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Ce qui arrive à la terre La céramique comme accélération géologique

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Table des matières

 

As far from Time – as History
As nearYourself – Today

Emily Dickinson

 

« En fin de compte, la seule chose que je peux te dire, et cela devient une rengaine, est que l’argile toute neuve, sèche ou mouillée, comme tu voudras, n’intéresse personne. C’est bas, c’est pesant, ça salit, ça colle et il arrive, lorsqu’elle a été tirée d’un ancien marécage, qu’elle sente la pourriture. C’est pourquoi les gens n’en veulent pas1. »

Daniel de Montmollin

 

Si un film pouvait nous donner à voir en accéléré les millions d’années au cours desquelles se déploie le cycle des roches, on verrait qu’aucune roche n’a un état définitif, toutes sont en constante transformation. Au cours de cette durée incommensurable, la matière des roches se forme et se transforme, passant de l’état de roche métamorphique à celui de roche ignée puis de roche sédimentaire. Sous l’effet des forces tectoniques, cette matière se propulse en fusion depuis les profondeurs de la planète, se cristallise tantôt avant tantôt après son arrivée à la surface, se désagrège, se recompose autrement, retourne vers le centre, fusionne à nouveau, et ainsi de suite en quelques autres millions d’années. Là, une vie humaine n’est que « l’ombre d’une seconde de l’existence de la roche » écrit le céramiste Daniel de Montmollin2.

Au sein des millions d’années que les roches mettent à se transformer dans les environnements naturels, depuis (seulement) environ 30 000 ans, le céramiste tient une activité particulière : il est « inventeur de pierre » précise Daniel de Montmollin3. Il crée des roches artificielles. Et ce, juste en quelques heures.

À travers les écrits et entretiens de céramistes, le positionnement de leur pratique dans le temps long de la transformation des roches revient inévitablement : que font-ils à ce temps des roches ? Puis viennent ces questions : qu’implique ce premier accident de la cuisson, soit, au sens étymologique, « ce qui arrive » à la terre4 ? Que peuvent dire du monde naturel les pierres artificielles que constituent les céramiques ? Comment dialoguent-elles avec lui ?

L’accélération géologique de la céramique

Bien que nous ne soyons que « l’ombre d’une seconde de l’existence de la roche », nous pouvons imaginer le cycle de la roche naturelle par fragments, à partir des indices de ses matières. Les roches constituent le sédiment du temps, elles sont tout ce qu’on a pour imaginer cet infini de la transformation de la matière terrestre. Certains scientifiques les considèrent comme des machines à remonter le temps car la structure de leurs cristaux, leur densité et leur porosité permettent de retracer comment elles se sont transformées. C’est à partir des roches notamment que l’on estime quel a pu être le climat de chaque période géologique.

L’accident de la cuisson céramique constitue un jeu d’échelles vertigineux bien commenté par les céramistes. Jean Girel en fait état ainsi :

« Des millions d’années pour former une argile, une minute de tournage, une journée de cuisson, cinquante ans d’usage, quelques siècles de musée, dix mille de tessons. […] L’argile vient de la Terre, passe le temps d’un éclair entre les mains des hommes, retourne à la Terre en gardant trace de l’homme qui l’a façonnée5. »

Daniel de Montmollin pointe lui une ambivalence intrinsèque à la cuisson céramique :

« En résumé, disons que le potier, lui aussi, fait évoluer l’argile en la rapprochant du feu qui transforme le sédiment en une nouvelle roche. Mais alors qu’il reproduit dans son four une part des conditions naturelles de l’évolution de l’argile, il soustrait, pour finir, celle-ci à son cycle de métamorphoses, il l’arrache à la durée géologique qui est cyclique pour l’introduire dans une durée céramique, linéaire, qui, elle, est à l’échelle humaine6. »

La cuisson céramique rejoue les processus de formation des roches, à vitesse accélérée. En quelques heures, elle réalise ce que les mouvements de millions d’années nécessitent dans les conditions naturelles de l’évolution de l’argile. Il en résulte des roches artificielles qui, dans leurs structures et leurs apparences, se rapprochent des roches naturelles. On obtiendra un émail turquoise avec un mélange contenant du carbonate de cuivre, et c’est ce même cuivre que l’on retrouve dans les pierres turquoise qui se sont développées au fil de milliers d’années de transformations et de sédimentations. De ce point de vue-là, la céramique constitue une géologie accélérée et le four à céramique se révèle alors telle une machine à voyager dans le temps.

