Résumés des articles / Vers une esthétique des éléments
Nr 10 . 19 janvier 2022
Adrien ABLINE
Césium 133 : de l’horloge atomique à ses appropriations artistiques
Depuis la 13e conférence générale des poids et mesures (1967), l’unité de mesure du temps (notre seconde) est associée aux vibrations d’un atome : le Césium 133. Cette révolution métrologique a fait de cet élément atomique notre étalon temporel. L’article interroge un corpus d’œuvres artistiques traitant sous diverses opérations de ce rythme partagé et hyperfin de la matière. Le personnage fictif Dr Manhattan des auteurs Dave Gibbons et Alan Moore ainsi que les œuvres des artistes Evariste Richer et Melik Ohanian sont ici discutés dans leur expression singulière à rendre sensible un temps atomique.
Meris ANGIOLETTI
Le partage de l’air : tonicité de la langue portée par le vent
Depuis que l’air que l’on respire est devenu dangereux, toute manifestation sonore, volontaire ou involontaire, afférant à la sphère de l’oralité a fait l’objet d’une distanciation, d’un repli de l’espace de parole et de souffle. Ce geste a également ramené à la mémoire la présence – silencieuse, évidente, invisible – de l’air, son être matière oublié du discours (Luce Irigaray). L’air est la substance plastique de la parole, agent d’activation des organes phonateurs et résonateurs corporels : le partage de l’air est ainsi aussi un partage des voix (Jean-Luc Nancy), humaines ou non, un espace de connectivité pneumatique et phonétique, où le discours, insufflé par les corps, devient sensible, tonique, résonnant (Anne BoissièreVirginie Jacob Alby) et collectif, porteur d’un lien qui se crée en « pensant avec les poumons » (Adriana Cavarero). A travers des exemples d’œuvres plastiques et sonores, le texte se tisse comme une composition, un air musical.
Hervé BACQUET
Eléments et entropies : remonter le temps avec un crayon. Autour du film d’animation Les sonneurs de Chartres.
Après avoir gravi l‘escalier de la tour nord de la cathédrale de Chartres, je suis dans la salle des guetteurs, occupée depuis le seizième siècle par les sonneurs de cloches. Ils ont gravé leur nom sous la voûte, une immense page d’écriture s’est constituée en lien avec les éléments atmosphériques. En s’infiltrant, la pluie devient calcite, elle dessine et recouvre ces inscriptions, elle se cristallise et dessine à son tour une constellation organique que la main et le regard de l’homme ne connaissent pas. A partir de ce théâtre sous-jacent et insondable, à partir des créatures hybrides visibles au sommet de la tour nord, je nourris les multiples visages de mes dessins tracés au ralenti, image par image. Par le biais d’incisions, d’effacements et de recouvrements, naît la morphologie du mouvement.
Filomena BORECKA
L’air et l’enquête sur l’imaginaire du souffle Phrenos – la Banque du Souffle. Un entretien avec le pneumologue Jean-Philippe Santoni, Fondation du Souffle, Paris.
Dans cet entretien, nous échangeons sur différentes problématiques liées au souffle qui se cristallisent à travers l’enquête sur l’imaginaire associé au souffle « Phrenos – la Banque du Souffle ». Cette dernière est liée à ma sculpture sonore, pénétrable, éponyme commencée en 2011. Lors de l’enquête il s’agit de recueillir des données qualitatives de différents publics (enfants, adolescents, adultes, seniors) afin de pouvoir rendre compte d’une dynamique représentationnelle du souffle. Avec le pneumologue Jean-Philippe Santoni nous nous attardons sur le phénomène de l’oubli du souffle dans la vie quotidienne des gens. La prise de conscience de la respiration se fait surtout dans des situations d’effort ou de douleur, il faut avoir mal pour se rendre compte qu’on a un corps. La condition physiologique liée au souffle y est abordée à plusieurs reprises. Respirer d’une manière saine, cela signifierait de se trouver dans un environnement sans pollution atmosphérique. Cela pourrait procurer aux humains une meilleure qualité de vie et créer un Bonheur Intérieur Brut (BIB). Le bon air serait donc lié au bonheur, et ce dernier à la bonne humeur.
Jessica BOUBETRA & Jean-Baptiste LENGLET
Les haptiques
Les haptiques est un ensemble de colonnes en céramique réalisées en 2021. Il s’agit d’une recherche sculpturale où se rejoignent la céramique et la réalité virtuelle autour de formes végétales. Notre proposition pour Plastik est un nuancier in situ, pensé pour l’espace de la page web, qui constituent un état de cette recherche.
