu: nous sommes à mi-course par rapport à la date annoncée de la mort du soleil. Mais cette fin de notre monde n’est plus appréhendée par le biais d’une croyance, mythologique ou religieuse. Elle est appréhendée comme une « donnée scientifique réelle ». Ce n’est plus une croyance, c’est un fait annoncé du futur, selon un mode de prédiction scientifique, et cette approche rationnelle change la façon de l’appréhender. Si c’est un fait que les humains on pu prévoir, alors c’est un fait qui rentre dans le champ du politique et qui s’inscrit dans l’horizon du cahier des charges des actions humaines. On n’est pas sûr de réussir, on n’a pas une obligation de résultats, mais, à tout le moins, une obligation de moyens et de mise en oeuvre:

« Ca c’est une donnée scientifique réelle. La disparition de la vie sur Terre dans 7.5 milliard d’années au maximum est nettement plus certaine que la disparition du Gulf Stream dans les 50 ans à venir./…/ Ce ne sont pas des spéculations enfantines/…/. C’est juste dire qu’il y a un travail à faire et qu’il faudra le faire un jour ou l’autre… »41

Trouver une solution de contournement à la mort du soleil apparaît, dans cette nouvelle perspective, comme un des « grands travaux » auxquels l’humanité devra s’atteler « un jour ou l’autre »: on n’est pas fou, on sait qu’il n’y a pas d’urgence, que bien d’autres problèmes doivent mobiliser le champ du politique mais, quitte à se préoccuper du réchauffement de la planète (et à montrer qu’on est capable de voir loin, de prévoir), alors il faut aller jusqu’au bout de cette logique et alimenter aussi ce chantier prévisionnel qui, s’il n’est pas en tête des affaires urgentes, va demander une mobilisation sur tant de générations qu’il vaut mieux ne pas s’y prendre trop tard. Le raisonnement est logique: il se tient. Dans le monde élargi, la mort du soleil, ce n’est pas un souci pressant, mais cela doit occuper sa juste place: cela mérite qu’une part de l’espace-temps politique y soit également consacré. Mais c’est aussi une garantie, un « garde fou » contre les « courtes vues » du temps économique: tant qu’une société sera capable de voir aussi loin, c’est qu’elle sera capable de continuer à renouveler son potentiel de recherche scientifique et technique en pensant au futur, et non pas en réduisant son horizon à des intérêts à très court terme.

En matière de « long terme », les astrophysiciens n’ont pour rival que les personnages de la Science Fiction. Les héros de la nouvelle d’Asimov repoussent la limite butoir de la fin aux perspectives ouvertes par l’utilisation de l’énergie d’autres étoiles, au delà de la mort de notre soleil. Mais, même dans ce scénario, on butte à nouveau sur la fatalité d’une fin annoncée, même si elle est repoussée: la combustion des étoiles crée de l’entropie; quand tout a été consumé, l’entropie atteint sa valeur maximale; c’est la fin du chemin, pour la vie et pour l’univers.42 La dure loi de l’entropie permet de repousser la fin, mais pas de l’éviter. Si le terme est différé, il est toujours le même, non seulement pour l’espèce humaine, pour la vie, mais pour l’Univers: NO FUTURE.

La nouvelle d’Asimov tente cependant de laisser entrouverte l’espérance: « Son partenaire est moins sûr. Peut-être l’humanité trouvera une voie pour réduire l’entropie, dit-il,43 « . Le personnage le plus rationnel reste pourtant, à juste titre, dubitatif, face à cette hypothèse intenable. Il accepte cependant de poser la question au « super ordinateur », Multivac. La culture scientifique d’Asimov lui interdit un scénario où même cet ordinateur super-puissant soit en mesure de répondre à cette question44 ni en 2061, (date à laquelle Multivac ne répond même pas), ni un million d’années plus tard (date à laquelle Multivac répond qu’il a des données insuffisantes pour répondre), ni même des milliards d’années plus tard, lorsqu’il n’y a plus un seul humain pour questionner Multivac, mais que celui-ci continue à chercher à compléter ses données insuffisantes pour tenter de répondre à cette question. Là où l’écrivain de science fiction avait timidement ouvert le temps du souhait, par un scénario trop invraisemblable et trop indéfini pour être véritablement porteur d’espoir, les scientifiques P. Steinhardt et N. Turok ont échafaudé un modèle cohérent, qui respecte les lois de l’univers, et qui, pourtant, s’avère réellement porteur d’espérance:

« Finalement, après que les étoiles ont été consumées et que l’humanité est tombée dans l’oubli, un grand ordinateur cosmique /…/continue de calculer, avançant doucement et inexorablement vers une réponse à la Dernière Question. Si le modèle cyclique est correct, la solution viendra dix trillions d’années plus tôt que Asimov ne l’avait anticipé, et elle utilisera la théorie des cordes plutôt qu’un ordinateur de la taille de l’univers. Selon la visée du modèle cyclique, chaque collision infuse l’univers avec une quantité suffisante de nouvelle matière et de radiation pour permettre la création de nouvelles galaxies, étoiles et vie à partir de la collision des branes le long d’une extra dimension. »45

Steinhardt et Turok savent que prétendre dénier la loi de l’entropie n’est pas tenable. A la lumière des connaissances scientifiques, nous savons, rappellent-ils en citant Sir Arthur Stanley Eddington, que là où l’on ne tient pas compte de cette loi, il ne peut y avoir aucun espoir. »46 Toute l’astuce scientifique de P. Steinhardt et N. Turok consiste à avoir envisagé un scénario plausible, et partant, porteur d’espoir, précisément parce qu’il ne contredit pas la loi de l’entropie. Celle-ci s’applique, bel et bien, mais elle est, en quelque sorte, « contournée », de telle façon que son incidence, inévitable, ne puisse pas empêcher la capacité de l’Univers à repartir dans des cycles de création. Ce serait la gravité qui nous « sauverait » de l’entropie.47 Le paradigme de P. Steinhardt et N. Turok, tel celui d’Edgar Poe48 qui avait déjà anticipé un modèle d’univers cyclique où chaque « big crunch » impliquait un nouveau « big bang », reste profondément influencé par Newton et par les lois de la gravitation. Dans le nouveau modèle cosmologique cyclique élaboré, sur des bases scientifiques et non plus poétiques, comme chez Poe, la gravité fait office de « deus ex machina » qui transforme l’univers en un phénix, renaissant éternellement de ses cendres: « Derrière la scène, cependant, la gravité agit comme un moteur qui continue à fournir plus d’énergie pour que les cycles continuent tout en respectant la conservation de l’énergie. »49

Dans le nouveau modèle cyclique élaboré par P. Steinhardt et N. Turok, non seulement le cycle dans lequel nous nous trouvons, depuis le big bang qui a donné naissance à notre monde, ne nous condamne pas à une expansion infinie dans un vide sidéral stérile, mais même la hantise de la fin ultime, corollaire annoncé de la victoire de l’entropie, est évitée.