Une fois passé le point quartz à 573 degrés, se produit ce que l’on appelle l’« inversion des quartz » : une transformation de la silice présente dans l’argile. La matière se cristallise, elle se transforme de manière irréversible : c’est la vitrification. Une nouvelle roche voit alors le jour, une roche céramique, artificielle. Là, la cuisson céramique va au-delà d’une imitation des roches naturelles, elle « fige » le cycle de transformation de ces roches, ou du moins l’allonge encore davantage.

L’expérience et l’archéologie du site

On sait que depuis les débuts de la céramique que l’on fait remonter au Paléolithique, il y a près de 30 000 ans, les céramistes se rendent sur les sites riches en argile pour recueillir la terre, la filtrer, la travailler et en faire des objets. Historiquement, on peut comparer cette démarche de se rendre dans les carrières d’argiles à celle de se rendre dans les carrières de marbre pour les sculpteurs, notamment Michel-Ange qui tenait à choisir son bloc de marbre. Tous les sculpteurs ne l’ont pas toujours fait et tous les céramistes non plus.

Pour certains céramistes aujourd’hui, cette expérience du site et la maîtrise de A à Z des étapes de transformation de la matière qui en découle, constituent la ligne fondatrice de leur rapport à la terre et de leur activité. Pour d’autres, il s’agit d’une étape dans la compréhension de la matière, note Daniel de Montmollin7 : il y a un moment où le céramiste ressent la nécessité de réaliser cette expérience, de se confronter au site, de l’éprouver dans ses matières brutes et dans les éléments, vent, pluie, soleil, qui eux-mêmes travaillent le site.

[Figure 1]

Arrivé sur un site argileux, le céramiste se demandera pourquoi la terre est rouge ici et blanche là : il se trouve poussé à questionner l’histoire géologique du site. Pourquoi y a-t-il de la craie en abondance dans le bassin parisien et dans le bassin bourguignon ? Pourquoi de nombreuses terres sous différentes latitudes sont-elles rouges ?

S’ensuit alors une archéologie de la matière : la terre rouge, nommée « latérite », résulte d’un « lessivage » passé ou présent du sol, d’où s’échappent les cations basiques (sodium, potassium, calcium, magnésium…), mais où reste l’oxyde de fer. En France, elle serait la mémoire de climats tropicaux anciens8. La craie se composant principalement de calcaire (sédiments de restes d’algues, de coquillages et de micro-fossiles) ainsi que d’argile, elle constitue un indice du fait que ces régions étaient immergées sous la mer à différents moments du crétacé au moment où, avec le réchauffement climatique de la période, se développaient en abondance la faune et la flore9. La matière est la mémoire matérielle de chaque période géologique : l’expérience des sites ouvre ainsi à une compréhension physique du temps. Le céramiste travaille avec les sédiments du temps, il est géologue, archéologue de la matière. Montmollin présente son activité comme celle d’un chiffonnier qui s’attache aux matières de rebut, matières négligées d’une société : « L’argile […] n’intéresse personne […] les gens n’en veulent pas10. » Chiffonnier un temps, puis alchimiste enfin, car le céramiste se doit de « libérer un potentiel de richesse contenu dans le monde minéral ordinaire11 ». À quoi bon sinon tous ces efforts ? Chaque céramique dialogue avec le temps géologique, elle en dit quelque chose :

« Dans ce bol encore jamais vu, fait des roches prélevées dans l’écorce terrestre et défourné aujourd’hui, une histoire est inscrite qui remonte au premier bol du premier potier12. »

[Figure 2]

L’expérience du site de récolte de la terre chez les céramistes résonne avec l’intérêt pour des sites particuliers que l’on trouve parmi les artistes aux prémices de l’art moderne dès la seconde moitié du XIXe siècle. Il y a chez Cézanne ce besoin de se confronter à la réalité physique d’un lieu, à ses conditions tant géologiques qu’atmosphériques, à l’éprouver dans ses matières et à interroger ses effets corporels. L’artiste Robert Smithson avait écrit que c’étaient les développements de la toute jeune photographie qui avaient poussé Cézanne à se rendre sur les sites :

