Qui va au nord, va au sud
Vincent + Feria
Nr 05 . 19 juin 2017
Table des matières
Résumé
« Qui va au nord, va au sud » est la traduction en langue inuktitut du titre du célèbre dessin de l’artiste uruguayen Joachim Torres Garcia, Notre nord est le sud (América Invertida, Museo Nacional de Artes Visuales, Montevideo, Uruguay, 1943).
[Figure 1]Il est intéressant de rappeler que les Inuits, peuples du Nord, perçoivent la question géographique différemment de nous, qui opposons toujours et séparons le Nord et le Sud, surtout quand il s’agit de géopolitique et de développement. « La pharmacie dans nos contrées, ne se trouve ni au nord ni au sud de la ville. Pour la trouver, il est nécessaire de s’orienter selon l’étoile polaire. C’est elle qui oriente notre destin, notre vie. C’est elle qui nous surveille et qui nous protège », disent-ils.
La mer de Weddell
En 2004 nous embarquons à bord du brise-glace Almirante Irizar, pour une campagne océanographique en mer de Weddell. L’engin, fleuron de la marine argentine, témoin de guerres liées à la convoitise et à la lutte pour le maintien de territoires nationaux dans ces lieux extrêmes de notre globe terrestre, héberge depuis 2002 un laboratoire mobile qui réunira cette année-là, et pour la première fois, scientifiques et artistes1. Notre tâche, pendant la durée de l’expédition, sera de filtrer l’eau de mer pour chercher lipides et pigments, et découvrir les blooms. Les 30 prélèvements réalisés le long du parcours rejoindront par la suite divers laboratoires scientifiques travaillant sur l’océan global et sur la question du changement climatique.
La traversée de la mer de Weddell et l’approche du continent Antarctique constituent une expérience esthétique maintes fois révélée par les explorateurs depuis le XVIII siècle2 et toujours exceptionnelle.
Partis en Antarctique avec l’idée de paysage nous en revenons avec celle d’environnement, et les formes artistiques qui surgiront de ce voyage seront particulières et diverses : situations performatives, performances gastronomiques, lectures, dispositifs interrelationnels et interactifs, protocole du Copyleft, banque de questions, manifestes3. Nous adopterons le système du prélèvement dans des ouvrages spécialisés ou sur Internet pour accumuler textes et informations et pour observer, documenter les multiples positions sociales et politiques, parfois contradictoires, et étudier les méfaits du changement climatique.
Le programme « Arts aux Pôles » API 2007-2009
À la suite de cette expérience, et lors des rencontres préparatoires à la 4e Année Polaire Internationale (API), nous plaiderons pour la présence des artistes dans les bases polaires très largement réservées aux scientifiques et techniciens voire aux journalistes. Ainsi nous serons amenés à piloter le programme de résidence pour artistes « Arts Aux Pôles » sur les bases scientifiques françaises de Ny-Alesund (Svalbard, Arctique) et Dumont d’Urville, (Terre Adélie, Antarctique). Soutenu par l’Institut polaire français Paul Émile Victor (IPEV), le programme « Arts aux pôles » permettra à six artistes de bénéficier d’une résidence aux pôles et de « vivre l’expérience »4. Ces « artistes explorateurs » ont ouvert et mis en chantier un espace d’« observation et de recherche pour artistes » sur les bases polaires françaises. Ils ont travaillé avec les scientifiques et experts en géologie marine, les glaciologues, les météorologues, avec les archives et les banques de données des bases, avec la mémoire des lieux. Ils ont assisté et participé à des prélèvements divers, manipulé des outils de mesure, etc. Ils ont aussi approché les « hivernants » qui emmagasinent une multitude d’expériences. Un artiste a enregistré des sons VLF inaudibles à l’oreille humaine, un autre a utilisé les systèmes de télécommunication pour son projet. Ces collaborations sont parfois visibles dans leurs réalisations, sur des blogs et sites Internet, et soulignent un savoir et une connaissance plus horizontale sur la question des pôles. Chez les artistes une conscience plus aigüe se manifeste aujourd’hui sur les enjeux et le devenir de ces territoires extrêmes, avec une attention particulière sur l’exploitation des richesses des sous-sols de ces espaces.