2.2. De la crise des idéologies postmodernes du « finir » au « temps du souhait »benjaminien

L’enjeu, c’est de réouvrir le champ du futur, qui est aussi le temps du souhait et de l’espérance. Mais c’est aussi, passion de scientifique oblige, celui de redonner un futur à la science. Dans leur rage à déconstruire les conséquences funestes du modèle cosmologique de l’inflation, qui tient lieu de doxa scientifique contemporaine, P. Steinhardt et N. Turok mettent en question, non seulement les prédictions désespérantes quant au devenir de l’Univers, mais également le type de nouvelle démarche scientifique mise en jeu qui nous mènerait à une « fin de la science », aussi problématique que la « fin de l’histoire »:

« la différence entre ces modèles /…/conduit à des vues divergentes sur le futur de la cosmologie et de la science fondamentale elle-même. Si l’on en croit le panorama du modèle de l’inflation, la science a maintenant atteint les limites de ce qui pourra jamais être expliqué. /../ L’hypothèse cyclique mène à une perspective beaucoup plus optimiste pour la science fondamentale. Selon cette visée, l’univers est une entité unique, cohérente, qui existe dans un état cyclique stable dont les propriétés pourront potentiellement être comprises comme une conséquence des lois fondamentales de la nature. »50

Cette hantise à sortir de la « fin de la science » annoncée n’est pas seulement, pour P. Steinhardt et N. Turok, « corporatiste ». Elle s’inscrit dans leur démarche philosophique globale qui résiste aux idéologies du « finir ». A ce titre, elle s’oppose à la doxa, encore dominante, de la postmodernité.

 Celle-ci a d’abord apporté sa pierre philosophique par son travail de déminage critique des « grands récits », en démasquant la face totalitaire des utopies modernes. Mais cette posture « déconstructionniste » ne s’est pas arrêtée là. Le travail de sape de la postmodernité a fini par tuer toute croyance en quelque utopie que ce soit. Sous couvert d’une vigilance critique, de bon aloi, face aux errements de toute « croyance », elle a fait de la possibilité même d’émergence d’une nouvelle utopie un « tabou ». De critique, la post modernité s’est faite insidieusement prescriptive: tu dois renoncer à toute utopie, quelle qu’elle soit. De posture philosophique critique, la postmodernité est devenue le creuset des idéologies du finir. Fukuyama profita de cet « air du temps » postmoderne pour « relooker » les vieux oripeaux de la « fin de l’histoire » kojévienne. D’alternative, même utopique, au libéralisme économique: même plus en rêve. Les nouvelles générations, élevées dans ce climat, n’ont plus même su ce que c’était d’espérer: « système D » et survie individuelle, puisqu’aucun horizon nouveau n’est même concevable.. Jusqu’à la dernière crise financière qui a secoué les esprits…

A défaut de pouvoir entrevoir une alternative, utopique ou non, au système économique mondial actuel, certains se sont, pour la première fois, avisés, que le libéralisme, tel qu’ils l’avaient connu, n’était pas « éternel ». Paradoxalement, face à la médiatisation des pertes financières affectant les « riches », ils ont ressenti, du fond de leur relative indifférence, une rage ironique sous laquelle a pointé un « espoir ». Avant que ne gronde la « colère » quand s’est avéré, lors même qu’on ne trouvait jamais d’argent pour des enjeux fondamentaux, qu’on allait trouver des milliards pour sauver le système financier, en l’espèce des banques, non sans mettre à contribution les petits contribuables. L’avenir dira si ce fut une « erreur psychologique » que de rappeler, à ces générations élevées dans le respect de la toute puissance du système financier, que celui-ci n’était rien sans leur puissance économique collective. Les banques ni le système financier n’auraient pas la toute puissance éternelle de Dieu. Le dollar lui-même, malgré sa devise (« In God we trust ») s’avèrerait fragile. La « croyance » dans ce système financier qui saturait si bien l’espace temps réel du passé au futur qu’il barrait l’horizon à toute utopie de changement radical, n’est pas ressortie indemne de cette crise. Cette croyance, que la postmodernité, pour l’essentiel, n’avait pas jugé bon de déminer, a été secouée par cette crise où se profile, en filigrane de la crise financière, celle des idéologies postmodernes. Ce qui s’y est fait jour, c’est la signification symbolique de la finance, en filigrane de son étymologie: « finer », au sens de « payer », forgé par altération à partir de « finir »: « mettre fin à, venir à bout de ».51 Ce système de la finance toute puissante, mis à jour comme une idéologie du « finir ». Rien au delà: fin de l’histoire, fin de la science, fin de l’art, fin du politique, fin de la philosophie. Horizon barré: plus même possible de s’accrocher à la dimension, fût-elle infinie et si difficilement accessible, de l’utopie. Réalisme économique de la postmodernité: rien au delà, plus la peine de croire ou d’espérer. Le système financier occupe l’espace-temps de la fin de l’histoire, du finir. Pas d’échappatoire. Mais la crise advint. Le système financier du « finir » et les idéologies dont il s’est nourri, se sont avérés fragiles, détrônés de leur irréversibilité supposée. Le temps économique et politique du futur s’est remis à tourner. On ne l’arrêtera plus. Les gens ont recommencé à rêver.

L’espérance, en laquelle Kant voyait, à juste titre, le moteur de l’action politique future,52 est de retour. On peut craindre le futur proche, mais on sait qu’il y a un futur et que tout n’est pas écrit à l’avance, par les lois réputées immuables du système financier. Le temps n’est plus réductible à l’argent. Au moment où l’argent a fait défaut dans la micro-planète financière, le temps s’est remis en marche. Mais s’il a pu le faire, c’est aussi que quelques précurseurs, du côté des scientifiques, s’étaient mis à l’oeuvre pour réouvrir les chemins du futur.

