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Céramique, création et accident ou comment faire feu de tout bois

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Table des matières

Jouer avec le feu n’a jamais été innocent

Ces propos sur et autour de l’accident se sont construits de manière fragmentaire, ouvrant à un jeu de résonances. Ils s’articulent en deux parties : la première, d’orientation théorique, et la seconde en relation directe avec ma pratique. Les idées ici développées se sont nourries de cette pratique d’atelier et s’inscrivent, dans une réflexion de longue date, sur les conditions d’émergence de nouvelles matérialités qu’il ne me serait pas possible d’imaginer de manière purement conceptuelle, ou lorsqu’un but est fixé en amont. Le lâcher-prise sur le résultat est un prérequis durant ce parcours. Il y a, je crois, enfoui dans la psyché de certains céramistes, une forme d’aspiration ou de fascination pour ce qui échappe à la volonté avec, en son extrême, l’accident, celui dont le surgissement permet d’ouvrir une porte sur l’inconnu.

Temporalités de l’accident : crise, changement, durée

Accident, en latin accidens, de accidere, signifie « survenir ». En latin, felix casus est un « accident heureux ». Il est étonnant qu’il n’y ait pas de mot spécifique en français ni dans les langues gréco-latines, pour éclairer cette notion d’accident dans une acception positive. Un accident est en effet généralement connoté négativement. Il est intéressant de noter que, dans une langue d’origine radicalement autre, cette version positive de l’accident existe, incarnant ainsi la possibilité que puisse advenir une heureuse surprise. En chinois, le mot « crise »,WeiJi, rentre dans le champ lexical de l’accident. Il décrit un moment ou une situation critique, où la menace se combine avec l’idée d’ouverture et d’opportunité. Le mot WeiJi est en effet formé de deux termes opposés. Il s’agit très exactement d’un oxymore, le danger (Wei), et l’occasion ou l’opportunité (Ji). La crise et, dans son dépassement de la limite, « accès apparition – entrée perspective – rencontre – venue – voisinage » … et bien d’autres encore  l’accident ne peuvent être vus que sous deux visions contradictoires : d’une part la situation nuisible, le moment critique, l’état d’urgence exprimés par le caractère (Wei) ; et, d’autre part et simultanément, l’occasion favorable, l’opportunité, la chance, toutes comprises dans le terme (Ji). Et ce dernier n’est pas seulement perçu comme une occasion fortuite qui arriverait au hasard d’une rencontre ou des circonstances, mais réellement comme l’opportunité consubstantielle à la crise, et qui est offerte à notre capacité de réaction, et donc de création.

Ceci dit, en tant qu’évènement fortuit, inattendu, positif ou négatif, l’accident est une rupture1 dans le cours attendu des choses. En forçant le trait de manière un peu caricaturale, nous avons en Occident une vision binaire du changement (social, personnel, vital, etc.). En passant à la limite du changement, l’accident ou la crise qui lui est liée, prend la forme de deux temps opposés : stabilité-durée d’une part, rupture-instant de l’autre. Il octroie ainsi à l’accident une place particulière que l’on nomme « révolution ». Cette révolution possède ironiquement un double sens, à nouveau paradoxalement opposé : transformation radicale d’une part, et par ailleurs, un tour sur soi-même, comme dans un cercle… En s’intéressant aux limites de la prédictibilité dans les phénomènes au sein des sciences sociales, la sociologie s’intéresse à ces infra-indicateurs, possibles annonciateurs de changement(s), et qui précèdent une transformation en profondeur potentiellement radicale du corps social. Nous pouvons associer cette approche à celle exprimée par « l’effet papillon », une métaphore qui résume le phénomène fondamental de sensibilité aux conditions initiales de la théorie du chaos (mise en évidence par Edward Lorenz2).

En Asie, traditionnellement, la transformation est pensée en termes de mouvements permanents, symbolisés par le YinYang3. C’est en chaque instant que réside le potentiel de contribution au mouvement général. Dans ce contexte où tout bouge tout le temps, même de manière infime, l’immobilité est associée à la mort. Par ailleurs, chaque instant étant porteur d’un changement potentiel, une attention toute particulière est octroyée à ce qui pourrait passer pour insignifiant, mais qui est éventuellement signe avant-coureur d’un changement majeur. Cette approche favorise un état de présence permanent. C’est d’une certaine manière une position que rejoint Gaston Bachelard, dans L’intuition de l’instant4. Il y fait dialoguer deux philosophes, aux visions opposées quant à la nature du temps. Bergson postule que c’est la durée qui importe, car c’est elle qui nous permet de percevoir le temps et les transformations qu’il apporte, la durée menant par fractionnement à l’instant. Roupnel, quant à lui, fonde le temps sur l’instant, qui, par accumulation, devient durée. Bachelard tranche en faveur de Roupnel, avec l’idée que c’est l’instant qui est porteur du potentiel de la création, dont les effets sont ensuite visibles.