La recherche en art
Notre expérience a été relatée à travers trois ouvrages, édités par Hallaca Éditions (Paris), où la recherche en art s’expose5. Elle se manifeste pour que la voix des artistes aux côtés de celle de la société civile, soit prise en compte et rejoigne celle des scientifiques, journalistes et autres. Dans le Manifeste de la mer de Weddell (Buenos Aires, Argentine 2004) nous, V+F, avons prôné « l’ouverture d’un point d’observation et de recherche pour les artistes sur les bases polaires » et aujourd’hui nous assistons à la présence quasi permanente d’écrivains, photographes, musiciens, chorégraphes, cuisiniers, étudiants sur ces lieux.
La biennale del Fin del Mundo (première édition 2007) à Ushuaia (Terre de feu, Argentine), ville de l’extrême sud face à la péninsule antarctique, a ouvert ses portes et montré l’expérience de ceux qui voyagent aux pôles et de ceux qui, par leur imaginaire, entrent dans ces espaces blancs6. Dès 2004 nous avions imaginé dans le Manifeste de la Mer de Weddell l’importance d’une telle manifestation pour présenter les travaux qui font avancer la question du changement climatique en s’appuyant sur les concepts de « vivre l’expérience », « l’être là », qui s’avéreront être des points clés de la recherche en art. D’autres biennales et Documenta d’art contemporain, des expositions thématiques de nombreux musées montrent les travaux de ces artistes explorateurs, curieux, collaborateurs et travaillant souvent en relation avec des laboratoires scientifiques7. Ces développements soulignent surtout le besoin criant de connaissances actualisées que nous éprouvons envers les divers champs de recherche en art comme en science, mais aussi pour parer à la question sociétale du changement climatique8.
Nous avons suivi avec intérêt les expériences de « Cap Farewell » en Arctique de l’artiste britannique David Buckland qui chaque année organise des expéditions avec des artistes et des scientifiques9 ; le travail exceptionnel d’IZUMA TV10, la télévision Inuit faite par eux et pour leurs besoins, présentée dès Documenta XI à Kassel (2002) par Okwi Enwesor. D’autres projets plus collaboratifs et multiples se développent comme Arctic Perspective Initiative des artistes Marko Peljhan et Matthew Biederman11, cherchant à établir davantage les communications entre les uns et les autres à partir de l’installation de bornes de télécommunication et autres dispositifs dans ces territoires extrêmes. Des projets plus engagés encore, comme ceux menés par les artistes activistes, dans leur lutte incessante pour contrecarrer les avancées des « usagers incontrôlables » et destructeurs de la nature et de nos environnements, sont à analyser12. Il faudrait aussi analyser les collaborations et actions des artistes avec Greenpeace, comme l’intervention du photographe Spencer Tunick sur le dernier grand glacier d’Europe : l’Aletsch ; la campagne d’affichage à l’aéroport de Copenhague pendant COP 15 (2009) où le voyageur se retrouvait face aux portraits vieillis des chefs d’état du G8, et qui dénonçait l’absence de décision de ces présidents pour ralentir la production des gaz à effet de serre à l’échelle planétaire. Ou encore le détournement du portail Web d’un pays non-signataire par les Yes-Men, toujours durant COP15.
Si le développement des pratiques artistiques engagées dans les problématiques environnementales s’affirme chaque année davantage, des institutions s’organisent aussi pour offrir des dispositifs de recherche artistiques. Ainsi le Center For Land Use Interpretation CLUI13 où artistes et participants deviennent observateurs du paysage, de ses occupations et transformations par l’homme.
De L’Antarctique à l’Arctique
Nous avons posé les pieds sur le sixième continent, inhabité, protégé par un traité, terre de paix et de science mais avec des revendications territoriales et maritimes, des quotas de pêche non respectés, des taxes touristiques sans adresse… En allant vers le nord, le Grand Nord, nous allons nous confronter à d’autres données : fonte du permafrost, ouvertures de nouvelles voies maritimes, développement et réouverture des ports, exploration des fonds marins, revendications maritimes, recherches pour l’extraction du méthane, etc. L’Arctique n’est pas un continent mais une mer glacée. Au Nord, et le long du cercle polaire vivent des populations, des peuples avec des cultures millénaires en symbiose avec cet environnement si spécifique. Eux qui actuellement deviennent indépendants et acquièrent certains droits bafoués pendant de longues périodes, retrouvent indépendance et dignité. De nouveaux territoires autonomes sont gouvernés et gérés par des représentants de ces peuples et sont aujourd’hui les garants d’une nouvelle ère civilisationnelle. Avec leur cosmogonie, les connaissances et savoirs des ancêtres transmis de génération en génération restent vivants, mais la symbiose homme / culture semble devoir être maintenue voire REconquise. L’approche de la vie dans ces territoires austères, nous la saisissons par l’intermédiaire d’illustrations, de dessins, de récits, d’épopées, par des films, des rencontres culturelles qui nous sensibilisent et nous accompagnent dans nos projets de découverte. Ces citoyens du grand Nord veulent dialoguer, faire la fête ensemble, s’immiscer davantage dans les différences, nous comprendre, se faire connaître, voir et échanger nos réalisations de films et autres créations. Si le sous-sol regorge de richesses, ils veulent les investir pour le bien-être de la population en édifiant des infrastructures et constructions fructueuses. Diverses universités et groupes d’artistes développent des projets sur les nouveaux enjeux de l’Arctique et des résidences d’artistes s’ouvrent ici et là.