L’imaginaire scientifique, en tant qu’il ensemence l’appréhension de l’espace-temps politique par les internautes à l’ère, planétaire, de la globalisation, est sous-tendu par l’horizon de l’astrophysique. L’ouverture s’y opère tant du côté de l’infiniment grand que de l’infiniment petit dans la collaboration des astrophysiciens avec les spécialistes de mécanique quantique. Le monde, ouvert par l’astrophysique, s’étend dans les lointains de l’espace, mais aussi du temps. Comme le souligne W. Benjamin: « Dans la symbolique populaire, les lointains de l’espace peuvent remplacer ceux du temps; c’est pourquoi l’étoile filante qui tombe dans les lointains de l’espace est devenue le symbole même du voeu exaucé. »53 Mais pour qu’advienne la réalisation de ce voeu, il faut le « temps du souhait », indissociable du temps de l’expérience :

« Or, le souhait appartient à l’ordre de l’expérience. « Ce que l’on souhaite dans sa jeunesse, écrit Goethe, on le possède dans sa vieillesse. » Plus tôt dans la vie on souhaite quelque chose, plus on a de chance de le réaliser. A mesure qu’un souhait s’étend dans les lointains du temps, on peut davantage espérer qu’il sera exaucé. Or, ce qui fait escorte aux lointains du temps, c’est l’expérience, qui les remplit et les articule. Aussi le souhait qui se réalise est-il le couronnement de l’expérience. »54

La capacité à postuler un futur et à nous y projeter dépend de notre capacité à nous réinscrire dans le temps de l’expérience. Ce qui nous tient prisonniers d’un temps réifié, ce qui condamne les portes du temps, vers la mémoire comme vers le futur, c’est « ce qui restreint le champ de l’imagination ».55 Selon W. Benjamin « On pourrait définir celle-ci comme le pouvoir de créer des souhaits d’un certain genre, ceux dont la réalisation exige ‘quelque chose de beau’. »56 Le beau n’est pas obsolète. Le beau est une des aspérités qui résistent à la nouvelle idéologie dominante pour laquelle le corps, le temps, la mémoire, le futur seraient devenus obsolètes. Mais le beau ainsi conçu n’est pas seulement affaire d’harmonie des formes, il est indissociable de l’imagination créatrice. Le beau réinsiste, dans notre paysage contemporain, pour que s’y réinscrive un horizon, en tant qu’il s’articule au « temps du souhait ». Pour explorer cette voie, W. Benjamin fait appel à P. Valéry:

« A quelles conditions seraient lié un tel exaucement, c’est, une fois de plus, Valéry qui va nous le préciser: « On peut surprendre ici le germe même de la production de l’oeuvre d’art. Nous la connaissons elle-même à ce caractère qu’aucune » idée » qu’elle puisse éveiller en nous, aucun acte qu’elle nous suggère, ne la termine ni ne l’épuise: on a beau respirer une fleur qui s’accorde avec l’odorat, on ne peut en finir avec ce parfum dont la jouissance ranime le besoin; et il n’est de souvenir, ni de pensée, ni d’action, qui annule son effet et nous libère exactement de son pouvoir. Voilà ce que poursuit celui qui veut faire oeuvre d’art. »57

Si W. Benjamin entrevoit, grâce à P. Valéry, le lien privilégié entre l’odeur et ce temps du souhait, il tend à l’explorer au travers de la métaphore, visuelle, de l’étoile. Cette image, pour consolante qu’elle soit, n’est pas, cependant, sans nostalgie, car une étoile visible est une étoile morte. Le temps de la vision est marqué par la disparition. Le sens de la vue nous expose au déjà mort. Pour notre regard, l’étoile défunte brille encore de tous ses feux. L’étoile, c’est l’éclat de la lumière qui survit à sa propre disparition. La lumière qui scintille est mémoire d’étoile. Le temps lumineux de la vision trouve son chemin au delà de la mort; mais il en reste marqué. Ce temps, benjaminien, est celui qui attend des générations futures la consolation de ces « mémoires en souffrance ». Le moteur de l’histoire, pour Benjamin, c’est la réponse à cet appel des défunts dont les générations captent la lumière posthume afin d’exaucer leurs souhaits qui sont restés « en souffrance ».58 L’image est belle, mais elle reste marquée par ce paradigme de la souffrance qui ne peut entrevoir le salut messianique que comme consolation.59

La mémoire de l’odeur, en revanche, ne se réduit pas à cet imaginaire de la consolation. Si ce que je vois est, peut-être, déjà mort, ce que je sens est vivant. Non seulement, mon odorat ne s’éveille qu’en présence de la fleur ou de toute autre source odorante (la fleur n’est pas l’étoile: si je la sens, c’est qu’elle est non seulement présente mais encore vivante) mais, même dans l’étrange pouvoir de remémoration qui permet à une odeur d’en réveiller une autre, le parfum de la madeleine ressurgit comme vivant, du passé, dans une étrange immédiateté qui me restitue le parfum non comme une relique morte d’un temps révolu mais comme une résurgence vivante du temps. Ces instants qui s’ouvrent aux lointains du passé comme du futur, ont les accents bergsoniens de la dernière phrase du Temps retrouvé, comme le souligne Deleuze:

« Il est en train de nous dire: dans l’intérieur du temps /…/ vous êtes comme des géants, qui touchez d’un côté à un passé millénaire et d’un autre côté à un futur profond. /…/Une distance infinie vous traverse parce qu’à l’intérieur du temps /../c’est le tout du temps comme ouvert. Et je reviens toujours là /…/à cette intuition bergsonienne: le temps, c’est l’ouvert. Et bien, /…/ dans l’ouvert chacun de nous occupe une place démesurée qui fait de lui un géant sur des échasses. /…/Dans la Recherche de Proust: les réminiscences /…/c’est des contaminations d’instants à intervalles séparés. /…/De grands intervalles entre deux instants n’empêchent pas deux instants de percuter. Une très grande distance de temps n’empêche pas un instant très lointain et un instant actuel de percuter. C’est la fameuse madeleine »/…/ Je dis, là on a un bel exemple /../de quoi? De ce qu’on pourrait appeler une corde, un intervalle corde, un intervalle ou une corde tendue entre deux instants. »60

Si le parfum de la madeleine proustienne est une expérience exemplaire c’est que s’y tisse une « corde » tendue entre le passé et le présent. Ce que Deleuze nous propose avec ce concept d' »intervalle corde », c’est une théorie vibratoire de l’intervalle. On retrouve l’imaginaire de la lumière, de sa théorie vibratoire à sa vitesse comme vecteur de voyage dans le temps. Mais, ici, la corde vibrante opératoire capable de voyager dans le temps est celle d’un parfum.