Pour Ilya Prigogine (1917-2003, Prix Nobel de chimie en 1977), l’avenir est incertain mais cette incertitude est au cœur même de la créativité humaine. Notre croissance est directement proportionnelle à la quantité de chaos que nous pouvons entretenir et dissiper. Le monde est plus riche qu’il n’est possible de l’exprimer dans une seule langue. J’ai assisté à l’une de ses conférences à Genève dans les années 80, c’est-à-dire peu après son Prix Nobel. Il était en dialogue avec Umberto Eco qui, de mémoire, lui a demandé : « Ilya, quelle est ta question, celle qui est au centre de tes recherches ? » À cette question, Ilya Prigogine répondit, après un bref instant de réflexion : « Umberto, ce qui a guidé ma vie et ma recherche est la question suivante : le temps objectif existe-t-il ? Non pas celui subjectif, lié à l’Homme et à ses perceptions. Non, le temps objectif. Et je peux répondre aujourd’hui : oui, il existe, et la complexité (de la matière) est le témoin de son existence. » J’ai également gardé en mémoire, grâce à cette conférence, qu’au contraire de ce qui nous a été transmis à l’école primaire, à savoir que des droites parallèles se rejoignent à l’infini, d’après Prigogine, celles-ci divergent à l’infini, et ce de manière exponentielle. Et que c’est là que résiderait l’origine du chemin vers la complexité de l’univers, et donc de la création.

J’en ai conclu pour moi-même que si, à notre échelle de temps et de perception, nous sommes soumis à certaines formes de répétition qui peuvent prendre la forme de l’ennui, il nous revient de nourrir la répétition, de manière à lui permettre non seulement d’éviter l’ennui, mais de diverger, par la conscience de l’instant. Cette divergence, passée à la limite, devient ainsi logiquement un instant-accident créateur.

Faire feu de tout bois : entre l’accident subi, l’accident accepté et l’accident valorisé

Arthur Koestler écrit, dans Le cri d’Archimède5, que la création est la rencontre fortuite, la collision de deux entités ayant des logiques séparées. Son livre développe le propos dans les domaines apparemment distincts que sont l’art, les sciences et l’humour, mais qui tous émargent à la même logique en termes de création. L’accident, comme la création, seraient la rencontre fortuite de deux entités ayant des logiques séparées. En s’inscrivant dans un temps et dans un espace spécifiques, cette rencontre génère une rupture dans la connaissance et dans la prévisibilité que nous pouvons avoir du réel. Il existe dans la création, grâce à l’accident, un au-delà du projet (avec son objectif à atteindre), un au-delà de l’intention, un au-delà même de l’intuition. Cet au-delà ne peut se révéler que dans l’action. En acceptant cet au-delà, il n’y a pas d’échec. Demeure juste un état d’éveil à ce qui est advenu, une sorte de porte dans le mur de la connaissance, ou, pour le dire avec Ralph Waldo Emerson : « Chaque mur est une porte6 ».

[Figure 1]

Contrer l’accident : intuition, anticipation créatrice, sérendipité

Aussi, l’intuition peut-elle être comprise comme nécessité, et l’erreur comme moyen de la création. Un des buts – souvent non formulé – du travail est d’arriver par la répétition à un état de conscience qui permet de réduire le bruit permanent de la pensée dans l’action. Par association d’expériences, se développe l’intuition que nous pouvons avoir, dans le faire, pour remplir les conditions nécessaires à la réalisation d’un projet. Il reste néanmoins cette part qui revient à l’imprévu, car liée aux conditions initiales de la mise en œuvre, dont une partie échappe aux possibilités d’anticipation.

