L’accident en céramique, entre fatum et posture
Stéphanie Le Follic-Hadida
Nr 16 . 18 novembre 2024
Table des matières
- L’accident est-il céramique ?
- Qu’entendons-nous par « accident » en céramique ?
- Il y a fente et fente…
- Considérer l’accident tel qu’il est et est advenu
- Accueillir positivement l’accident
- Co-créer avec le hasard ou le hasard comme méthode
- Céramique écologique ou autopsie de la matière
- Co-créer par-delà le hasard
- Peut-être convient-il aussi de regarder ce rapport de l’Occident à l’accident à travers l’influence de l’Asie
- Nombre de céramistes aux pratiques très différentes s’accordent sensiblement sur le juste rapport à entretenir avec l’accident. Aussi, en guise de conclusion, cette tentative de ligne consensuelle
Même si certaines découvertes résultent de l’accident (les émaux de cendre en sont un exemple), l’accident s’avère être traditionnellement redouté des céramistes. Rien ne conduit plus sûrement un céramiste à la « folie » que des accidents de four à répétition (Bernard Palissy, Jean Carriès, George E. Ohr, René Ben Lisa1). Tous les artistes céramistes rencontrent ces dérapages, mais tous ne les acceptent ni ne les accueillent de la même façon. Il y a les accidents subis qui ternissent les espoirs mis, sans offrir d’autre issue que la casse, et ceux qui relancent miraculeusement la pensée du créateur.
Nombreux sont aussi ceux qui, au sein des pratiques céramiques contemporaines – et ce depuis les années 50 – recherchent et convoitent l’accident. Certains le cultivent au prix d’un rituel ou d’un travail d’anticipation scrupuleux (Paul Soldner et le « raku américain » ou l’aléatoire des coulures chez Hedvig Winge par exemple), au prix d’une délégation de pouvoir symboliquement importante (Ana Mendieta, Jacques Kaufmann), et très présente dans la céramique dite écologique ou environnementale contemporaine (Linda Swanson). Certains parient sur la prévisibilité, quand d’autres, provoquent l’accident pour travailler à l’idée de « réparation » (Kintsugi, « objets hospitalisables »). Peut-on dès lors encore parler d’accident ? Tout au long de son travail de thèse de doctorat, Emmanuel Boos aborde très souvent la question de l’accident. La poétique de l’émail2 devient, à cet égard et pour la question céramique, une lecture incontournable tant elle est riche et éclairante sur les doutes traversés et la conscience d’être, avec la pratique de l’accident, en lisière de la posture – voire de l’imposture. D’emblée, et en poussant la question à son paroxysme, Emmanuel Boos se demande aussi si la forme contrainte infligée à cette matière meuble qu’est l’argile crue, ne représente pas en soi un accident de structure. Partant de là, toute création à base d’argile faisant intervenir la main de l’homme deviendrait accidentelle…
L’accident est-il céramique ?
Même si l’aléatoire est inhérent à la performance et à l’art participatif, et à la source de nombreuses pratiques artistiques, aucun art plastique autre n’est davantage lié au concept d’accident que la céramique. Son passage au feu met en concertation tellement de paramètres qu’il est impossible pour un céramiste de ne pas se retrouver confronté à l’aléatoire. Valérie Hermans a coutume de dire que l’objet céramique est une planète refroidie tant les changements de nature, de structure et de dimensions par lesquels il est passé en cours de cuisson furent nombreux et violents (états liquide, gazeux, solide, puis à nouveau liquide…et enfin, encore une fois, solide). Propos confortés par beaucoup d’autres émailleurs, dont Ben Lisa qui écrivit, en citant Philippe Lambercy au passage : « Nous partons de roches […] un minéral mystérieux, souterrain, inconnu […] le feldspath, la craie, le kaolin, le talc, la dolomie, la baryte, etc. […]. Il faut provoquer l’affrontement de ces matériaux pour en faire surgir quelque chose et ce quelque chose est une création pure […] c’est la somme des sensations qui fait que, même dans un monochrome, tu peux arriver à faire passer tout un monde, tout ton monde3. » Le céramiste, a fortiori s’il est émailleur, n’a d’autre choix que de devoir y faire face. Les changements d’état de la matière produits par la cuisson donnent aux céramistes le sentiment d’aller au-delà de l’humain, et d’approcher le mystère de la création et du divin. Il y a dans les écrits de Palissy, Carriès ou Ben Lisa, une ivresse faite d’un mélange de hardiesse et de peur. Cela rejoint aussi la mythologie amérindienne. Garth Clark raconte en effet que la terre-mère transmet une partie du pouvoir de l’argile aux potières, qui, ainsi dotées, étaient perçues comme des sorcières4.