3. Paradigme vibratoire et plasticité

3.1. L’unification de l’esthésis sous le paradigme vibratoire

Quand le parfum rejoint le paradigme vibratoire…

Appréhender le parfum par une théorie vibratoire relève-t-il seulement de la métaphore? A l’inverse de la musique dont l’appréhension en termes de vibrations est ancienne, l’approche des parfums à partir de ce modèle est non seulement récente mais considérée comme marginale au regard du paradigme de l’odorat en vigueur fondé sur la théorie de la forme. En 1938, Malcom Dyson conçoit une théorie vibratoire de l’olfaction. Mais son hypothèse61 passe les bornes de l’excentricité: selon lui « le nez abrite une sorte de spectroscope de chair ».62 Une belle idée mais qui ne peut, à l’époque, que paraître absurde. En 1938, l’ère n’est pas aux nanotechnologies et envisager la présence d’un spectroscope dans le nez revient à y loger « un engin volumineux fait de fils, de verre et de métal, /qui/ mesure près de un mètre vingt de longueur ».63 Plus de cinquante ans plus tard, Lucas Turin, fasciné par cette théorie vibratoire de l’olfaction au double titre de son statut de chercheur en biologie et de critique (aux yeux duquel certains parfums sont des oeuvres d’arts) poursuit l’exploration. Luca Turin continue à écumer les bibliothèques à la recherche d’une nouvelle trouvaille dans la Review of Scientific Instruments:

« Là, il dégote un article sur un instrument d’analyse chimique. Il n’a jamais entendu parler de ce fantastique gadget découvert par hasard grâce à des employés de la Ford Motor Compagny et baptisé electron-tunneling spectroscope (spectroscope électronique par effet tunnel). /…/ Les employés de Ford font une observation simple mais astucieuse. Créatures doués d’une grande agilité, les électrons s’engouffrent partout où ils le peuvent. Ils se précipitent le long d’un conducteur et, lorsqu’ils parviennent à un vide, tâtent le vide en guettant le moyen de traverser l’obstacle. Il suffit d’un pont étroit entre les deux bords, disons d’une simple molécule, pour autoriser les électrons à poursuivre leur course effrénée (le terme « tunnelling » renvoie à l’unique molécule qu’empruntent les électrons, telles des taupes s’engouffrant dans un tunnel). Tandis qu’ils parcourent leur tunnel moléculaire, les électrons perdent de l’énergie /…/. Les spécialistes de Ford comprennent que cette différence de tension permet de déceler les vibrations de la substance utilisée comme pont. Une fois ces dernières connues, l’identification de la molécule devient un jeu d’enfant. »64

Dans cette molécule qui permet de rejoindre les deux bords d’un intervalle non sans laisser déceler sa vibration, on peut décrypter une nouvelle figure de l' »intervalle-corde » deleuzien. A la lecture de cet article, Turin comprend que « La spectroscopie électronique par effet tunnel est donc réalisable biologiquement. »65 Ce que l’horizon de la spectroscopie optique rendait inconcevable, à savoir une théorie vibratoire de l’olfaction, la mécanique quantique permet de l’envisager dans un modèle scientifiquement cohérent:

« L’effet tunnel appartient à notre quotidien. Nous parlons ici de particules et donc inévitablement de la mécanique quantique/…/. L’électron est une créature insaisissable. Au moment où il approche du pont moléculaire, une partie de lui-même (nous voilà au coeur du problème) se retrouve déjà de l’autre côté de la barrière. En quelque sorte, il parvient à creuser un tunnel à travers la porte qui se dresse devant lui /…/. La mécanique quantique suppose qu’à toute chose correspond une fonction d’onde. Les ondes présentent la caractéristique de mépriser les barrières – portes en acier ou mur de plomb- à moins qu’elles ne disposent d’une hauteur ou d’une épaisseur infinies. »66

Là où la physique pré-quantique ne voyait que des trajectoires de corpuscules impossibles et des barrières infranchissables, le modèle vibratoire de la mécanique quantique réussit à s’échapper de cet horizon borné parce qu’il s’appuie sur des ondes dont la caractéristique est de « mépriser les barrières ». La mécanique quantique, c’est le paradigme vibratoire appliqué à l’infiniment petit. Sous ce nouveau paradigme vibratoire unifié, l’union libre entre la discipline de l’infiniment grand (l’astrophysique) et de l’infiniment petit (la mécanique quantique) est légitimée. Dans ce milieu des physiciens où les étiquettes d’astrophysique et de nanotechnologies se surimposent institutionnellement comme dans un palimpseste, l’affinité entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, tout comme la culture vibratoire, c’est une évidence. A l’inverse de la communauté des biologistes travaillant sur l’olfaction qui s’en tiennent à la doxa, géométrique, de la théorie de la forme, les physiciens, qu’ils soient d’obédience quantique ou einsteinienne, commencent à apprendre à voir cohabiter leurs modèles depuis que la nouvelle alliance de la théorie des cordes a posé les bases d’une « géométrie vibratoire ». Ce n’est donc pas un hasard si la première confirmation de la viabilité scientifique de la théorie vibratoire de l’olfaction de Turin est venue, non pas d’un laboratoire de biologie, mais d’un département de physique qui s’inscrivait institutionnellement au croisement de l’infiniment grand et de l’infiniment petit. Les trois chercheurs qui ont co-signé cet article appartiennent à un Centre de Nanotechnologies qui fait partie du département de Physique et d’Astronomie de l’UCL. Le bilan de leurs analyses indique que le modèle de Turin est physiquement viable, dès lors que les récepteurs biologiques s’avèrent satisfaire à certaines propriétés qui s’inscrivent dans les données connues sur les autres systèmes biomoléculaires.67 La théorie vibratoire de l’olfaction n’est d’ores et déjà plus une belle idée fantaisiste: elle est un modèle scientifiquement tenable destiné à évoluer selon les infirmations ou confirmations. Ce qui fascine dans ce modèle vibratoire de l’olfaction, c’est cet effet tunnel quantique dont seraient responsables les électrons, à cause de leur façon de se comporter comme des ondes. En matière de parfum, ce paradigme vibratoire fait son chemin…

