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Regard sur ces artistes bio contemporains

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Table des matières

Résumé

Face à la crise écologique sans précédent que nous traversons, les artistes redeviennent partie prenante de la société remettant la pratique de l’art au centre des préoccupations quotidiennes. Plus que des producteurs de représentations, ils imaginent des dispositifs de médiation qui bien souvent mobilisent directement les citoyens. Nous reviendrons sur ce nouveau rôle de médiateur à l’aide d’exemples concrets et nous interrogerons la frontière entre savant et politique qui semble être transgressée par cette ingénierie sociale.

Introduction

Face à la crise écologique sans précédent que nous traversons, incitant des scientifiques à donner à cette courte époque une portée géologique avec la notion d’Anthropocène,1 les artistes ne peuvent rester indifférents.

Loin des galeries et du marché de l’art pour l’art, loin de l’artiste-auteur, figure de génie qui prévaut depuis des décennies, confinant l’art à un milieu socialement déterminé et se distinguant de la culture populaire, des artistes redeviennent partie prenante de la société remettant la pratique de l’art au centre des préoccupations quotidiennes.

Ces artistes ne sont pas seulement des producteurs de représentations. Ils imaginent plutôt des dispositifs de médiation qui interviennent activement dans l’espace public parfois au-delà du champ de l’art, que ce soit en mobilisant des citoyens autour d’un programme agricole urbain partagé, comme l’a fait Thierry Boutonnier à Lyon, pour la réhabilitation du quartier du Grand Mermoz; ou encore une économie solidaire locale avec un système de troc de déchets contre nourriture, tel le projet Pedogenesis proposé par Andrea Caretto et Raffaella Spagna à Turin en Italie (Figure 1) ; que ce soit en imaginant des dispositifs publics de collecte des eaux de pluie, comme Topique Eau d’Isabelle Daëron (Figure 2) ; ou même construire un village en utilisant seulement des matériaux trouvés sur place, comme le propose les architectures transitoires de Laurent Tixador …

[Figure 1][Figure 2]

Les artistes s’engagent parce que les phénomènes écologiques en cours se déroulent à une échelle spatiale et temporelle qui dépasse nos perceptions. Ainsi il est extrêmement difficile, voire illusoire, de proposer une « représentation » des changements climatiques, seules des illustrations particulières et souvent catastrophiques de ses conséquences peuvent être conçues. Alors, les artistes qui se saisissent de ce sujet préfèrent proposer des actions qui interviennent sur les causes du changement climatique, directement reliées aux pratiques individuelles et collectives quotidiennes de nos sociétés occidentales.

Ils le font parce que face à la complexité de l’approche systémique ils peuvent être porteurs d’esprit d’innovation dans une démarche prospective. L’intuition créative permet de tenter des choses, de l’ordre du design social et technologique, qu’une approche d’ingénierie seule ne ferait pas, soumise à l’obligation de résultat, à des contraintes d’intérêts économiques particuliers ou des contraintes industrielles.

Ils le font parce qu’ils sont probablement les seuls tiers capables d’endosser le rôle de médiateurs2 dans la conduite de projets. N’étant ni un acteur public soumis à réélection, ni une entreprise privée vendant des produits, ni une ONG défendant une idéologie, et n’ayant qu’un intérêt économique très limité, l’artiste est un intermédiaire perçu comme légitime par toutes ces parties prenantes. Il réussit à catalyser les énergies autour de lui, tandis que tout autre acteur susciterait plus de suspicions sur ses motivations.