Qu’entendons-nous par « accident » en céramique ?
L’argile, en soi, est une roche meuble qui n’a pas véritablement de structure. À ce titre, elle se plie idéalement aux performances en terre crue, du Land art à nos jours, comme par exemple dans la performance Birth d’Ana Mendieta (1981).
Alchimie faisant, l’inattendu peut générer des merveilles tant du point de vue des formes qu’au niveau de l’émail : les pièces se collent, s’effondrent, produisent des improbabilités séduisantes, inspirantes, humoristiques, poétiques, surréalistes.
Tous les artistes céramistes rencontrent ces dérapages mais tous ne les acceptent ni ne les accueillent de la même façon. Il y a les « accidents subis » – qualifiés de « déceptifs » par Frédéric Bodet – et les « accidents heureux » qui permettent, selon Camille Virot, « de comprendre que l’imprévu peut être au-delà du prévisible5».
[Figure 1]La cuisson est le facteur accidentel par excellence. Elle agit à deux niveaux, sur la forme et sur les émaux. Les formes accidentées présentent des fissures, des fentes, des fêles, des effondrements ou des basculements.
Tandis qu’en matière d’émaillage, sont qualifiés d’ « accidents » le tressaillage, l’écaillage, les phénomènes de réticulation, de rétractation, les coulures excessives, les boursoufflures…
[Figure 2]Ces accidents sont jugés comme des défauts au regard du dogme, dogme qui n’intéresse en réalité pas plus les artistes que les amateurs, tant la nature excessive de ces défauts les rend beaux et fascinants. Libre donc aux artistes de les valoriser ou non sur le plan esthétique et ce de diverses façons : certains céramistes les considèrent tels que révélés sans aller au-delà, d’autres cherchent à en comprendre l’origine pour pouvoir les reproduire, d’autres encore explorent et cherchent la maîtrise en vue d’obtenir des effets à caractère toujours plus paroxystique. En réalité, par-delà la magie qui auréole toujours les transmutations de la matière et face aux imprévisibilités naturelles de celle-ci, l’accident pose la question de la « maîtrise » et du « contrôle » ou de la « non-maîtrise » et du « non-contrôle ». La céramique autorise tout et se prête à des expériences diamétralement opposées. Il s’agirait donc au moins autant de savoir voir et accueillir l’accident que d’étudier la manière qu’ont les artistes de s’y soumettre, de l’interpréter ou de le transcender. Déceler l’accident opportun n’est pas donné à tous. Cela demande de la distance, du discernement, de la connaissance, de l’exigence, une forme de projection ou bien un goût pour l’esthétique de l’inachevé. La pièce accidentée soulève la question de la perception du rebut par l’artiste lui-même. Il n’y a aucune norme. Ben Lisa et Van Lith, deux artistes et deux pratiques opposées en la matière, l’un détruisait beaucoup, l’autre conserve.
Il y a fente et fente…
Non sans humour, Emmanuel Boos constate qu’« Il y a dans les coupes de Fontana une volonté qu’il est difficile de trouver dans [ses] fentes accidentelles6. » « Les fentes m’ont laissé tomber7 », déplore-t-il. Tout l’enjeu est là, en effet. Que vaut une fente ou une déformation accidentelle face aux coups de poing ou de batte délibérément générés par un artiste céramiste japonais Mingei, par Jean Carriès, Jean-Pierre Viot, Miguel Barceló ou Laurent Craste ? Emmanuel Boos oppose ici la volonté associée à la fermeté du geste de l’artiste à la volition de la matière et distingue l’acte subi de l’acte volontaire, le seul, en théorie, à conforter la position d’artiste. L’accident se réduirait-il alors à n’être qu’une distraction surprenante, qu’un « coup » jubilatoire sans pouvoir prétendre à plus ni à aucune suite ?