Le dépassement du visuel dans le paradigme vibratoire aux origines de l’abstraction

Le paradigme vibratoire, en tant qu’il concerne l’esthésis, a d’abord été intégré à la culture artistique par le biais de la musique associée, dans les « arts mathématiques », à l’astronomie. En revanche, la naissance de l’astrophysique est liée à l’intégration au paradigme vibratoire d’un des éléments fondamentaux des arts plastiques, la couleur.68 Lumière et couleur s’appréhendent désormais en termes de longueur d’onde.69 Si les parfums restent, pour l’instant, hors champ, ce rôle unificateur du paradigme vibratoire entre les sens de la vue et de l’ouie70 (favorisant la synergie des arts plastiques avec la musique) a été souligné à un moment clé de l’histoire de l’art, l’irruption de l’abstraction:

« Les avancées dans un autre domaine scientifique, celui de la compréhension de la nature ondulatoire, à la fois de la lumière et du son, ouvrent également de nouvelles perspectives. Elle amène la mise au point par des chercheurs d’instruments de projection de lumière colorée. Ceux-ci sont utilisés avec accompagnement musical. L’un des inventeurs de cette « color music »/…/, Wallace Rimington, écrit en 1895: « /…/Nous n’avons pas encore eu d’images dans lesquelles il n’y ait ni forme, ni sujet, mais seulement la pure couleur »./…/ A cette époque, ses concerts de « color music » eurent du succès. Il n’est donc pas étonnant de trouver un article publié en 1908 portant le titre « Les lois d’harmonie de la Peinture et de la Musique sont les mêmes » (Henri Rovel). Son contenu /…/ aura une grande influence sur les peintres Kandinsky, Larionov et à nouveau Kupka. Dans un autre article, Rovel confirme: « La vie est caractérisée par la vibration. Sans vibration, il n’y a pas de vie. Le monde entier est soumis à cette loi. »71

L’approche récurrente de Kandinsky en termes de vibrations et de résonances est connue.72 En revanche, est moins commenté le rôle du paradigme vibratoire dans la quête kandinskienne d’une synesthésie et dans sa façon singulière d’aborder l’exigence d’une rencontre interdisciplinaire des différents arts dans ses « compositions scéniques ». L’utopie de l’interartialité a trouvé, incontestablement, dans la potentialité d’unification des sens par le paradigme vibratoire, une forme de légitimation et un encouragement à poursuive les recherches esthétiques en ce sens. Reste le lien historique, constaté plus qu’expliqué, entre le développement de l’abstraction et la faveur croissante accordée à ce paradigme vibratoire. Parmi les pistes d’interprétation, évidemment, plurielles, l’analyse ici poursuivie nous pousse à souligner le rôle qu’à joué l’intégration du paradigme de la vision au paradigme vibratoire dans l’exigence de l’abstraction. Chez Kandinsky, le dépassement de la forme qu’a pris le paradigme de la vision en peinture (en l’espèce de la figuration) vers un paradigme vibratoire, favorisant des oeuvres ouvertes à l’interaction des arts, s’inscrit dans une démarche globale cohérente. Mais le décryptage de cette synergie n’est peut-être opérant qu’à rebours. Paradoxalement,73 c’est dans notre paysage actuel où les codes culturels et institutionnels tendent à recouvrir les arts plastiques par la dénomination « d’arts visuels » que l’enjeu crucial de la démarche de Kandinsky s’éclaire. Ce qui est en jeu, c’est la plasticité, précisément en tant qu’elle est irréductible au visuel. En premier lieu, la plasticité peut être, également, sonore, à telle enseigne que D. Chateau a pu dire que « chez Kandinsky ou les néo-plasticistes, la musicalité sert de modèle pour penser la plasticité picturale. »74 Mais si la musique a un rôle privilégié pour Kandinsky, ce n’est pas au titre d’un autre art auquel devrait faire allégeance la peinture, c’est en tant qu’elle est le domaine artistique où le paradigme vibratoire a été, historiquement, à la fois le plus tangible et le plus approfondi. Ce qui est privilégié, ce n’est pas la plasticité musicale par rapport à la plasticité picturale, c’est la plasticité vibratoire, comme modèle commun auquel elles se rapportent toutes deux. Si le passage à ce paradigme vibratoire implique un dépassement du paradigme de la vision, il ne s’agit, en aucun cas, d’un « règlement de compte » avec l’image. Le paradigme de la vision n’est pas « congédié » par le paradigme vibratoire: il est « sursumé » (terme qui, nous rappelle Hegel, a le double sens de « conserver, maintenir, et faire cesser, mettre un terme »).75 Ce dépassement dialectique de la vision ressortit à l’ère du postvisuel, à tout le moins telle que la décrypte D. Chateau:

« Bien sûr, le postvisuel n’est pas une table rase, la pure et simple éradication du visuel. C’est même à certains égards tout le contraire. Le postvisuel est au visuel ce que le postmoderne est au moderne: un après qui, loin de se débarrasser de son avant, s’en nourrit et le nourrit. /…/La plasticité est l’avenir du visuel. »76

Indissociable de cette plasticité vibratoire, ce que l’abstraction permet d’approfondir, c’est la relation par laquelle l’image picturale déborde un certain modèle du visible. Cette démarche n’est pas, pour autant, absolument inédite: elle recroise des questions intrinsèques à l’histoire de la peinture. Comme l’ont montré D. Arasse77 et G. Didi Huberman,78 les annonciations italiennes n’ont cessé de produire une peinture habitée par cette question: comment faire poindre, au sein même de la représentation visuelle, quelque chose qui excède la dimension du visible en l’espèce du mystère divin. A première vue, il semble que la démarche d’abstraction des « néo-plasticistes » qui se réfère, non seulement au paradigme vibratoire mais aux « mathématiques plastiques », se démarque de ces prédécesseurs en privilégiant un critère scientifique, et non plus religieux, pour excéder les limites du visible. Mais si l’influence des « mathématiques plastiques » de M. Schoenmaekers et de la théosophie79 est patente sur les néoplasticistes, elle s’est avérée matinée de spiritualité plus encore que de scientificité.80 Issue du « positivisme mystique » de Schoenmaekers, la démarche consistant à dépasser la représentation de ses apparences pour « pénétrer la nature de telle sorte que la construction interne de la réalité nous soit révélée »81 fait sa part aux découvertes scientifiques, mais la référence à des exigences mystiques nourries de traditions occultes reste fondamentale, tout particulièrement chez Mondrian. Les nouvelles exigences plastiques qui en découlent quant à l’utilisation exclusive des couleurs primaires y sont formulées par Schoenmaekers en relation tant avec cette visée spirituelle qu’avec leur « interprétation cosmologique ».82 Au delà de l’influence de ce philosophe, l’incidence de la théosophie « colore » chez les néo-plasticistes et, dans une moindre mesure, chez Kandinsky, la forme spécifique que prend la plasticité vibratoire83 dans son articulation fondamentale avec la genèse de l’abstraction. Ce « fatras » ésotérique s’avère, cependant, heuristique, en favorisant l’émergence tant d’inventions plastiques que d’un nouveau modèle de la plasticité, débordant le visuel, qui s’appréhende en termes de génération de la forme,84 et dont l’horizon inclut les enjeux artistiques dans une conception élargie à l’univers.