Larisa DRYANSKY
Entre matière élémentaire et simulacre. La matérialité « stéréoscopique » de l’œuvre de Jean Dubuffet
Plus que tout autre, l’œuvre de Dubuffet incarne, en histoire de l’art, la revanche de la matière élémentaire sur la forme, approche que redoublent chez l’artiste les références à l’alchimie. Pourtant, après le point culminant de cette entreprise que représentent les Matériologies, l’artiste, à l’orée des années 1960, semble s’engager, avec le cycle de L’Hourloupe (1962-1974), dans une voie complètement différente. Composé de figures fantomatiques, cet ensemble illustre l’attirance de l’artiste pour l’irréel et l’immatériel. Cet article propose d’aborder la relation entre l’univers essentiellement mental de la seconde période de Dubuffet et les expérimentations matériologiques qui le précèdent en explorant le rôle de la technique photographique dans la pratique et la réflexion de l’artiste. On s’attardera en particulier sur son intérêt pour les vues stéréoscopiques et pour la notion antique de simulacre.
Benjamin FELLMANN
Politique de l’image élémentaire. David Wojnarowicz entre Aby Warburg et Pier Paolo Pasolini
En analysant la critique sociale que développe David Wojnarowicz (1954–1992) quant aux rapports de la société de consommation à la nature, cet article met en lumière le voisinage intellectuel de l’artiste avec Aby Warburg et la lecture qu’il fait de Pier Paolo Pasolini. Reconnu aujourd’hui comme figure phare de la scène artistique new-yorkaise des années 1980-90, Wojnarowicz créa son œuvre en un peu moins de dix ans, précédant sa mort du sida. Entre 1986 et 1987 il développe une importante série d’œuvres sur les quatre éléments. C’est sur cette série que se concentre cet article, la mettant en résonance avec son autoportrait le plus célèbre, Untitled (Face in Dirt), délibérément conçu comme « œuvre ultime » lors de son dernier voyage, dans le Sud-Ouest américain. L’affrontement iconographique des quatre éléments actualise une négociation visuelle quant aux rapports entre l’homme et l’environnement dans la société post-industrielle : Wojnarowicz la court-circuite par une affinité avec les cultures précapitalistes, en particulier les Hopis, se faisant ainsi, le parent électif intellectuel de Warburg. Il étend ce champ d’expérience à une idée plus globale du Sud, se plaçant proche de Pasolini, dont un motif du film Teorema (1968) constitue une importante référence de son autoportrait, qui transcende les préoccupations centrales des tableaux des quatre éléments en tant qu’expérience existentielle entre nature et culture.
Toni HILDEBRANDT
Disequilibrium. De la critique de l’eucrasie des éléments
Ce texte interroge le concept de déséquilibre de l’Antiquité à la période contemporaine afin de proposer une perspective critique sur le modèle hégémonique d’une eucrasie des éléments. L’installation Our Product (2015) de Pamela Rosenkranz y est lue à la lumière de l’idée d’une « histoire naturelle » (Walter Benjamin) capable d’intégrer une phénoménologie du déséquilibre. L’essai met en évidence combien un déséquilibre imprègne l’histoire des éléments et des couleurs chaque fois que ceux-ci ont intrinsèquement et allégoriquement une histoire, qu’ils ont été façonnés par l’histoire ou que leur division elle-même a été le résultat de processus historiques. Leur mélange n’est alors pas une eucrasie, une distribution harmonieuse et équilibrée, mais plutôt un ensemble de ruptures, de contradictions et d’antagonismes visibles et invisibles. L’essai plaide donc pour un autre « partage du sensible » (Jacques Rancière) des éléments dans l’Anthropocène, en tenant compte des phénomènes de contamination et de dissonances.
Hanna KLIMPE
De la scandalisation à la normalisation d’un stigmate. La représentation du sang menstruel de l’art féministe des années 1970 à Instagram
En 1971, Judy Chicaco choquait le public avec sa lithographie Red Flag, qui présente le retrait d’un tampon gorgé de sang. Quand l’œuvre est exposée pour la première fois, cette image est si impensable que des spectateurs prennent le tampon pour un pénis. En 2015, la poétesse Rupi Kaur publiait une photo d’elle sur Instagram, allongée sur son lit, avec du sang menstruel visible sur son pantalon. La photo est supprimée par Instagram pour violation des règles de la plateforme jusqu’à ce que R. Kaur créé le scandale autour de cette suppression ; l’affaire fit l’objet d’un large débat dans les médias et sur la plateforme elle-même. Cet article a pour objectif de comparer les modes de visibilisation du sang menstruel et sa contextualisation dans l’art féministe des années 1970 et sur les réseaux sociaux. Il pose ainsi cette question: le débat autour du stigmate du sang menstruel a-t-il véritablement évolué ou n’est-il que transposé ?