Ils le font parce qu’ils se sentent remplis d’une mission d’urgence pour la planète et le devenir des futures générations. Bien au fait des productions scientifiques sur les conséquences des changements globaux dues aux activités humaines, atterrés par l’attentisme politique, ils décident de communiquer sur les transformations sociétales nécessaires au développement d’une nouvelle aire écologique. Transformations qu’ils identifient, au vu du public visé, comme passant d’abord par une action citoyenne collective.3

Cependant, sous couvert d’être les porte-paroles désintéressés de la planète, ne seraient-ils pas finalement en train d’édicter leurs propres règles, lois et valeurs outrepassant la frontière qui séparait le savant et le politique ? Est-ce que l’artiste, comme un politique non affiché, ne montre pas les préludes d’une nouvelle « ingénierie sociale » cumulant entre les mêmes mains la conception d’une approche sensible du monde et l’édiction d’actions parfois collectives. Cette dimension active de son métier peut parfois donner une nouvelle dimension à la figure démiurgique de l’artiste, ce qui n’est pas sans danger. Alors se manifeste une nouvelle régulation sociale de l’art contemporain.

Comment l’artiste devient médiateur de projet

Dans la plupart des cas, lorsque l’artiste s’investit sur les questions d’écologie et de développement durable, il se propose comme un acteur du territoire et une partie prenante d’actions collectives. C’est ce que montre notamment les 800 projets d’artistes issus du monde entier reçus en candidature pour les 4 éditions du prix COAL Art & Environnement de 2010 à 2013.

Ce qui distingue souvent ces propositions au regard du marché de l’art, c’est leur énonciation performative. Il ne s’agit pas de performances, mais bien de performativité au sens de John Langshaw Austin (Austin, 1962). La communication performative ne se borne pas à décrire un fait mais elle «fait» elle-même quelque chose. L’exemple canonique reste le mariage : le fait de dire «oui» est le fait de se marier. Après cet exemple simpliste, il est possible de concevoir des actions artistiques qui font ce qu’elles disent de l’environnement. Thierry Boutonnier par exemple développe un projet de ce type, Assolement, à Lyon. Dans le cadre du « contrat urbain de cohésion sociale» (CUCS) accompagnant les quatre années de travaux de réhabilitation de l’Entrée Est du Grand Lyon, Thierry Boutonnier propose, dans une approche écologique et impliquant les habitants de cette zone sensible, des actions concrètes comme un lieu écologique de concertation, la création d’une pépinière urbaine, d’un pigeonnier, l’installation de ruches et même d’une bergerie. L’artiste devient ainsi partie-prenante de son environnement et médiateur entre une certaine perception de l’environnement et ceux qui y vivent. Il est particulièrement intéressant de noter que dans cette optique performative, issue d’une exigence de cohérence, sa mise en œuvre complète confond l’art et le monde quotidien et ne s’incarne plus dans des œuvres figées et circonscrites mais bien dans des processus liés au monde. L’éco-artiste travaille ici sur une notion de culture qui ne se cantonne pas à la production artistique contemporaine occidentale mais dans un contexte plus large, une définition qu’on pourrait nommer d’anthropologique, incluant les modes de vie et les pratiques humaines en constante construction avec leur environnement. Ainsi le propos artistique sur l’environnement est lui-même une action sur l’environnement et l’artiste ne se contente pas de représenter son sujet, il participe de son sujet.

Les artistes, via ces dispositifs de médiation acquièrent une fonction sociale nouvelle. Si nous parlons aujourd’hui de médiateur c’est bien parce que les artistes transmettent leurs messages, leurs univers en mettant l’accent sur le lien et sa dimension sociale et non sur l’information.4 Cette approche permet également d’articuler l’expérience singulière vécue à l’inscription dans une communauté, à une norme collective que les artistes s’amusent à redessiner. Enfin, cette urgence de médiation semble désigner également l’échec politique à créer du vivre-ensemble que ce soit au niveau local ou international afin de proposer les contours d’un futur écologique.