Considérer l’accident tel qu’il est et est advenu
Le monde de la céramique contemporaine est empli de céramistes satisfaits d’exposer des objets rendus particuliers par l’aléatoire qui les caractérise et tels qu’ils se sont manifestés à eux. Personnellement, j’ai commencé à m’immerger dans la céramique contemporaine vers 2008, au moment d’une grande libération formelle du médium et de l’émergence des premières théories autour de la redéfinition du Craft, essentiellement par les écoles anglaise et scandinave. Depuis cette date, je n’ai cessé de voir s’accroître cette propension accidentelle de la céramique au point de me sentir submergée par une forme, devenue académique, de sacralisation du raté. Je crois que nous sommes plusieurs aujourd’hui, parmi les historiens d’art et de la céramique, à sentir notre enthousiasme s’essouffler un peu face à cette céramique très satisfaite de son incurie. Frédéric Bodet parle, quant à lui, « d’attitude passive, subie, désinvolte de ceux qui ne maîtrisent pas, faute de comprendre les phénomènes, mais qui s’en satisfont8 ».
Accueillir positivement l’accident
Les critères invoqués par les artistes céramistes qui accueillent positivement l’accident relatent une relative prise de risque destinée à introduire la vie dans l’œuvre et se laisser surprendre, en sachant voir, saisir et choisir :
« […] J’expérimente des choses au risque de l’échec, de l’accident qui détruira la pièce ou au contraire l’emmènera vers quelque chose que je n’attendais pas. […] L’ambivalence entre le contrôle ou l’aliénation et l’affranchissement9. »
Rachel Labastié
« Je me suis rendu compte qu’une des choses qui importent pour moi c’est l’accident, le hasard qui s’infiltre dans la trame et la chamboule. L’imprévu offre une forme de vie que j’ai toujours cherché à laisser advenir dans ma pratique d’atelier10. »
Elsa Sahal
« En n’essayant pas de produire des céramiques belles et bien faites, j’espère permettre à la beauté du matériau d’entrer dans l’œuvre. […] Nous considérons normalement la stabilité comme la constante de la vie et les accidents comme l’exception, mais c’est exactement le contraire. En réalité, l’accident est la règle et la stabilité l’exception11. » « Nombre de mes œuvres sont le fruit du hasard, de la chance et des accidents. Mais c’est un concept incongru que celui d’artiste-spectateur12. »
Emmanuel Boos
Co-créer avec le hasard ou le hasard comme méthode
Il y a plusieurs types de mise en œuvre des process :
Motivés par le désir de ne plus impliquer directement la main et le geste, de ne plus être les agents responsables d’un changement d’état de la matière, certains artistes céramistes agissent délibérément par « délégation » ce qui rejoint le concept d’artiste-spectateur précité par Emmanuel Boos. Le four lui-même peut en ce cas être considéré comme agent délégué par l’artiste pour procéder au changement d’état (Jacques Kaufmann, Anne Verdier…).
[Figure 3]D’autres céramistes s’attachent à mettre en place les paramètres liés à l’anticipation et aux attendus prévisibles : quand Paul Soldner définit un processus de cuisson appelé « raku américain » au détour d’une pièce s’échappant d’un foyer ouvert et qui se met à rouler, incandescente, dans les feuilles sèches, il accueille véritablement un accident heureux, une création qui résulte du hasard et il faut bien admettre que l’essentiel de la carrière de Paul Soldner, dès qu’il eut découvert et compris ce phénomène, repose sur sa reproduction. Même chose pour le « raku punk » de Jean-François Bourlard.
Frédéric Bauchet, Christine Schou Christensen, Estelle Gassmann, Léandre Burkhard, Christian Gonzenbach et sa série Hanabi, Joan Serra et son exploration scrupuleuse des propriétés chimiques et expansives de matériaux naturels cuits à telle ou telle température (qui ne sont pas sans rappeler les Expansions très chimiques de César dans les années 65-75)… tous cultivent, explorent, exploitent − temporairement ou à vie − un épanchement, un égarement naturel de la matière. Or ce travail d’anticipation pur peut suffire à singulariser leur mise en œuvre et à caractériser leur style et leur approche de la matière. Cette mise en œuvre à vocation répétitive pose cependant question : pour demeurer accidentel, ne faut-il pas que l’accident reste rare, inattendu ou imprévu ? Dès lors que l’artiste cherche à le reproduire, comme ici, il quitte l’ère de l’accident pour celle du hasard comme méthode13.