« C’est la photographie qui a forcé Cézanne et ses contemporains à quitter leurs ateliers. Ils étaient en concurrence avec la photographie, alors ils se sont rendus sur des sites, car la photographie fait de la nature un concept impossible. Elle atténue en quelque sorte le concept de nature dans son ensemble, en ce sens que la terre (earth), après la photographie, devient davantage un musée. Les géologues parlent toujours de la terre comme d’un « musée », de « l’abîme du temps » et la traitent en termes d’artefacts. Retrouver des fragments de civilisations disparues et retrouver des roches, ceci fait de la terre une sorte d’artifice. […] Je pense qu’il serait intéressant de vérifier le comportement de Cézanne et sa motivation à se rendre sur le site. […] Il serait intéressant de traiter de l’écologie du comportement psychologique de l’artiste dans les différents sites de cette période. […] Il y a une référence physique. […] Il y a des implications physiques importantes. Et puis il y a la perception de Cézanne : être sur le sol, projeté sur un sol13. »

La terre comme « artifice », c’est la terre sans la considération de ses transformations continues sous les éléments et sans la perception de ses réalités physiques dans le présent par l’être qui l’arpente. Cézanne est né en 1839, l’année de la déclaration officielle de l’invention de la photographie qui se développe durant la révolution industrielle en parallèle d’autres technologies mécaniques. Entre le milieu des années 1960 et le début des années 1970, au moment de la révolution électronique et des développements d’une industrie qui produit de plus en plus d’objets aux matériaux sophistiqués, Robert Smithson se rend, lui, sur des sites impactés par l’industrie aux marges des villes-décharges en plein air, terrains vagues, zones où à la terre se mêlent divers rebuts, carcasses métalliques, gravats et autres déchets de l’industrie.

[Figure 3]

Comme d’autres de ses contemporains, Smithson sent la nécessité d’interroger nos rapports aux matières à la base de toute industrie, celles du sol et du sous-sol. Il raconte que sa motivation première à se rendre sur des sites, tantôt à la périphérie des villes, tantôt éloignés de celles-ci, était de comprendre l’origine des matériaux :

« J’ai commencé à m’intéresser à des lieux en faisant ces voyages et en me confrontant simplement aux matières premières de secteurs particuliers, puis mon attention s’est portée aux matières premières du lieu avant qu’elles ne soient transformées en acier, en peinture ou en quoi que ce soit d’autre. Mon intérêt pour le site était donc un retour aux origines du matériau. Une sorte de dématérialisation de la matière raffinée, c’était l’un de mes centres d’intérêt. Par exemple, si vous preniez un tube de peinture et que vous remontiez jusqu’à sa source d’origine, vous constateriez qu’il était dans un état plutôt brut14. »

Bien qu’il n’ait pas plus que Cézanne travaillé en céramique, Smithson partage avec certains céramistes ce souci d’une archéologie des matières. Une archéologie qu’il juge nécessaire pour comprendre ce qui constitue les matériaux raffinés développés par l’industrie.

Mimesis : concurrences entre roches naturelles et artificielles

« Elle méritait bien le nom de pierre précieuse fabriquée par l’art » auraient déclaré l’alchimiste Johan Friedrich Böttger et le scientifique Ehrenfried Walther von Tschirnhaus lorsqu’ils nomment un nouveau matériau qu’ils conçoivent à Dresde en 1706 : « la porcelaine jaspe » (Porzellan Jaspis) par la suite appelée « porcelaine rouge » ou « grès de Böttger » (BöttgerSteinzeug15). Il s’agit d’une pâte aux effets veloutés allant du rouge au brun, à l’apparence proche de la pierre de jaspe rouge. Sa dureté est supérieure à celle de la porcelaine blanche dont Böttger trouve la recette deux ans plus tard, en 170816. 

[Figure 4]

Si, dans une galerie de minéralogie se trouvaient disposées ensemble des pierres naturelles et des pierres céramiques sans aucune indication de leur nature, il serait certainement parfois difficile de déterminer lesquelles sont naturelles, lesquelles sont artificielles. Un grès céramique ou « grès cérame » tel que le nomme Alexandre Brongniart directeur de la manufacture de Sèvres durant la première moitié du XIXe siècle  ne serait peut-être pas facile à distinguer d’un grès sédimentaire. Brongniart avait introduit le terme pour éviter la confusion entre la roche sédimentaire et la roche céramique. Dans cette galerie, on comprendrait aussi combien les roches céramiques viennent faire écho aux roches naturelles.

