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Saisons déplacées – les séries de Bartosz Beda sur les migrations [Estações deslocadas – as séries de Bartosz Beda sobre migrações]

Saisons déplacées – les séries de Bartosz Beda sur les migrations [Estações deslocadas – as séries de Bartosz Beda sobre migrações]


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Table des matières

Note : Cet article est présenté dans deux versions : d’abord en français puis en portugais.

 

[Figure 1]

La peinture est plus qu’une simple façon de présenter des images. Dans différents contextes culturels, elle fut un dispositif à partir duquel il est possible de visualiser, de réfléchir avec les sens et de permettre aux gens d’expérimenter et de méditer sensiblement sur le monde. Dans cette perspective, Bartosz Beda utilise la peinture pour penser et attirer l’attention sur la migration avec ses nouvelles séries: Four Seasons (Les Quatre Saisons) et Amalia, en 2022. De fait, l’immigration est plus qu’un thème pour lui, car elle affecte son travail de nombreuses façons.

[Figure 2]

L’immigration persistante vers les États-Unis de personnes venues d’Amérique Latine l’a affecté, particulièrement les situations critiques vécues récemment par les familles de migrants, avec des parents et des enfants séparés les uns des autres dans des centres de détention à travers le pays. La fuite récente des personnes fuyant la guerre en Ukraine souligne l’ampleur et l’urgence de sa réflexion picturale. Polonais installé à Dallas, après avoir vécu au Royaume-Uni et ailleurs aux États-Unis, Beda est resté profondément sensibilisé aux destins incertains et très souvent tristes, voire désespérés, aussi bien des réfugiés et immigrants latino-américains qui arrivent aux frontières du Texas, que ceux qui fuient le territoire ukrainien.

[Figure 3]

La migration imprègne les moyens d’expression de Beda. Il utilise un moyen artistique créé pour le voyage, la peinture de chevalet, laquelle, cela mérite d’être rappelé, n’est pas originaire des États-Unis, mais plutôt une tradition qui se réinvente encore là-bas. Il a profité de la mobilité caractéristique de la peinture de chevalet, en adoptant des toiles modulées dans cette exposition. En utilisant des toiles de mêmes dimensions dans toutes les œuvres, composant ainsi chacun des panneaux de Four Seasons avec quatre ou six toiles identiques, Beda les a pensées pour être faciles à transporter et à installer. Au-delà de l’aspect pratique, les formats des toiles permettent de caractériser les transitions entre les saisons, soulignant leurs caractéristiques et leurs rythmes. Alors que les panneaux verticaux dédiés à l’été (Summer) et à l’hiver (Winter) évoquent les extrêmes culminants de chaleur et de froid, les panneaux de l’automne (Fall) et du printemps (Spring) sont principalement horizontaux, avec un changement graduel de la chaleur vers le froid – et vice versa.

[Figure 4]

À partir du support, la question de la migration affecte les images qui y sont configurées, propageant des sensations et des significations. Certains éléments cruciaux de ces séries ont migré d’un autre domaine, parce que Beda a transposé des scènes d’immigrants de photographies en peintures, transmutant des images graphiques en icônes picturales. Néanmoins, les significations positives de transit et de délocalisation sont loin d’être dominantes. Dans ces toiles, des lieux vaguement définis, prêts à se dissoudre avant même de se former, avec des enfants cherchant des références sans but, créent une sensation de localité incertaine et de situation sociale vulnérable.

[Figure 5]

Au flou spatial correspond la suspension temporelle. En abordant le thème des quatre saisons, Beda indique combien le temps est une question centrale dans les processus migratoires, car il s’infiltre de différentes façons dans le déplacement des personnes vers des territoires plus ou moins distants de leurs lieux d’origine et d’habitation. La récurrence permanente des saisons nous fait penser à la migration comme pratique humaine depuis des temps immémoriaux. Mais elle nous fait aussi réfléchir sur les étapes successives du processus migratoire, avec ses barrières physiques, politiques, sociales et psychologiques. Et combien le passage du temps est varié pour chaque immigrant ou réfugié, en dépit de la règle de la temporalité discontinue et cumulative. En ce sens, la présence marquante d’enfants dans ces tableaux est instructive. Pour un migrant, la relocalisation peut contenir les promesses typiques d’un nouveau départ, mais ce n’est pas exactement une renaissance. De nouvelles impressions, sensations et expériences se mélangent avec des souvenirs joyeux ou sombres comme en enfance.

[Figure 6]

A l’instar de nombreuses histoires d’immigrants, les attentes frustrées sont au centre de ces panneaux et toiles. Dans une autocritique permanente, alimentée par des stratégies de formation et des tactiques de démantèlement, Beda traduit picturalement l’infinie possibilité de retournement si caractéristique de la migration.