[Figure 4][Figure 5]Céramique écologique ou autopsie de la matière
La céramique dite écologique pousse à son paroxysme cette idée d’« action par délégation ». Contrairement au Land art qui esthétise avec et autour de la nature, les protagonistes de la céramique écologique collectent in situ et performent ou formalisent en atelier. Ils s’attaquent aux questions de fond, pointent du doigt les pollutions, les déséquilibres écologiques faits de raréfactions d’une part et d’organismes invasifs d’autre part. Cette céramique pactise volontiers avec des scientifiques. Distanciée autant que méticuleusement impliquée, elle tend à se transformer en agent de collectes de données quand les artistes eux-mêmes deviennent des lanceurs d’alerte. Le premier rôle est absolument dévolu à la matière (Yasmin Smith, Linda Swanson, opération Solid Ground…). L’artiste accueille une matière en cours d’autodétermination et lui définit un simple cadre formel, au format d’une plaque (sol, porcelaine) pour Linda Swanson, au format d’une branche d’arbre pour Yasmin Smith. L’accident peut être partout. Il n’y a pas véritablement d’attendu si ce n’est celui de se laisser surprendre par les résultats esthétiques, scientifiquement analysés ou non.
Co-créer par-delà le hasard
Du point de vue de l’émailleur Jean Girel, l’accident n’existe pas et rien n’est défaut, tout est phénomène. Jean Girel est un chercheur intellectuel et farouchement opiniâtre. Il maîtrise. En est-il moins artiste pour autant ? L’institution, toujours si réticente à penser la céramique comme partie prenante de l’art contemporain, tend à considérer l’accident, quel qu’il soit, comme critère de modernité et à inscrire plus volontiers la céramique issue d’un contexte accidentel dans le champ des arts plastiques. Ce faisant, elle oppose ceux qui recherchent l’accident à ceux qui veulent en réduire la présence dans leur travail. Or réduire la part accidentelle dans le travail céramique signifie accroître l’expérimentation et poser la maîtrise comme tremplin vers un nouveau challenge. La maîtrise chez Jean Girel n’est pas statique, elle va sans cesse crescendo, elle défie l’impossible. En quoi une expérimentation poussée, audacieuse devrait-elle être opposée et minorée face à la mécanique rompue, académique, de l’accident recherché ? Il y a une tentation au sein des institutions, me semble-t-il, d’assimiler l’accident céramique au « morceau » ou au « fragment » en sculpture, ou bien au « découpage » en dessin (cf. Le corps en morceaux, musée d’Orsay, 1990) et ainsi de lui attribuer un rôle de déclencheur vers la modernité, de lui offrir une entrée majeure vers la contemporanéité. Je crois, hélas, qu’il s’agit, en céramique, d’un faux débat.
La céramique de Jean Girel est une céramique de phénomènes et d’interactions de phénomènes qui passe par leur compréhension précise, intime, afin d’en tirer un parti esthétique surpuissant. L’expérimentation acharnée qui découle de cette chimie des phénomènes céramiques est précisément l’une de ces issues aptes à relancer la pensée du créateur. Jean Girel ne se satisfait pas de l’accident en soi. Il veut percer le mystère de son origine pour pouvoir aller au-delà et le pousser à son paroxysme, tout comme le firent avant lui les Song, Jean Carriès ou Taxile Doat et quelques autres.
[Figure 6]Peut-être convient-il aussi de regarder ce rapport de l’Occident à l’accident à travers l’influence de l’Asie
La céramique contemporaine occidentale se retrouve toujours ballotée (pour son plus grand plaisir) entre deux conceptions céramiques asiatiques radicalement opposées :
− La céramique chinoise d’un côté, dont Jacques Kaufmann dit qu’elle nourrit un culte pour la « perfection » et dont Jean Girel dit qu’elle vise « l’intemporalité ».
− La céramique japonaise de l’autre, dont Jacques Kaufmann estime qu’elle voue un culte à l’accident et dont Jean Girel dit qu’elle vise « l’instant », conformément à la philosophie Zen, et que l’instant prend volontiers l’aspect de l’accident.
Le rapport à la préméditation et au « hasard comme méthode » vu précédemment se retrouve dans l’approche japonaise de l’instant, dans cette approche esthétique du faux, du provoqué, de l’anticipé (déformations, casses). L’accident est ici une posture assumée.
− La céramique coréenne, celle de la Moon Jar et du « presque parfait » concilie ces deux visions et tend à décrire l’accident gracieux comme la part induite et nécessaire au faire vivre.