À l’instar des prêtres ouvriers acteurs de la cité, des artistes écosophes investissent les métiers liés à leur sujet. Par exemple, Stefan Shankland s’est intéressé à un important pan de la destruction de la biodiversité : la construction. En intégrant la culture dans les projets de rénovation il propose une démarche qu’il appelle la HQAC (Haute Qualité Artistique et Culturelle). Dans le projet marbre d’ici l’artiste transforme des gravats de chantier en une nouvelle matière première locale à utiliser sur place. Un potentiel de réduction d’impact écologique très important puisque c’est autant de matière première à ne plus extraire des mines qui détruisent l’environnement naturel et de transports émetteurs de CO2 en moins. Les artistes peuvent aussi faciliter l’intégration de technologies en faveur de la protection de l’environnement comme l’a fait Jean-Paul Ganem. En 2000, il intervient sur la décharge publique de Montréal où le terrain s’est dégradé. Des capteurs pour puiser les gaz de décomposition ponctuent le terrain. En plantant des surfaces circulaires autour des capteurs dont les plantes créent le motif, la décharge passe du no-man’s land nauséabond à un jardin public. Ainsi l’artiste peut devenir un accompagnateur social qui inscrit, via son travail, la question du développement durable dans le territoire avec une vraie performance en terme d’acceptabilité sociale et de réappropriation de l’espace public.

La plupart des artistes dans leurs propositions sur les questions d’écologie se concentrent sur des problématiques précises, isolées et locales afin de concevoir des utopies pragmatiques mais non replacées dans un projet d’ensemble qui les rendrait opératoire. C’est peut être une nouvelle fois que les éco artistes cherchent d’abord une émancipation individuelle et citoyenne aux problématiques énergétiques qui sont gérées habituellement par les plus hautes sphères de l’état et les grandes industries. C’est le cas par exemple de Pégase d’Arnaud Verley & Philemon. Ce projet du duo d’artistes consiste à équiper un âne de panneau solaire et se balader dans la ville pour proposer une recharge électrique. A défaut d’apporter une réponse au problème de l’énergie qui a besoin de millions d’ânes de ce genre, il met en évidence le sujet, et c’est bien le rôle de l’artiste. Ces dispositifs sont donc des expériences qui pourraient éventuellement se généraliser voire s’industrialiser. Vu sous cet angle, le rôle de l’artiste en la matière semble claire : sa créativité, sa neutralité et sa non obligation d’efficacité en font un formidable candidat pour assurer la R&D du développement durable !

Comme nous venons de le voir l’art encourage les innovations, mais il sert également à mettre en évidence que la protection de la biodiversité est à la portée de tous. Cette dernière se heurte simplement à un certain conformisme, une certaine flemme, voire une certaine bêtise. C’est ce que révèlent des productions du collectif Art Orienté Objet. Lorsqu’en 2002 le collectif est invité à collaborer dans le Domaine de Chamarande, 10 ans avant que le site ne se dédie à l’écologie, la direction voulait couper un épicéa qui trône au milieu de la prairie parce qu’il gênait la perspective paysagère. Cette considération purement formelle, héritée d’une esthétique de jardin paysagé obsolète, a inspiré les artistes. Ils ont alors conçu une grande table octogonale et seize chaises dorées portant l’inscription du nom de l’œuvre : L’effet de serre. Ce mobilier entoure l’arbre et les artistes ont expliqué que l’arbre faisait partie de l’œuvre, il ne peut donc plus être coupé ! L’intervention de ces mêmes artistes à Fontainebleau révèle cette fois-ci que la peur de la nature sauvage est à l’origine de la destruction de la biodiversité rappelant étrangement la thèse principe de l’anthropologue François Terrasson.

Là même où des artistes avaient obtenu à la fin du 19e siècle la création de la première surface naturelle protégée de France pour des raisons alors esthétiques,5 Art Orienté Objet a mené une expérience. Ils ont hérité d’une maison avec jardin et ont laissé le jardin sans entretien pour accueillir toute la biodiversité possible (Figure 3). Cette expérience s’est terminée au tribunal, attaqués par des voisins qui craignaient l’invasion d’espèces animales diverses et la dévalorisation de leur patrimoine immobilier attenant.