[Figure 7]

La série s’amuse avec la gradation chromatique généralement associée aux saisons, balançant d’un hiver froid et bleuté à un été chaud et orangé, en passant par un printemps qui fleurit entre les tons de rose, cramoisi et violet, ainsi que par une bourrasque de tons brunâtres, ocres et grisâtres normalement associés à l’automne, reliant l’été à l’hiver. Mais la configuration colorée, lumineuse et vibrante des saisons ne se concrétise jamais, car le pathos douloureux et agonisant du déplacement est prévalent. Nous pouvons percevoir les multiples états d’esprit et émotions dans les poses, les gestes et les visages des enfants que l’on aperçoit dans ces tableaux : curiosité et méfiance, tristesse, désarroi et désespoir.

[Figure 8]

En observant attentivement les panneaux, on peut percevoir comment la grille orthogonale générée par la juxtaposition des écrans modulaires interfère avec les images de manière subliminale. Cette grille semble les soutenir et les superposer, de la même manière que la rationalité perverse du pouvoir et des conflits économiques qui motive et encadre les migrations supposément irrégulières, imprévues et erratiques des personnes.

De la même façon, les points et les formes émergents qui paraissent prêts à s’articuler comme ensembles vivants, comme des motifs ornementaux capables d’animer la surface picturale, ne tardent pas à contredire et surprendre nos attentes. Ils s’opposent aux figures floues, qui sont également en cours de formation inachevée, faisant en sorte que toutes retournent à l’état de taches et de coups de pinceau, maintenant la peinture dans un processus permanent de devenir. La bataille permanente entre figuration et abstraction est très chère à l’œuvre de Beda. Nous voyons, mais n’arrivons pas à décider si les figures se dissolvent dans des taches, des lignes et des rayures ou si, au contraire, elles nous gagnent graduellement et nous font visualiser des personnes, des choses et des ambiances. Plutôt que de choisir entre une dynamique ou une autre, nous devons réaliser que la formation et la dissolution sont des processus interreliés et mutuellement dépendants, tel que dans la conjoncture globale actuelle. L’un des défis de Beda est d’éviter que la peinture perde son statut de pratique réflexive reliée au monde. En faisant vibrer ses toiles, il maintient en vie la peinture pour parler de l’angoisse de l’immigration et de notre monde tragique.

 

—— Texte en portugais ——

Estações deslocadas – as séries de Bartosz Beda sobre migrações

 

[Figure 9]

A pintura é mais do que uma forma de apresentar imagens. Em diferentes contextos culturais, tem sido um dispositivo a partir do qual se pode visualizar, refletir com os sentidos e fazer as pessoas vivenciarem e meditarem sensivelmente sobre o mundo. Nesse sentido, Bartosz Beda utiliza a pintura para pensar e chamar a atenção para a migração com as suas novas séries: Four Seasons (As Quatro Estações) e Amália, de 2022. Na verdade, a imigração é mais do que um tema para ele, afetando o seu trabalho de muitas maneiras.

[Figure 10]

A persistente imigração de pessoas da América Latina para os Estados Unidos o tem afetado, particularmente as situações críticas vividas recentemente pelas famílias migrantes, com pais e filhos separados uns dos outros em centros de detenção pelo país. A recente fuga de pessoas da guerra na Ucrânia realça quão ampla e urgente é a sua reflexão pictórica. Polonês e radicado em Dallas depois de ter vivido no Reino Unido e em outros lugares dos Estados Unidos, Beda ficou profundamente sensibilizado pelos destinos incertos e muitas vezes tristes, se não desesperados, tanto dos refugiados e imigrantes latino-americanos que chegam às fronteiras do Texas e quanto daqueles que escapam do território ucraniano.

[Figure 11]

A migração permeia os meios expressivos de Beda. Ele usa um meio artístico criado para viajar – a pintura de cavalete, a qual, vale lembrar, não é nativa dos Estados Unidos, mas uma tradição que ainda está sendo inventada por lá. Ele se valeu da mobilidade característica da pintura de cavalete ao adotar telas moduladas nesta mostra. Ao utilizar telas com as mesmas dimensões em todas as obras, compondo cada um dos painéis de Four Seasons com quatro ou seis telas iguais, Beda projetou-as para serem mais bem transportadas e instaladas. Além da praticidade, os formatos das telas ajudam a caracterizar as transições sazonais, enfatizando suas características e ritmos. Enquanto os painéis verticais dedicados ao verão (Summer) e ao inverno (Winter) falam de extremos culminantes de calor e frio, os painéis de Outono (Fall) e Primavera (Spring) são predominantemente horizontais na mudança gradual do calor para o frio e vice-versa.