Nous sommes les bienvenus pour composer ensemble.
Le projet d’une biennale d’art en Sibérie orientale
Des circonstances vont nous conduire à Yakoutsk en République de Sakha (Yakoutie, Fédération de Russie) en 2012 et nous permettront de développer un programme de recherche en art. Le peuple yakoute, ses dirigeants, ses artistes, intellectuels, universitaires, sa jeunesse, sont d’une ouverture d’esprit fraîche et particulière. Depuis la première rencontre nous avançons en parfaite co-présence. Quatre voyages ont été nécessaires pour donner existence et forme à la 3e biennale d’art actuel de Yakoutsk, la BY14, qui s’est ouverte au public le 4 septembre dernier. Au début, et comme seul lien, « une salutation », puis une proposition, un titre : « Eau – H2O », à laquelle nous répondrons : « le Point Triple : Solide, Liquide, Gazeux ». Avec cette idée, nous allons composer. Une « résidence de création » pour des artistes venant hors de Fédération de Russie sera un des points forts du projet et favorisera une rencontre avec les lieux, les personnes, les artistes de Yakoutsk. Eux, les artistes de la région, veulent montrer « un autre regard » à leurs congénères et aux visiteurs, une nouvelle approche de l’art plus proche des questions qui se ressentent à l’ère contemporaine de celles que perçoivent les jeunes générations avec l’avènement des nouvelles technologies et des nouvelles formes de communication. Réflexion et action nous ont regroupés, nous ont fait nous rencontrer, ici et là. Ici où les excès du monde industrialisé se ressentent, là où l’on vit sur le « permafrost » avec une couche de terre gelée qui va jusqu’à 1 500 mètres de profondeur, parfois même davantage. Le réchauffement climatique agit sur ce sol congelé et les maisons penchent dangereusement, s’écroulent parfois, ainsi que les arbres de la toundra. Le gaz (méthane) s’échappe, et, malgré les systèmes d’extraction que nous connaissons, il ne se laisse pas attraper. La République de Sakha a une longue histoire, mais l’histoire contemporaine est une conformation solide de peuples originaires, minoritaires, conquérants, immigrants et autres habitants des pays. Pays de la toundra et de la taïga, ces éleveurs et pécheurs, à l’origine, connaissent leur environnement et ont su léguer leurs connaissances aux nouvelles générations. Dans cette région des 700 mille lacs et 700 mille rivières, l’eau est toujours présente, les eaux du fleuve Léna parcourent tout le territoire de la République de Sakha qui est aussi un terrain favorable pour la créativité, la recherche. L’université fédérale du Nord Est, Amossovs qui a soutenu le projet, héberge six groupes de recherche dans plusieurs disciplines en sciences sociales et scientifiques, sur la situation et le contexte arctiques.
[Figure 2]
Prélude à la Sibérie
Nos recherches sur le local/extrême, sur la mondialité, sur les peuples du nord, sur l’Arctique seront nos points d’appui. Pour nous charger de connaissance et d’énergie, nous organiserons l’exposition performative « Prélude à la Sibérie » au mois de novembre (2013) dans « la galerie » de l’université Paris 8 – Saint Denis. Ayant accepté le commissariat de la BY14, nous avons invité onze artistes originaires de plusieurs pays hors de Fédération de Russie, voyageurs et amoureux des environnements naturels, avec des affinités, une curiosité partagée. Ce sont des artistes avec qui nous avons déjà travaillé dans d’autres manifestations internationales, et qui possèdent la capacité d’intervenir, de faire, d’interagir. Les avant-projets des artistes invités ont été présentés sous forme de posters et 15 artistes de Yakoutie sont venus nous rencontrer ici.