3.2. Plasticité vibratoire ou puissance de réactualisations de la forme.

Entre passif et actif: l’aptitude à prendre formes de la plasticité vibratoire.

La notion théosophique de « Nature plastique » participe aux nouvelles valences dont se charge la plasticité en art à la lumière des Conseils à un auteur (1710) de Lord Shaftesbury.85 Les historiens des sciences86 se sont également intéressés à cette notion dont la genèse a été élaborée par Jacob Schegk, en relation avec l’embryologie, autour de l’examen de la « faculté plastique », avant d’être élargie au XVIIe siècle (par les néo-platoniciens de Cambridge Henri More et Ralph Cudworth) aux capacités formatives de la « Nature plastique ». L’analogie de cette « faculté plastique » avec l’imagination (soulignée par J. Schegk)87 se retrouve également dans son élargissement à la nature, tel que l’appréhende la tradition hermétique:

« Il existe un agent mixte, un agent naturel et divin, corporel et spirituel, un médiateur plastique universel, un réceptacle commun des vibrations du mouvement et des images de la forme, un fluide et une force qu’on pourrait appeler en quelque manière l’imagination de la nature. »88

Ce qui travaille dans la signification de cette « faculté plastique », c’est l’idée d’un agent capable non seulement de générer des formes mais de les organiser dans leur développement.89 Les valences dont la plasticité se charge, à la Renaissance, dans ces débats sur l’embryologie, préfigurent la capacité des cellules à reformer leurs tissus lésés que les découvertes scientifiques récentes qualifient de « plasticité neuronale ».90 Nietzsche associait déjà la notion de plasticité à cette capacité à réparer les blessures.91 Si l’on retrouve, dans ces occurences, le sème fondamental de la plasticité, en tant qu’il a affaire à la forme, il ne s’agit plus, comme dans l’exemple antique de la cire ou de l’argile, d’une forme que l’on recevrait, passivement, de l’extérieur, mais d’une forme que l’on recouvre par une « plasticité active ».

La différence, à mon sens essentielle, valorisée par la nouvelle valence de ce terme dans les récents développements scientifiques, consiste à appréhender une « plasticité comportementale »92 impliquant une posture active et non passive. Cette « plasticité active » fait écho aux développements récents de la science des matériaux qui ont exploré les comportements des matériaux dits « intelligents ».93 Pour autant, dès l’antiquité, la plasticité active n’était pas sous-estimée: la glaise (qu’un agent extérieur façonne et modèle pour lui donner forme) y était opposée à la capacité formative de la glèbe, fertile en puissance générative de germination.94 Dans la Fable anthropogonique d’Hyginus, la terre dont aurait été issu le premier homme tient à la fois des propriétés passives de la glaise (façonnée par Cura) et de celles, génératives, de la glèbe.95 L’ambivalence de la glèbe et de la glaise96 pointe la position fondamentalement intermédiaire de la plasticité entre l’actif et le passif. En tant qu’elle est un agent de la nature, la plasticité est irréductible à « l’extériorité de la puissance productrice d’une tekhnè ».97 C’est ainsi que Shegk, non sans s’appuyer sur Aristote,98 appréhende la « faculté plastique » comme un principe « interne » de la nature, qu’il oppose aux « produits de l’art », issus d’un « principe efficient externe ».99 Mais l’oeuvre d’art elle-même, précisément en tant qu’elle relève de la plasticité,100 s’oppose à l’extériorité qui détermine la fabrication d’un produit. D. Chateau dit « qu’elle n’est pas assujettie comme le produit d’arts appliqués à la réussite dans la représentation d’une finalité étrangère à sa qualité d’oeuvre; indépendante du matériau de sa réalisation, transcendante par rapport aux signes de l’investissement de l’artiste. »{{cf. D. Chateau, « Défense et illustration de la notion d’arts plastiques (et de celle d’arts appliqués) », Mars 2002.}} L’oeuvre d’art est, précisément, bien nommée en tant que « plastique », en ce qu’elle échappe à la « régulation systémique »{{Ibid.: «  »C’est par rapport à ce double travail systémique que l’on peut évaluer le rapport de l’artistique au concept. Le concept préalable au produit, comme synthèse de la régulation systémique prédisant le produit que le créatif doit fournir au bout de la chaîne, ne saurait gouverner l’oeuvre d’art « .}} externe qui gouverne le produit. La plasticité est irréductible à la passivité absolue du produit, en tant qu’il est soumission pure à une détermination extérieure. Même si tous les matériaux dits « plastiques » n’ont pas les propriétés de la « plasticité active » manifestées par des organismes vivants, ils témoignent, à tout le moins, d’une « résistance » par rapport à la forme extérieure qu’on tend à leur imprimer et, parfois même, d’une « puissance de formation ».{{cf. D. Chateau, Arts plastiques/Archéologie d’une notion, op. cit., pp. 7,11: « le mot plastique, originellement, fait référence à une catégorie particulière de matériau. Pour les Grecs, plastikos (l’argile, la cire, etc.) /../désigne des matières suffisamment molles pour  être pétries et suffisamment compactes pour revêtir des formes permanentes. Il s’ensuit, dès le début, une référence à la forme qui est à la fois ce que la matière induit et une action qu’on lui imprime (la matière malléable recèle une puissance de formation en même temps que la forme est un pouvoir de transformation). /…/Le mot plastikos /…/désigne /…/la matière malléable, et sa puissance de formation (au sens où la formation est l’action de la forme). »}}