À travers l’histoire, certaines matières céramiques sont en effet élaborées dans un désir d’imitation des roches naturelles. C’est le cas notamment de l’émail céladon dont des recettes auraient été élaborées tôt en Chine sur des grès dans une tentative d’imitation de la pierre de jade. Elles sont maîtrisées dès le VIIIe siècle avant notre ère durant la période des « Printemps et des Automnes » (771-481 av. J.-C), et parviennent à des matières somptueuses sous la dynastie Song (960-1279) avec notamment leurs alliages à la porcelaine17. Puisque « c’est en imitant qu’on invente » comme l’écrit Gaston Bachelard, on arrive à de nouvelles matières que nous préférons, en fin de compte parfois, aux roches naturelles. Roches artificielles et roches naturelles dialoguent ainsi dans des jeux de résonances et de concurrences.

Le céramiste et écrivain Edmund Waal évoque ces concurrences historiques de la porcelaine et du jade à travers une anecdote concernant l’empereur chinois Yongle au XVe siècle, qui en vient à préférer non seulement la porcelaine céladon au jade, mais à cette porcelaine céladon la simple porcelaine blanche :

« C’est alors que je découvre l’histoire de l’empereur qui aimait la porcelaine blanche. C’est une histoire parfaite : un tribut de bols en jade arrivait pour l’empereur Yongle de la part d’un souverain musulman de la région occidentale au début du XVe siècle. L’empereur refusa le cadeau et ordonna au ministère des Rites de les renvoyer : « La porcelaine chinoise que j’utilise tous les jours est d’un blanc pur et translucide et me plaît beaucoup. Il n’est pas nécessaire d’utiliser des bols en jade18. »

« L’abandon du jade au profit de l’austérité », commente alors Edmund de Waal19.

[Figure 5]

À une autre échelle, les grottes artificielles qui se développent à la Renaissance de l’Italie à travers l’Europe, jouent d’une mimesis entre roches artificielles et naturelles. Pour les projets de grottes artificielles qu’il présente dans La recette véritable (1563), Bernard Palissy insiste sur le fait que la roche artificielle en terre cuite sculptée ne doit pas pouvoir être distinguée de la roche naturelle :

« En descendant du terrier haut, on pourra marcher sur la voûte dudit cabinet sans apercevoir qu’il y ait aucune forme de bâtiment […] ce premier rocher, donc, qui sera au cabinet du côté du vent du Nord, sera fait de terre cuite insculptée et émaillée en façon d’un rocher tortu, bossu, et de diverses couleurs étranges20. »

Bien qu’aucune des grottes de Palissy n’ait survécu jusqu’à aujourd’hui, on peut en imaginer l’allure en regardant ses rustiques figulines : à la pierre naturelle devaient être incrustés les morceaux de céramiques émaillées réalisés à partir de moulages de petits animaux, tortues, grenouilles, lézards, parfois également incrustés de coquillages. Ernst Kris note que Palissy avait lu Pline, il connaissait la légende de Zeuxis qu’il repense en céramique dans un contrepied au style classique.

[Figure 6]

La céramique comme modélisation analogique

Dans ces jeux de concurrences entre roches céramiques et roches naturelles, nous pourrions considérer une part des recherches autour des matières céramiques comme ce que l’on appelle aujourd’hui de la « modélisation analogique », discipline de la géologie qui se développe à la fin du XVIIIe siècle sous l’expression de « géologie expérimentale ». Celle-ci voit le jour au moment où les scientifiques analysent et spéculent sur les processus de fusion des roches magmatiques et métamorphiques. Au XIXe siècle, on utilise l’expression pour qualifier les travaux de laboratoire qui se concentrent sur la synthèse des minéraux et roches, les plissements et les fractures des roches, leur sédimentation ou encore leur désagrégation. Ces expérimentations, qui durent parfois des jours, permettent de comprendre les processus de transformation des roches21. C’est notamment ainsi que l’on découvre que le granite et le basalte proviennent d’un même magma dont la vitesse de refroidissement produit deux roches différentes22. Des maquettes de modélisations analogiques se poursuivent aujourd’hui autour de multiples paramètres pour entrevoir des transformations terrestres potentielles, notamment celles liées à l’érosion des sols sur lesquelles travaillent les scientifiques du CNRS au laboratoire de Géosciences de Montpellier23.