[Figure 3]Nous les avons reçus avec « LES FRANÇAIS AIMENT LES YAKOUTES », phrase de bienvenue, si nécessaire dans ces périodes sensibles, ségrégationnistes, racistes. Nous avions besoin de nous rencontrer, discuter, remettre sur la table diverses questions laissées parfois de côté à cause de la modernité et de l’accélération dans laquelle nous sommes presque étouffés.
Treize artistes invités en Sibérie pour une résidence de création
Sofia Aguiar, Tomas Colaço (Portugal) ont développé une peinture fraîche et généreuse sur des supports divers donnant une spatialité aux imaginaires enfouis, à la mémoire d’ici et de là, en travaillant conjointement avec les habitants. Ils ont recréé leur espace-atelier de Lisbonne dans la ville de Yakoutsk.
Sandro Oramas (Venezuela) sensible à la théorie de la traversée du Détroit de Béring – il y a 30 000 ans pendant la dernière glaciation par des peuplades sibériennes – sur l’origine des populations amérindiennes, a travaillé avec les communautés vivant sur les bords du fleuve Orénoque en Amazonie au Venezuela, cherchant à établir des zones de contact et des similitudes
[Figure 4]Les artistes Maria Ivone Dos Santos et Hélio Fervenza, venant de Porto Alegre (Brésil), ont interrogé la spatialisation et la temporalité qu’ils ont vécues pendant leur résidence à Yakoutsk et ont composé avec les récits rencontrés
Laurent Tixador (France) a travaillé avec des bois de renne et a pu confronter ses multiples expériences de voyage avec cette ville de l’extrême.
[Figure 5]Laurent Lacotte (France) a recréé des espacements avec des éléments sensibles et visibles trouvés dans son environnement proche ; ses observations sur les espaces urbains l’ont conduit à concevoir une pièce pour le musée et intervenir dans la ville.
John Cornu (France) s’est arrêté sur les excavations minières et son projet de sculpture s’est développé à partir de formes simples et identiques faisant référence aux cristaux de glace et à la taille du diamant.
[Figure 6]Amina Zoubir (Algérie) a mis en place une installation vidéo où la lumière de la Sibérie était présente.
Pauline Gaudin (France) a interrogé le flux du voyage à travers une installation et projection en continu.
Mathieu Tremblin (France) a parcouru la ville pour créer et innover avec des signes visuels et des phrases pleines de contenus poétiques et a choisi les berges du lac Taloé.
Vincent + Feria sont intervenus avec leur dispositif Exploratorium 04 pour recréer un espace de consultation de documents, films, livres qui ont contribué à établir les relations entre artistes, chercheurs et étudiants lors de leurs précédents voyages en 2012 et 2013 à Yakoutsk. La performance gastronomique « Escargots de Bourgogne » a livré constats et questions.
[Figure 7]
La BY14
Une multitude d’entrées et points de réflexion, regroupés dans un index des mots-clés, ont été proposés et publiés dans le Journal de la BY14. La BY14 s’est voulue écosophique, la première biennale écosophique dans le monde de l’art contemporain mondialisé. Si dans nos villes saturées, attirantes et submergées de contradictions, nous nous trouvons dans une période de réflexion sur la nature, la société et notre mental, le peuple Sakha, pour dépasser la période post-soviétique, cherche à rétablir ses propres écosystèmes, veut continuer à travailler dans ses langues, invectiver les pratiques ancestrales, le tout pour le « buen vivir »14. Les maîtres de la peinture et une jeune génération d’artistes yakoutes et sibériens ont rejoint le projet y ont participé.
Trois lieux vont accueillir la BY14 : le musée national des Beaux-Arts, le lac Taloé au centre-ville et la galerie Urgel de l’Union des artistes de la République de Sakha.
Le musée national des Beaux-arts ouvrira ses galeries aux pièces d’art contemporain liant le regard avec les collections permanentes ; deux étages seront investis. Les œuvres des artistes de la République de Sakha exposées dans le musée seront rejointes par des œuvres tirées des réserves du musée, renforçant le dialogue et ouvrant aux questions relatives à leur propre histoire de l’art.
[Figure 8][Figure 9]Huit projets d’art urbain ont pris place sur les berges du lac Taloé, six propositions locales et deux d’artistes résidents. Le projet a été pris en charge par l’artiste Vera Petrova qui a voulu ouvrir l’art à la ville, à l’espace public avec un soutien actif des responsables locaux.