La céramique européenne, et peut-être plus particulièrement française, n’a été que rarement mise en contact avec cette céramique japonaise de l’instant. Il y eut certes les Expositions universelles de 1878 à 1900, quelques grandes figures de collectionneurs au tournant des xixe et xxe siècles (cf. S. Bing), puis Bernard Leach et quelques suiveurs. La céramique européenne fut aussi très tardivement confrontée à l’école américaine qui a fait de l’influence japonaise sa marque de fabrique. Il fallut attendre 1972 et l’exposition co-organisée par le Victoria and Albert Museum et l’Académie internationale de la Céramique. Si la question de l’accident se pose pour nous, elle ne se pose pas Outre-Atlantique. Elle y apparaît, au contraire, libératrice et fondatrice d’une esthétique intégrée à l’Expressionnisme Abstrait (héritage OTIS). En 1978, Peter Voulkos écrivait ceci : « J’ai dit, il y a longtemps, que l’erreur n’existait pas. Il s’agit simplement de poursuivre sa pensée. Si quelque chose ne prend pas, réfléchissez-y et la prochaine fois anticipez-le. […] À mes débuts, j’ai essayé toutes sortes de choses, mais… j’essaye toujours de ramener ça à un geste simple, un geste où le risque est grand, mais qui vaut spirituellement la peine14. »
Accident et réparation sont désormais des concepts inséparables. Directement inspirées de la philosophie japonaise (Kintsugi), les sociétés occidentales ont, au cours des vingt dernières années, élaboré des concepts tels que la résilience, le care ou les « objets hospitalisables » développés par Pierre-Damien Huygues, il y a une dizaine d’années. Aux dires de Soldner, Peter Voulkos avait lui aussi embrassé en son temps cette approche : « Une des choses que j’ai vu faire Pete était de creuser la surface puis de soigner la déchirure produite15. »
Nombre de céramistes aux pratiques très différentes s’accordent sensiblement sur le juste rapport à entretenir avec l’accident. Aussi, en guise de conclusion, cette tentative de ligne consensuelle
« À condition d’en comprendre les arcanes, l’accident ouvre de nouvelles voies de recherches et l’intérêt de la céramique est là16. »
Jacques Kaufmann
« Ce qui m’intéresse n’est pas le « savoir-faire ». Il entre dans mon processus de création, certes, mais n’est aucunement une raison en soi. C’est un « moyen » que j’emploie durant la conception. Il s’y passe parfois des évènements inattendus qui me conduisent ailleurs et c’est pour cela que j’aime passer par lui. C’est un processus très lent et souvent rude, très physique. Une expérience « dans » et « de » la durée17. »
Rachel Labastié
« Il y a une contradiction dans le fait de vouloir articuler une esthétique basée sur un manque de contrôle dans une pratique qui est si profondément ancrée dans les traditions de l’artisanat et de l’habileté. Je ne pense pas, cependant, que le désir de l’accidentel et la volonté de contrôle s’excluent mutuellement18. » ; « Une partie de ma pratique artistique consiste à créer les conditions internes et externes qui permettent aux accidents d’enrichir mon travail sans le submerger. Cela exige un équilibre délicat entre l’intention et l’improvisation, une négociation continue entre les deux19. »
Emmanuel Boos
« Deux choses sont attendues d’un défournement : il faut que la pièce réponde à l’attente initiale et il faut qu’elle apporte autre chose (sinon c’est l’ennui). La pièce réussie, c’est l’équilibre entre les deux. Elle doit répondre à l’exigence mise et à un besoin d’émerveillement20. »
Jean Girel
Ainsi, seuls les céramistes aguerris et animés par la curiosité sembleraient pouvoir durablement tirer parti de l’accident dès lors qu’il se produit. L’accident deviendrait en ce cas non pas une opportunité esthétique et économique à saisir mais un ressort créatif fructueux. À défaut, l’acceptation de l’accident en tant que tel, dans sa reproduction et sa non-transcendance, caractériserait une posture d’artiste.
Citer cet article
Stéphanie Le Follic-Hadida, « L’accident en céramique, entre fatum et posture », [Plastik] : Approches céramiques : les artistes et l’accident #16 [en ligne], mis en ligne le 18 novembre 2024, consulté le 04 décembre 2024. URL : https://plastik.univ-paris1.fr/2024/11/18/laccident-en-ceramique-entre-fatum-et-posture/