Dans les pratiques liées au corps et à la création, l’anticipation créatrice7 est une façon de se représenter les phases à venir d’un travail, de les ordonner mentalement. Il ne suffit pas d’utiliser des procédures apprises et standardisées, il faut les recombiner en fonction des circonstances, les adapter, les remanier. L’anticipation créatrice est une activité psychique de représentation réflexive, de l’avenir au passé et du passé à l’avenir : avenir inscrit dans le présent, ou présent et passé mobilisés dans un but à venir, pour une cause à venir. L’anticipation créatrice passe par la maîtrise des langages du métier, qui ne sont cependant pas suffisants pour en révéler toute l’importance. Lorsqu’on travaille avec le feu, cette anticipation créatrice passe de toute manière par une phase aveugle, celle de la cuisson. Nous ne sommes pas autorisés à pénétrer dans le four pour assister aux phénomènes de transformation de la matière lorsqu’ils se produisent, ni par les yeux, ni par un quelconque autre sens8. Durant cette étape, il faut accepter la part hors maîtrise, chaque fois présente.

La sérendipité, mot d’origine anglaise (serendipity) est la capacité à faire par hasard une découverte inattendue et à en saisir l’utilité. Dans la création, si le corps et l’imaginaire sont engagés dans cette relation qui fait la part belle à l’intuition, aux expérimentations, et finalement à leur synthèse, pour appréhender puis développer dans le réel ce qui a d’abord été rêvé ou simplement interrogé, l’erreur féconde, comme la sérendipité, sont également accueillies comme des cadeaux offerts par le matériau, lors d’une écoute attentive, sa voix pouvant être discernée et activée au-delà du résultat préalablement attendu.

Mouvement littéraire, l’Oulipo (1960), issu du Collège de ‘Pataphysique, a théorisé et mis en œuvre le principe de « création sous contrainte », comme une possibilité d’ouverture vers le non connu. Cette démarche est fondée sur la notion de contrainte et sur le paradoxe dont elle est porteuse : loin de bloquer l’imagination, ses exigences arbitraires l’éveillent, la stimulent, lui permettent d’échapper plus aisément au contrôle.

Pour ouvrir des mondes possibles, l’Oulipo (suivi par bien d’autres Ouvroirs d’x potentiels par la suite) cherche à mettre au centre les modalités même de la création, afin d’échapper aux ornières des certitudes. La perte de la maîtrise et l’accident y trouvent une place de choix en s’opposant aux a priori d’une forme et d’un but préconçus, et donc de la volonté, comme concept über alles, érigée comme guide suprême. L’accident qui est toujours lié en puissance à une action, est ici rendu possible, voire souhaité, comme moyen de rupture avec le cours attendu des choses.

Accident et création en céramique

L’accidentel participe à l’acte fondateur du phénomène céramique avec, par exemple, la rencontre fortuite de traces imprimées dans la boue sèche et du feu, qui est devenue une des contributions culturelles majeures pour l’humanité. Depuis lors, en céramique, ce qui fait la spécificité de l’accident, peut se définir non pas par de la maladresse, mais par la rencontre, non prévue ou prévisible a priori, du caractère des matériaux et des outils employés, se révélant plus particulièrement lors du passage au feu. En ce qui concerne les matériaux, si l’industrie cherche légitimement à contrôler par des analyses les plus rationnelles la composition des matériaux, il n’en va pas forcément de même pour le céramiste créateur, lorsqu’il cherche ses matières premières, argiles ou roches, dont la composition et le comportement ne sont jamais complètement reproductibles. De plus, le principal outil du céramiste, celui qui l’identifie, c’est le four. De la cuisson, il faut en accepter les accidents, cette « part du feu », ce lieu et ce temps où l’on ne peut accéder, ni par le corps (qui serait brulé) ni par les yeux (d’emblée aveuglés). Philippe Lambercy, qui fut mon Maître lors de mes études à l’école de Genève tirait, dans son intérêt pour la musique, des parallèles entre la composition musicale et la céramique, autour d’une notion qu’il nommait « la partition céramique ». Tant qu’une musique n’est pas jouée, elle reste virtuelle et ne peut donner toute sa vérité, telle une argile qui ne serait pas encore cuite. Voilà la part qui revient au feu.