Le troisième lieu, la galerie Urgel, s’est ouvert aux expérimentations et a pris la forme d’un laboratoire réunissant des artistes de plusieurs générations. Un séminaire de recherche a eu lieu sur « Les processus de création » et a regroupé tous les artistes participant à la BY14 pour un dialogue constructif. Une journée colloque enfin a donné la parole à divers intervenants : historiens de l’art et artistes. Le journal BY14 sorti le jour du vernissage, expose des pistes de lecture, des gestes, des propos en construction
[Figure 10]
Une biennale aux enjeux multiples
Nous sommes partis en Yakoutie avec la perception de Chris Marker à travers son film-essai « Lettre de Sibérie » réalisé dans les années cinquante, et l’approche « potentielle » de l’art initié par le mouvement Fluxus. En relisant Nam June Paik, qui a largement participé au mouvement d’avant-garde FLUXUS, nous avons été attentifs à l’intérêt que portaient pour la Sibérie deux des artistes majeurs du XXe siècle : Joseph Beuys et Georges Maciunas. L’un pour l’histoire de la Crimée et son salut grâce aux Tatars, l’autre, Maciunas, de par son origine lituanienne, pour sa fine connaissance de la culture sibérienne et du chamanisme. Les deux artistes admiraient la Sibérie et la considéraient comme un immense générateur de culture. C. Marker, de par son observation nous a légué un chef-d’œuvre du cinéma documentaire qu’il a filmé en partie dans la ville de Yakoutsk.
Un autre aspect que nous retenons, du côté de la Sibérie Altaïque, plus au sud, ce sont les sons et chants diaphoniques et diatoniques, et il faudrait alors rappeler l’histoire mythique et ancienne des Scythes, puis les épopées guerrières et défensives de Gengis Khan, toujours reflétées dans les œuvres plastiques des artistes actuels. Mais nous avons pu apercevoir l’engagement des artistes pour leur environnement, pour l’Arctique, pour la Lena, troisième fleuve en importance de la Fédération de Russie, dont la traversée est difficile et le projet de construction d’un pont qui relierait enfin les deux berges et faciliterait la circulation, les jeunes artistes s’emparant de cette problématique : celle de relier leur ville et leur région au reste du monde.
En tout cas à l’égal pour tous, l’étoile polaire nous a orientés dans la construction de la BY14, la 3e Biennale d’art actuel de Yakoutsk et nous a guidés dans les rencontres.
Ni autochtone ni contemporain
Les artistes de la République de Sakha (Yakoutie) ont proposé à l’équipe curatoriale des réalisations multiples et riches en techniques, créativité, qui indiquaient souvent un fort enracinement dans leur contexte et parfois un engagement et critiques vis-à-vis d’un quotidien rude mais empreint de chaleur et de vie. Citons la participation de Olga Skorikova, Vera Gotovtseva, Sardana Ivanova, Oustinia Dogordourova, Aksinia Protopopova, Vera Petrova, Olga Rakhleeva, Anna Petrova, Galina Okoemova, Mikhail Starostin, Dulustaan Boytounov, Maria Sedalitcheva, Maria Makarova, Nadejda Fedoulova et autres. Leurs œuvres et celles laissées par les artistes en résidence, par leurs recherches et dans la furtivité de leurs réalisations, souligneront une autre position de la BY14, celle de ne pas aborder l’art autochtone et de s’éloigner de l’art contemporain.
Des projets de rencontres artistiques à l’ère de la mondialisation sont aujourd’hui largement exposés mais poussent à interroger les modèles qui circulent, tant pour les comprendre que pour ne pas se laisser enfermer par eux. Qu’est-ce que cela engage de passer les frontières disciplinaires, géographiques, politiques… et esthétiques ? Quels sont les modèles véhiculés par un art dit « autochtone », par un art dit « contemporain » ? Est-ce possible de ne pas les opposer ? Comment composer, partager, imaginer, accueillir l’autre de part et d’autre ?
La BY14 s’est voulue une expérience de la rencontre dans une région où vivre en milieu extrême est possible. La BY14 a ouvert des débats et lancé une réflexion et recherche sur la biennalisation de l’art in progress…
La 4e biennale d’art actuel sera énergétique.
Citer cet article
Vincent + Feria, « Qui va au nord, va au sud », [Plastik] : Arctique #05 [en ligne], mis en ligne le 19 juin 2017, consulté le 12 octobre 2024. URL : https://plastik.univ-paris1.fr/2017/06/19/qui-va-au-nord-va-au-sud/