[Figure 3]

Ainsi, l’art est un vecteur social efficace pour mettre en évidence les freins à la prise en compte de l’écologie et de la biodiversité.6 Les artistes peuvent servir de catalyseurs aux énergies des territoires, d’explorateurs de méthodes nouvelles et de porteurs d’innovations. Hélas ils se confrontent à des difficultés de mobilisation et de compréhension, comme tous les autres acteurs du sujet, quand bien même ils bénéficient d’une légitimité reconnue. Le revers de la médaille étant d’être perçus dans bien des cas comme des originaux sans grandes conséquences, menant des actions marginales.

La tentation de l’extrême

Certains artistes peuvent être tentés de radicaliser leur propos et de mener des actions très engageantes. Cette attitude pose question puisque l’art semble alors servir de passe droit à des actions qui n’auraient pas été acceptées dans d’autres contextes.

Des artistes vont jusqu’à faire un usage « ludique » de technologies décriées cherchant à les banaliser ou les diffuser. C’est le cas avec les OGM d’Eduardo Kac. L’artiste américain a commandé à l’INRA, la célèbre lapine transgénique Alba, née en février 2000, première d’une série d’organismes modifiés, équipée d’un gène codant une protéine fluorescente verte initialement présente chez les méduses. Eduardo Kac a ensuite milité pour l’intégration sociale de son lapin. Suite à la médiatisation de ce phénomène, des poissons fluorescents produits selon le même principe ont été mis sur le marché sous la marque GloFish au risque de diffuser dans la nature des OGM sans contrôle, sans plus pouvoir faire marche arrière. Ce type de propositions, qui engage bien au-delà du champ de l’art, ne peut être laissé aux seuls soins de l’artiste et doit s’inscrire au contraire dans un débat démocratique global du fait de ses implications pour tous.

Alors que l’on connait déjà les dérives d’appliquer une interprétation des règles biologiques à la société humaine, avec les tristement célèbres lois naturelles, forte est la tentation de réitérer cette fâcheuse expérience avec l’écologie. Certains artistes ne font pas exception, et pour cause : épistémologiquement, on peut effectivement appliquer le même raisonnement, l’approche systémique, aussi bien à l’économie, qu’à la sociologie ou à l’écologie. Alors pourquoi les règles identifiées dans un des systèmes ne s’appliqueraient-elles pas à l’autre ? Ce serait méconnaître une réalité fondamentale de l’histoire des sciences : la production scientifique est socialement déterminée ! Nous ne pouvons interpréter les faits scientifiques observés qu’au sein de la culture dans laquelle nous nous trouvons (Haraway, 1991).

Et en dernière analyse, même un champ scientifique aussi élaboré et complexe que l’écologie n’échappe pas à cette règle d’une récupération fallacieuse par la société de résultats décontextualisés.7 C’est ce que démontre par exemple l’artiste Liliana Motta. Femme et d’origine étrangère pour une artiste pratiquant en France, ce n’est pas un hasard si elle s’est intéressée tout particulièrement à la question des plantes dites invasives. En effet, il était jusqu’à récemment couramment admis en écologie que des plantes allogènes à forte capacité d’adaptation et de reproduction qui se développent rapidement dans un nouvel écosystème sont une invasion intolérable. Il fallait les détruire afin peut être de restaurer l’intégrité de l’écosystème d’origine afin qu’il demeure tel qu’il doit être, tel que la nature l’avait fait avant que l’homme ne le perturbe en introduisant, sciemment ou non, des espèces étrangères.8

Liliana Motta met en évidence, notamment avec le vocabulaire employé, tous les relents de xénophobie et de racisme qui sous-tendent cette analyse réductrice. Lorsque la société tente d’interpréter les résultats scientifiques sans regarder les modèles et les postulats dans lesquels ils ont émergés on ne peut que s’attendre à un désastre intellectuel. Certains vont même jusqu’à quantifier des seuils au-delà desquels une espèce est invasive, et l’appliquer sur les populations humaines. On imagine bien tous les dangers d’une telle approche et ses limites. Il n’est pas éthiquement admissible d’en faire une règle distinguant une situation bonne d’une situation mauvaise avec mesure correctrice à la clé. Ici politique et science retrouvent une frontière nécessaire et dont le dépassement marque le commencement du mal.