L’accident, dans ma pratique d’atelier – 5 exemples

Ardoises – Une découverte féconde, au hasard d’une recherche ; une mémoire minérale, une histoire de famille…

[Figure 2]

Lorsque j’ai été amené à enseigner la technologie de la céramique à l’École d’Arts appliqués de Vevey, j’ai décidé de ne faire intervenir la composition moléculaire des matériaux céramiques que dans un deuxième temps, privilégiant dans un premier temps l’expérience, par le passage au feu direct des matières premières, afin d’en visualiser le comportement et les transformations lors de la cuisson. En voulant tester ma méthode, j’ai décidé de remonter aux roches en tant que telles, avant que celles-ci ne soient réduites en poudres diverses. C’est ainsi que j’ai passé dans mon four divers blocs de granite, et autres gneiss, feldspath, etc. En passant près d’une maison dont le toit était en cours de rénovation à Genève, je repère un tas d’ardoises. Ardoise ? Cuisson ? Jamais je n’aurais pu anticiper le résultat après la cuisson de ce test. À une certaine température, cette dernière se dilate, révélant sa stratification, et sa mémoire. En procurant les bonnes conditions à une roche, sa temporalité peut en effet s’exprimer.

   Il existe une famille minérale, qui va du granite à l’argile et à l’ardoise. Dans cette famille minérale, on trouve une roche primaire, le granite, issu du refroidissement lent de la croûte terrestre et composé de trois cristaux : quartz, mica et feldspath. Cette roche est la principale roche-mère, à l’origine de la genèse des argiles. Avec du temps, ici une très longue durée, des millions d’années, et avec beaucoup d’eau, des séquences répétées de gel et de dégel, des agents acides, des déplacements, le matériau primaire se dégrade, se transforme, et de dur et massif, devient un avatar : une roche « seconde », dite détritique ou sédimentaire, qui se nomme argile, dont l’intimité minérale conserve la mémoire de son origine, mais dont les propriétés tactiles, physiques et structurelles sont radicalement différentes. En fonction de son âge et des conditions de sa sédimentation, chaque argile possède des caractéristiques différentes.

Imaginons un cours d’eau, une rivière. Sur ses bords, après une crue, on remarque qu’un matériau fin et doux s’est déposé : de l’argile, plus ou moins boueuse, ou pâteuse, ou sableuse. Imaginez également que cette argile soit transportée, et que plus elle l’est, plus elle s’affine, les particules les plus fines pouvant couvrir des distances considérables avant de se déposer. Imaginons encore que cette matière argileuse qui se dépose en strates, ne vienne pas seule. Elle est accompagnée par de la matière organique, des feuilles mortes, des petits éléments de bois, qui peuvent se trouver emprisonnés entre deux couches successives du sédiment argileux. Imaginons encore que ce cycle se répète, et que l’épaisseur d’argile puisse devenir importante. On n’est plus là au bord d’une rivière, mais au fond d’un lac. La matière organique est toujours là, silencieuse. Imaginons enfin des mouvements tectoniques, lents, puissants, qui amènent ce sédiment à nouveau dans les profondeurs de la croûte terrestre, où règnent la température et la pression, qui transforment ce sédiment en une nouvelle roche, dite métamorphique : l’ardoise, qui va garder à la fois la composition moléculaire de l’argile et du granite d’origine, avec quelques variations, mais aussi la stratification de l’argile lorsqu’elle s’est déposée en fines couches, telle une mémoire du processus de sédimentation.

Dans mon four, s’il y a une température qui peut devenir égale ou supérieure à celle de la croûte terrestre, à sa différence, il n’y a pas de pression, et il y a de l’oxygène. L’expansion de l’ardoise s’explique ainsi par le dégazage de la matière carbonée prisonnière dans l’ardoise, qui, dans le four amené à une certaine température, fait que celle-ci se ramollit, devient visqueuse, et permet ainsi au carbone de s’exprimer. Ce phénomène a une actualité, avec la volonté d’extraire ce carbone emprisonné dans des schistes, de l’extraire sous forme de gaz, avec des produits chimiques et par conséquent une pollution des eaux.       

Sables dans l’argile –Une autre version de la sérendipité, par inattention ou erreur féconde

[Figure 3]

