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Pot ou calebasse

Pot ou calebasse


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Proposition de Jacques Kaufmann, extrait du spectacle Autour d’elle, la terre de Nefissa Benouniche, conteuse.

Source : Xavier Yvanoff, Mythes et origines de l’homme, Paris, Errances, 1998, p. 309.

 

La mort n’existait pas. Les hommes naissaient, grandissaient, vieillissaient et changeaient de peau. Mais la mue n’était pas une opération simple. Le regard de l’autre pouvait brûler celui qui muait et celui qui regardait pouvait se sentir brûler de l’intérieur.

Un homme et une femme se sentaient depuis longtemps à l’étroit dans leur peau de vieux. Elle se fripait, se ridait, devenait douloureuse. Ils ont décidé de changer de peau, de mettre une peau de jeune, et, pour protéger leurs enfants, le père leur a donné une outre en écorce et leur a demandé de la remplir dans la rivière et de ne revenir que lorsqu’elle serait pleine.

Les deux enfants sont allés au bord de la rivière, ils ont rempli leur outre, mais elle était pleine de trous et elle s’est vidée. Ils ont essayé plusieurs fois jusqu’à ce que le garçon, impatient, décide de revenir au village pour prendre un récipient plus étanche. Les deux enfants ont mis l’outre sur leur dos et sont revenus chez eux en parlant fort, en faisant beaucoup de bruit à la manière des enfants. Le père les a entendus arriver.

A l’intérieur de la case, les parents n’avaient pas fini d’enlever leur peau de vieux. C’était comme une vieille écorce, il fallait la détacher, il en restait encore des lambeaux accrochés sur leur visage, sur leurs bras et sur leurs dos. C’était douloureux et délicat. Pour que les enfants ne les voient pas dans cet état, le père a crié à travers la porte de la case avec la drôle de voix des gens qui muent : retournez à la rivière et remplissez l’outre que je vous ai donnée. Ne revenez que lorsqu’elle sera pleine. Les enfants n’ont pas reconnu la voix de leur père. Ils sont retournés au bord de la rivière et ils ont bouché les trous de l’outre d’écorce, avec des cailloux, des bouts de bois, des pailles. Ils l’ont remplie, ça tenait. Et précautionneusement, ils l’ont ramenée au village. Ils l’ont posée délicatement contre le mur de la case et le garçon, intrigué par la voix de son père, a poussé la porte de la maison, silencieusement.

A l’intérieur de la case, les parents avaient enlevé leur peau de vieux, mais n’avaient pas encore enfilé leurs peaux de jeunes. Le père s’est senti brulé par le regard de son fils et il s’est mis à crier avec cette drôle de voix des gens qui muent : « Pot ou calebasse ? »

Le garçon terrifié par ce qu’il voyait, a répondu : « Pot ».

Pourquoi il n’a pas dit calebasse !

À la seconde, le père et la mère sont devenus pots d’argile cuite. Ils ont commencé à se fendiller, à se fissurer, à se craqueler, et ils sont tombés en miettes. Il y en avait sur tout le sol de la case. Les enfants ont ramassé les morceaux de leurs parents, ils sont sortis, ils ont creusé un trou profond, ils ont mis tout ce qu’ils ont ramassé à l’intérieur, ils ont tout recouvert de terre. C’est comme ça que la mort est arrivée en Afrique.

Citer cet article

Jacques Kaufmann, « Pot ou calebasse », [Plastik] : Approches céramiques : les artistes et l’accident #16 [en ligne], mis en ligne le 18 novembre 2024, consulté le 04 décembre 2024. URL : https://plastik.univ-paris1.fr/2024/11/18/pot-ou-calebasse/

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