Fondamentalement, la plasticité est un « négociation » subtile entre l’actif et le passif, entre le « subir » et le « résister ». Il serait plus pertinent de pointer cette dialectique entre actif et passif comme un des traits dominants du champ polysémique de la plasticité, plutôt que de restreindre les connotations de ce terme à celles de la réception passive d’une forme imposée de l’extérieur. En tant que la plasticité implique bien une réaction d’un matériau, elle suppose une intervention extérieure qui est, comme telle « subie », mais elle met en jeu, précisément, une capacité à « résister » à cette action extérieure qui peut aller, parfois, jusqu’à la possibilité de revenir à l’état d’équilibre formel qu’avait déstabilisé l’incidence de cette action extérieure. S’il est possible de parler de « métaphore » dans l’expression de « plasticité neuronale » (même si la polysémie, impressionnante, de ce terme de plasticité, tend à nous rendre prudents quant à la capacité à en définir un sens réputé « propre » par rapport à des sens réputés « figurés ») encore faut-il lui redonner sa valeur épistémologique de modèle.{{Max Black, Models and metaphors: Studies in language and philosophy, Ithaca, Cornell University Press, 1962.}} Le critère isomorphique n’est pas ici superficiel mais structural. Dans cette capacité des cellules à reformer leurs tissus lésés, on retrouve la potentialité plastique par excellence, celle qui désignait, dans la cire ou l’argile comme dans d’autres matériaux caractérisés par leur grande plasticité, la possibilité à la fois de prendre une nouvelle forme, mais aussi celle de reprendre la forme initiale.

Plasticité et élasticité des membranes: la capacité de reprendre forme.

C’est à ce titre que la plasticité s’avère extrêmement proche des valences de l’élasticité. Les scientifiques n’emploient pas, par hasard, indifféremment, les expressions « seuil de plasticité » et « limite d’élasticité ».{{cf. Jean-Claude Charmet (ESPCI – Laboratoire d’Hydrodynamique et Mécanique Physique), « Mécanique du solide et des matériaux /Elasticité-Plasticité-Rupture »: « 4.1. Le comportement plastique est celui d’un corps solide qui prend des déformations permanentes sans se fissurer. On admet également que ces déformations permanentes se produisent au delà d’un seuil de contrainte appelé seuil de plasticité ou limite d’élasticité ».}} Dans les définitions courantes, la plasticité est également associée à l’élasticité.{{Dans le sens 2 de « plasticité » le Petit Robert renvoie à élasticité.}} Or, l’élasticité, ce n’est pas, seulement, une posture « passive »: c’est le comportement d’un matériau qui permet que celui-ci « entre en vibration ». La plasticité, dans sa proximité avec l’élasticité, manifeste son inscription fondamentale dans le paradigme vibratoire. Avant même d’évoquer la théorie mathématique des « branes », on peut évoquer cette membrane bien connue qu’est le tympan. Celui-ci est décrit scientifiquement par cette capacité à « entrer en vibration » précisément à cause de sa plasticité:

« Cette organisation permet au tympan d’avoir ses caractéristiques de plasticité et d’élasticité qui permettent aux sons de le faire entrer en vibration. »{{cf. Wikipédia « Tympan (anatomie)}}

Dans cette valence, on peut donc définir la plasticité comme ce qui permet de faire entrer en vibration. C’est à ce titre que la théorie des cordes est un modèle privilégié en matière de plasticité vibratoire. Mais ce n’est pas un hasard si des expériences scientifiques font appréhender les propriétés vibratoires des cordes en utilisant un simple élastique.{{L’élastique est aussi la forme minimale de la « corde » qui vibre quand on la pince. Il a donné lieu à ce titre à des expérimentations scientifiques en vue d’une sensibilisation à la théorie des cordes (cf. http://fred.élie.free.fr/vibration_elastique.htm): « Voici une application simple des cordes vibrantes. On se propose de voir ici quel son fait un élastique si je l’étire progressivement. /…/Or, qui dit allonger un élastique, dit exercer une tension qui croît avec la longueur imposée. /…/ »Annexe: formulation théorique de la célérité du son d’une corde élastique: En première approximation, une corde tendue écartée de sa position de repos, puis lâchée (pincement) vibre de manière transverse (dans le sens perpendiculaire (y) à l’axe de la corde) selon des ondes stationnaires (c’est à dire qui vibrent sur place, sans propagation selon l’axe longitudinal (x) de la corde) . Pour obtenir les fréquences propres des vibrations de la corde, on adopte les hypothèses simplificatrices suivantes:/…/pour n = 1 on a la fréquence fondamentale de la corde, et pour les rangs supérieurs on parle d’harmoniques qui sont multiples entiers de la fondamentale. La fréquence fondamentale est d’autant plus basse (son grave) que la tension est faible, la longueur grande et sa masse linéique élevée. Ainsi, si l’on prend l’exemple d’une guitare où les cordes sont de même longueur, on constate que les cordes qui donnent les sons graves sont plus denses et plus épaisses que celles qui donnent les aigus, le réglage de la tension avec les clés permet d’ajuster la fondamentale de chaque corde. »}} En passant de la théorie des cordes à celle des supercordes et des « branes », ce modèle de la plasticité vibratoire a été élargi aux dimensions de l’Univers. Mais, en filigrane de l’extrême complexité mathématique de ces théories, on retrouve la simplicité de ce principe d’élasticité,{{cf. P. Steinhardt & N. Turok, Endless Universe, op. cit., pp.124-125: « Witten’s talk went on to describe the advantages of reinterpreting elementary particles as tiny spinning bits of string. Just as Einstein pictured three-dimensional space as an elastic substance that can be stretched and distorted, you can think of string as a geometrical curve with no width that can bend and turn in all possible ways, like an infinitely thin strand of rubber. The string is perfectly elastic; so it can shrink away to a point or be stretched out to an arbitrary length. If you stretch a piece of string out in a straight line, the free ends pull together with a fixed force called the string tension. Somme of the properties of string are actually very similar to those of cosmic strings /…/. But whereas cosmic strings are really twisted-up configurations of fields with a minuscule but finite width, fundamental strings are idea one-dimensional mathematical curves. »}} dans la capacité des branes à « entrer en vibrations » par collision.{{Ibid., pp. 155, 257: « the cyclic universe can be built from two braneworlds drawn together by a springlike force and collifind at regular intervals. /…/If the cyclic model proves to be correct, the textbook authors will write that the image shows the splatter of matter and radiation created at the big bang itself. /…/They will explain that the universe has an extra dimension, that the extra dimension is bounded by branes, and that the branes collide with each other to create the bang. They will show how the image can be used to determine the collision speed of the branes and to check that all the matter and radiation we see was created by the collision. »}}