Je voulais réaliser dans mon atelier des briques émaillées. Et afin d’économiser des matériaux, je décidai de troquer la chamotte que j’utilisais habituellement, par du sable, celui qui est en tas au bord du chemin proche de mon atelier. Je mêlai allègrement 50% de sable à 50% d’argile. Je façonnai, j’émaillai, je cuisis jusqu’à obtenir un beau turquoise. À leur sortie du four, je déposai ces échantillons sur une planche, sous un abri à l’extérieur de l’atelier. Passant par là quelques jours plus tard, je vis deux ou trois fines craquelures sur la surface des briques. Je ne pensai pas tout de suite à un phénomène en cours, mais plutôt que je n’avais pas été attentif lors du défournement, et je passai mon chemin. Quelques jours plus tard, les quelques craquelures étaient devenues plus importantes, en nombre et en profondeur. Je décidai donc de regarder de plus près, et je pris des photographies afin de suivre le processus en cours. Dix jours après le défournement, mes briques bien cuites et émaillées étaient redevenues de la poudre… En introduisant 50% de sable, j’avais introduit 50% de sable calcaire. Les Romains connaissaient déjà la calcination du calcaire, qui transforme celui-ci, le rend avide d’eau, et ce faisant, fait augmenter son volume. En introduisant 50% de sable calcaire dans mon argile, c’était comme une destruction annoncée, une autre forme de l’obsolescence programmée. Les pierres à chaux de mon sable, après cuisson, ne pouvaient qu’être avides d’eau, qu’elles ont trouvé dans l’humidité de l’air ambiant. La chaux, en s’expansant, ne pouvait que faire éclater, lentement et inexorablement les briques. À partir de ce phénomène, j’ai développé un travail, intitulé Certitudes. Je n’aurais jamais pensé à cela sous forme d’une idée, d’un concept, posés a priori. C’est bien cette expérience infructueuse vis-à-vis du but premier, qui permit l’ouverture de ce travail à d’autres horizons.

Terres mêlées – Proposition d’Ouvroir de Céramique Potentielle, « Oucerpo » : un mouvement qui reste à créer, entre volonté dans la méthode, et dé-maîtrise dans le résultat

[Figure 4]

Telle une méthode oulipienne appliquée à la céramique, prendre une série de trois ou quatre terres, dont les caractéristiques les rendent a priori incompatibles par leur plasticité ou leur température de cuisson ; étirer, superposer puis plier successivement ces terres, et recommencer. Façonner par une seule action rapide et sans remord : bâton, pétard, tournage à une main, etc. Cuire, en sachant que l’incompatibilité des terres va inéluctablement se révéler, mais sans pouvoir en prévoir la forme finale exacte. Les résultats sont comme une image matérielle d’une série d’instants décisifs, à travers les choix de matériaux, de gestes et la cuisson. Sensibles à la moindre variation, ils permettent l’impossibilité de la répétition à l’identique. Sans pouvoir parler réellement d’accident, cette méthode offre une imprévisibilité qui stimule l’imaginaire, à toutes les étapes du processus.

Tournage à une main – Oucerpo, par contrainte dans les moyens

[Figure 5]

Ce travail prend comme point de départ les terres mêlées, auxquelles s’ajoute un tournage à une main comme un moyen de la dé-maîtrise. Placer une boule ou un bloc sur le tour. Ne pas procéder au centrage de la masse d’argile. Utiliser uniquement la main gauche pour creuser et monter la forme. Si l’on arrive à une typologie de formes, en lien avec les moyens employés, ces formes ne peuvent être qu’à chaque fois uniques.

La plaque de Vevey – Un accident à ne pas reproduire, si possible…

[Figure 6]

Nous avions mis en place une procédure à l’école d’Arts appliqués de Vevey, à la fois comme moment pédagogique et afin d’éviter des problèmes lors des cuissons. Les étudiants étaient chargés de préparer leur enfournement et la courbe de cuisson qu’ils entendaient suivre, et un enseignant les validait par sa signature, déchargeant ainsi la responsabilité de l’étudiant en cas de problème. Mais une fois, un four fut programmé à haute température, et si l’enseignant avait vérifié l’enfournement et la courbe, il avait oublié de demander qu’elles étaient les terres enfournées ; or, elles étaient destinées à la basse température. Au défournement, c’est l’ensemble du four qui était vitrifié, des parois à la sole, rendant le four hors service. Je parvins à sortir et à conserver une des plaques de ce four, qui je dois l’avouer comporte une forme de beauté pour moi. Quant au four, il dut être complètement reconstruit.

Citer cet article

Jacques Kaufmann, « Céramique, création et accident ou comment faire feu de tout bois », [Plastik] : Approches céramiques : les artistes et l’accident #16 [en ligne], mis en ligne le 18 novembre 2024, consulté le 21 novembre 2024. URL : https://plastik.univ-paris1.fr/2024/11/18/ceramique-creation-et-accident-ou-comment-faire-feu-de-tout-bois/

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