[Figure 12]

A partir do suporte, a questão da migração atinge as imagens nele configuradas, propagando sensações e significados. Elementos cruciais destas séries migraram de outro âmbito, pois Beda transpôs cenas de imigrantes de fotografias para pinturas, transmutando imagens gráficas em ícones pictóricos. No entanto, os sentidos positivos de trânsito e deslocalização estão longe de ser dominantes. Nesses telas, lugares vagamente definidos, prontos para se dissolverem antes mesmo de se formarem, com crianças procurando referências sem rumo, criam uma sensação de localidade incerta e de situação social vulnerável.

[Figure 13]

Ao desfoque espacial corresponde a suspensão temporal. Ao tratar do tema das quatro estações, Beda indica como o tempo é uma questão central nos processos migratórios, pois se infiltra de diversas maneiras na deslocalização das pessoas para territórios menos ou mais distantes de seus locais de origem e habitação. A recorrência permanente das estações faz-nos pensar na migração como uma prática humana desde tempos imemoriais. Mas também refletir sobre as sucessivas etapas do processo migratório, com as suas barreiras físicas, políticas, sociais e psicológicas. E quão variada pode ser a passagem do tempo para cada imigrante ou refugiado, apesar da regra da temporalidade descontínua e cumulativa. Nesse sentido, a presença marcante de crianças nessas pinturas é esclarecedora. Para um migrante, a relocalização pode conter promessas típicas de novos começos, mas não é exatamente um renascimento. Novas impressões, sensações e experiências se misturam com lembranças alegres e assombradas como na infância.

[Figure 14]

Como em muitas histórias de imigrantes, as expectativas frustradas estão no centro destes painéis e telas. Com uma contínua autocrítica, processada com estratégias de formação e táticas de desmanche, Beda traduz pictoricamente a infinita possibilidade de reversão tão característica da migração.

[Figure 15]

A série brinca com a gradação cromática geralmente associada às estações do ano, transitando de um inverno frio e azulado para um verão quente e alaranjado, passando por uma primavera que floresce entre tons de rosa, carmesim e violeta, além de um vendaval de tons acastanhados, ocres e acinzentados normalmente associados ao outono, que conectam o verão ao inverno. Mas a configuração colorida, luminosa e vibrante das estações nunca se concretiza porque prevalece o páthos doloroso e agonizante do deslocamento. Podemos perceber múltiplos estados de espírito e emoções nas poses, gestos e rostos das crianças vislumbrados nessas telas: curiosidade e desconfiança, tristeza, desamparo e desesperança.

[Figure 16]

Olhando atentamente para os painéis, podemos perceber como a grade ortogonal gerada pela justaposição das telas modulares interfere subliminarmente nas imagens. Esta grelha parece subsidiá-los e sobrepô-los, de modo similar à racionalidade perversa do poder e das disputas econômicas que impulsiona e enquadra as migrações supostamente irregulares, imprevistas e erráticas das pessoas.

Da mesma forma, os pontos e formas emergentes que parecem prontos para se articular como conjuntos vívidos, como padrões ornamentais que poderiam animar a superfície pictórica, logo contradizem e surpreendem as nossas expectativas. Eles se opõem às figuras borradas, que também estão em processo de formação inacabada, fazendo com que todas retroajam à condição de manchas e pinceladas, mantendo a pintura em permanente processo de devir. A batalha contínua entre figuração e abstração é muito cara ao trabalho de Beda. Olhamos e não conseguimos decidir se as figuras se dissolvem em manchas, linhas e riscos ou se, ao contrário, vão ganhando-nos gradativamente e fazendo-nos visualizar pessoas, coisas e ambientes. Mais do que escolher entre uma dinâmica ou outra, devemos compreender que a formação e a dissolução são processos interligados e mutuamente dependentes, como na atual conjuntura global. Um dos desafios de Beda é evitar que a pintura perca o seu estatuto de prática reflexiva ligada ao mundo. Fazendo pulsar suas telas, ele mantém a pintura viva para falar sobre a angústia da imigração e do nosso mundo trágico.

 

Citer cet article

Bartosz Beda et Roberto Conduru, « Saisons déplacées – les séries de Bartosz Beda sur les migrations [Estações deslocadas – as séries de Bartosz Beda sobre migrações] », [Plastik] : Migrations #15 [en ligne], mis en ligne le 23 avril 2025, consulté le 24 avril 2025. URL : https://plastik.univ-paris1.fr/2025/04/23/saisons-deplacees-les-series-de-bartosz-beda-sur-les-migrations/

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