Le modèle cosmologique cyclique qu’ont conçu P. Steinhardt et N. Turok à partir de la théorie des branes peut s’interpréter comme un Univers auquel sa plasticité infinie permet de redonner forme à chaque « Big Bang ». Dans ce modèle où l’Univers retrouve sa forme initiale, ce dont il s’agit, ce n’est pas tant d’un « retour à l’équilibre » que de la capacité de recréation, autopoïétique, de l’Univers. Dans cette visée, la plasticité, ce n’est pas ce qui « subit » l’incidence d’un acte créateur comme de l’extérieur, c’est la capacité poïétique elle même qui existe, à l’intérieur de la matière. Dans le dialogue entre le plasticien et la plasticité de son matériau, cette capacité poïétique de la plasticité vibratoire est décuplée.

D’après l’analyse ici menée, il ressort que ce n’est donc pas « accidentellement » que des artistes plasticiens se sont intéressés à la théorie des supercordes. Au delà des motivations conscientes, allégués ou implicites, ce que met en jeu, fondamentalement, ce type de démarche, c’est l’approfondissement de la plasticité en tant qu’elle a affaire au paradigme vibratoire. La médiation de la science dans les démarches artistiques se référant à la plasticité n’est donc pas extrinsèque: elle ramène les plasticiens à l’exploration des nouvelles valences de la dimension intrinsèque la plus fondamentale de leur art. Dans ce dépassement du sens restreint de la plasticité, celle-ci s’est chargée d’une valeur temporelle. Dans la collaboration entre l’artiste Matthew Ritchie et Neil Turok, cette question du temps, on l’a vu, s’est avérée centrale. L’enjeu, c’est le futur, comme possibilité de la perpétuation du temps comme tel, incluant sa capacité de métamorphose.

Le modèle de Steinhardt et Turok n’est pas sans accents spinoziens. Ils ne sauraient concevoir cette totalité, que Spinoza appelait la Nature, et qu’ils qualifient d’Univers, autrement qu’existant et se perpétuant dans son être. Mais ce qui n’est qu’exigence en attente de confirmation, de leur point de vue, était, pour Spinoza, une vérité: « Chaque chose, selon sa puissance d’être (quantum in se est), s’efforce de persévérer dans son être. »{{Spinoza, « Origine et nature des sentiments », Proposition VI, in L’Ethique, in Oeuvres complètes, NRF/Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, p. 421.}} Dans cette phrase cruciale de l’Ethique, le traducteur rend,{{cf. Note du traducteur, p. 1433: « Quantum in se est.  La formule est habituellement traduite: « autant qu’il est en elle », et, malgré sa grammaire et son style assez douteux (qu’est-ce qui est en elle?), l’usage en paraît consacré. Je me décide à rompre avec cette tradition parce que cette traduction pme parâit obscure inutilement. J’introduis donc le mot « puissance » que je trouve quelques lignes plus bas dans la démonstration. A lafin du scolie, le terme potest étant précisément accolé à in se est ».}} à juste titre, l’expression spinozienne « quantum in se est » par « puissance d’être ». Un développement possible de l’imaginaire du « quantum », c’est cette puissance à persévérer dans son être. L’imaginaire « quantique », dès lors qu’il est poussé aux limites de la plasticité vibratoire, c’est la capacité infinie de l’Univers, au delà de ses multiples transformations, à se redonner forme. La plasticité vibratoire, c’est la capacité à favoriser la réactualisation sans fin de la puissance d’être. Mais cette perpétuation dans son être, ce n’est pas la reduplication du même. Est plastique ce qui est capable d’accueillir les tranformations de son être, tout en ne détruisant pas ses « rapports constituants ».{{cf. Gille Deleuze, « DELEUZE – SPINOZA » – 24/01/78: « Et, sur cette ligne mélodique de la variation continue constituée par l’affect, Spinoza va assigner deux pôles: joie-tristesse, qui seront pour lui les passions fondamentales, et la tristesse ce sera /…/n’importe quelle passion enveloppant une diminution de ma puissance d’agir, et la joie sera toute passion enveloppant une augmentation de ma puissance d’agir. /…/Lorsque je fais une rencontre telle que le rapport du corps qui me modifie, qui agit sur moi, se combine avec mon propre rapport, avec le rapport caractéristique de mon propre corps, qu’est-ce qui se passe? Je dirais que ma puissance d’agir est augmentée; elle est au moins augmentée sous ce rapport là./…/Il y a un mélange nocif ou un bon mélange, aussi bien au niveau du corps que de l’âme./…/A la lettre, dans un cas, j’ai fait une bonne rencontre, dans l’autre cas, j’ai fait une mauvaise rencontre. Tout ça c’est de la catégorie de l’occursus. Lorsque je fais une mauvaise rencontre, cela veut dire que le corps qui se mélange au mien détruit mon rapport constituant, ou tend à détruire un de mes rapports subordonnés./…/Dans un affect de joie donc, le corps qui vous affecte est indiqué comme composant son rapport avec le votre et non pas son rapport décomposant le vôtre. Dès lors, quelque chose vous induit pour former la notion de ce qui est commun au corps qui vous affecte et au vôtre. »}} La plasticité vibratoire, c’est la capacité à être apte au plus grand nombre de transformations, à dynamiser sa puissance d’être dans le devenir de ses métamorphoses.

Citer cet article

Isabelle Rieusset-Lemarié, « Paradigme vibratoire et recréation du futur (Entre arts et sciences : Plasticité et cosmologie) », [Plastik] : Être ici et là : La relativité générale et la physique quantique #01 [en ligne], mis en ligne le 28 décembre 2009, consulté le 28 mars 2024. URL : https://plastik.univ-paris1.fr/2009/12/28/paradigme-vibratoire-et-recreation-du-futur-entre-arts-et-sciences-plasticite-et-cosmologie/ ISSN 2101-0323

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