[Figure 7]

Elles présentent des géologies miniatures en transformation et c’est en cela qu’elles résonnent avec les processus de la céramique. Des cataclysmes géologiques, c’est ce qu’évoquent les Céladonies, œuvres céramiques de Benoît Pouplard24.

L’échelle de ses pièces restant petite, dans les 40 cm de long en moyenne, on pense à des maquettes de modélisations analogiques reflétant ou annonçant d’autres cataclysmes, à plus grande échelle. Pouplard superpose les matières par strates composant des millefeuilles de porcelaine et d’émaux céladon afin de provoquer à la cuisson des explosions, craquèlements et autres accidents contrôlés dans la rencontre et la fusion de ces matières :

« Les Céladonies sont construites comme des châteaux de cartes où chaque élément peut entraîner le suivant dans sa chute, à haute température. Le processus de cuisson terminé figera alors l’œuvre dans un état transitionnel, au point de bascule25. »

Fragments évoquant la fonte des glaces, les Céladonies jouent sur une ambivalence intrinsèque à la matière qu’est le céladon : elles donnent une illusion de la glace et de l’eau, étant cependant élaborées par la chaleur sous des températures autour de 1300-1400 degrés. Ces icebergs fondants figés dans leur chute, morceaux visibles d’une masse de matière invisible en transformation, interrogent aussi l’histoire de l’imaginaire lié à la matière du céladon. Tandis qu’un poème de la dynastie Tang voit dans une tasse en céladon les images les plus paisibles (« de tendres feuilles de lotus pleines de gouttes de rosée26 »), les Céladonies, dans toute leur magnificence, présentent des cataclysmes figés, croutes de porcelaines et d’émaux arrêtés dans leur effondrement.

L’analogie entre la matière céramique, la croute terrestre et la planète revient souvent à travers les écrits autour de la céramique, qu’ils soient d’écrivains, de céramistes ou d’amateurs :

« Valéry a comparé une poterie de grès à une planète refroidie », note Daniel de Montmollin, poursuivant « La comparaison est juste à ceci près, qui est considérable, que le potier choisit les roches soumises au feu27. »

Ce jeu d’échelle sidéral revient dans une remarque de l’amateur et collectionneur d’œuvres céramiques Bernard Bachelier : « Le bol est un globe, une planète. Tenir un bol est une expérience cosmique28. »

Ces analogies prennent sens lorsque nous comprenons ce que constitue la céramique dans le temps géologique : une accélération des processus de formation des roches naturelles réalisée par la main humaine pour créer de nouvelles roches, artificielles. Nous l’avons vu, la céramique constitue un dialogue avec ce temps géologique. Elle est ce qui arrive à un morceau de terre de par sa rencontre avec une main humaine, ou ce qui arrive à une main humaine de par sa rencontre avec un morceau de terre. On pourra considérer que la terre aura toujours le dernier mot au moment de la cuisson et de ses accidents. On pourra cependant aussi considérer que les roches artificielles créées par la main humaine perturbent le cycle des roches naturelles par l’accélération des processus de formations rocheuses, avec pour conséquence de ralentir encore davantage  sans doute de quelques milliers d’années  le temps de désagrégation de ces roches. Malgré tout, le dialogue entre les morceaux de terre et les mains humaines se poursuit depuis 30 000 ans et donne jour bien souvent à cette sculpture première : le bol. Le bol est le résidu matériel par excellence de la rencontre de la main avec le temps géologique : il se compose de matières qui portent en elles des millions d’années et il tient dans la paume de la main dont il est en quelque sorte l’empreinte. Roche artificielle, le bol se révèle objet d’expérimentations de matières, planète fictive et spéculative. Puis il tend à accueillir d’autres traces. Le dialogue avec le temps géologique se poursuit ainsi par le toucher de la terre cuite, de main à main.

[Figure 8]

 

Citer cet article

Maud Maffei, « Ce qui arrive à la terre La céramique comme accélération géologique », [Plastik] : Approches céramiques : les artistes et l’accident #16 [en ligne], mis en ligne le 18 novembre 2024, consulté le 21 novembre 2024. URL : https://plastik.univ-paris1.fr/2024/11/18/ce-qui-arrive-a-la-terre-la-ceramique-comme-acceleration-geologique/

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