Maud MAFFEI
Histoires d’éléments. Traversée spéculative d’un écran à cristaux liquides
A notre âge de technologies complexes et microscopiques, comment démanteler nos objets sophistiqués ? Comment faire une archéologie des écrans à cristaux liquides de nos outils numériques ? « Je vois la possibilité d’un art du démantèlement » émet l’artiste Robert Smithson (1938-1973) au moment des développements avancés de l’électronique à la fin des années 1960 : c’est en démantelant les cadres de perception des matières et matériaux, que l’on peut mieux les comprendre. En poursuivant cette approche, ce texte questionne la structure et les matériaux qui composent les écrans à cristaux liquides, ces morceaux individuels de géologies universelles sur lesquels et à travers lesquels nous traçons quotidiennement des lignes visibles et invisibles. Débutant par une fiction de cette expérience, le fil de la lecture est pensé tel un cristal, interrogeant selon différentes facettes les matières élémentaires atomiques et métalliques des écrans au regard des quatre éléments de la civilisation occidentale, envisagés tant dans leurs aspects phénoménologiques que dans leurs échelles de symbolisations.
Géraldine SFEZ
Au milieu des éléments : Les Saisons et La Nature d’Artavazd Pelechian
L’œuvre du cinéaste arménien Artavazd Pelechian est traversée par la question des éléments et des météores depuis son premier film, La Patrouille de montagne (1964), jusqu’à son plus récent, La Nature (2020), en passant par Les Saisons (1975). Dans ce film réalisé en 1975, Pelechian saisissait la vie de paysans arméniens confrontés au rythme des saisons, les montrant pris dans le flux continu des éléments. Dans La Nature, il met en scène une nature puissante et nous donne à voir un monde sans les hommes, avant ou après eux. Si les relations entre l’homme et la nature sont traitées différemment de l’un à l’autre film, on y retrouve toutefois une même attention portée aux éléments et à leur transformation continuelle. Le caractère essentiellement changeant et mouvant des éléments, pris dans des cycles et des boucles temporelles, entre ainsi étroitement en résonance avec la méthode de montage « à distance » propre au cinéaste.
Riccardo VENTURI
Archives d’eau. Roni Horn et la Library of Water
Vatnasafn/Library of Water (2007) est le titre d’un projet de Roni Horn. Américaine de naissance mais Islandaise d’adoption, elle visite l’Islande pour la première fois en 1975 à l’âge de 19 ans, son premier voyage hors des États-Unis. L’Islande devient vite pour elle un atelier à ciel ouvert, sans limites, tout comme ces paysages géologiques où les phénomènes atmosphériques ont une présence écrasante.
À Stykkishólmur, une petite ville située à trois heures de Reykjavik sur la côte ouest, elle est frappée par la bibliothèque circulaire située au sommet d’une colline qui, de loin, ressemble à un phare. Elle y crée sa Library of Water, composée de vingt-quatre glaciers islandais millénaires qui subissent depuis des années ce que les glaciologues appellent une “ablation” ou récession. L’eau est placée à l’intérieur de vingt-quatre colonnes de verre disposées de manière irrégulière. Pendant la journée, elles reflètent et réfractent la lumière extérieure ; le soir, ou en hiver lorsque le soleil ne se lève jamais, les colonnes éclairent l’espace en émettant une lumière à leur sommet. L’eau est partout, dans le paysage extérieur au-delà des fenêtres, et à l’intérieur, protégé par les colonnes comme dans un aquarium. Par sérendipité, la Library of Water se trouve à l’endroit où les premiers enregistrements météorologiques ont été effectués en Islande en 1845. Cette contribution historico-critique examine la réalisation de ce travail dans le contexte de l’œuvre de Horn, à travers l’apport des humanités environnementales et de l’écoféminisme.
Jeanette ZWINGENBERGER
Arcimboldo, artiste du vivant. Un précurseur du XXIème siècle?
A travers l’analyse des « Quatre éléments » de Giuseppe Arcimboldo (1526-1593), cet article met en lumière en quoi l’artiste se révèle un précurseur de l’art du XXIème siècle quant aux questions si actuelles de l’hybridation et du transhumanisme.
Citer cet article
, « Résumés des articles / Vers une esthétique des éléments », [Plastik] : Vers une esthétique des éléments #10 [en ligne], mis en ligne le 19 janvier 2022, consulté le 21 novembre 2024. URL : https://plastik.univ-paris1.fr/2022/01/19/resumes-des-articles-vers-une-esthetique-des-elements/