À l’inverse, des écologues appréhendent les espèces invasives autrement dans les écosystèmes domestiqués et tout particulièrement en milieu urbain, écosystème créé pour et par l’homme, et c’est ce que Liliana Motta cherche à rendre perceptible. Ainsi les espèces allogènes peuvent être considérées comme de la biodiversité supplémentaire : elles peuvent rendre des fonctions9 et rallier de nouvelles communautés sans détruire ou menacer les espèces préexistantes. De plus, lorsque leur développement pose problème, il traduit un déséquilibre de l’écosystème préexistant, les communautés en place ayant perdu leur capacité de résilience. Que dire des buddleia qui en bonnes plantes pionnières s’accrochent dans les friches de territoire où rien d’autre ne poussait ? Plantes invasives qui prennent la place de nos bonnes vieilles plantes autochtones ou opportunistes qui viennent simplement cautériser les trous béants que nous avons creusés dans le tissu du vivant ? De même, est-ce que le frelon asiatique serait aussi dangereux, si dans le même temps les ruches européennes n’étaient pas si mal en point du fait de nos pollutions diffuses et de nos monocultures qui laminent les écosystèmes ? Le sujet n’est pas aussi simple que le vocabulaire le laisse entendre.

De plus, lorsque leur développement pose problème il traduit systématiquement un déséquilibre de l’écosystème qui préexistait, les communautés en place ayant perdu leur capacité de résilience. Que dire des buddleia ou arbre à papillons, qui en bonnes plantes pionnières s’accrochent dans les friches de territoire où rien d’autre ne poussait ? Plantes invasives qui prennent la place de nos bonnes vieilles plantes autochtones ou opportunistes qui viennent simplement cautériser les trous béants que nous avons creusés dans le tissu du vivant ? De même, est-ce que le frelon asiatique serait aussi dangereux si dans le même temps les ruches européennes n’étaient pas si mal en point du fait de nos pollutions diffuses et de nos monocultures qui laminent les écosystèmes ? Le sujet n’est pas aussi simple que le vocabulaire le laisse entendre.

Ainsi l’artiste peut à la fois dénoncer et incarner les travers de l’écologie appliqués à la société. Les artistes sont à l’image de la diversité des mouvances qui entoure l’écologie, des manipulateurs du vivant aux protecteurs de la biodiversité actuelle. L’artiste est alors un acteur du débat. En cela on peut lui attribuer une fonction politique dans la cité, mais aucunement l’énonciation de vérité factuelle comme le fait la « Science » telle qu’elle est fantasmée.

La modération sociale

Comme tout acteur de la société, c’est par son interaction avec les autres champs sociaux que l’activité des artistes sera régulée, que ce soit par l’obtention de financement, la collaboration des spécialistes ou la nécessaire adhésion du public.

La principale difficulté pour exister en tant qu’artiste traitant de sujets d’écologie avec cette dimension collective est de trouver des financements. Ces artistes ont une pratique en dehors du système de subvention institutionnelle habituelle de la commande publique qui s’attend in fine à disposer d’un objet pour un fond de collection ou pour orner un rond point. Ils sont également exclus du marché de l’art en général, n’ayant à la fin des processus artistiques aucune œuvre à aller vendre dans une galerie. C’est ce qui a été mis en évidence dans l’étude art, écologie et développement durable : un état des lieux international des initiatives, réalisée par COAL en 2011. Ces artistes manquent alors de visibilité et doivent inventer de nouvelles formes de financement, en collaborant avec des acteurs privés, scientifiques ou institutionnels nouveaux, en alternance avec les quelques résidences d’artistes et petites institutions qui s’y dédient. En dehors de quelques grands programmes pluri annuels tels que Cape Farewell par exemple, c’est tout un pan de la création contemporaine émergeante qui ressemble, comme toute avant-garde, plus à une vocation et une conviction personnelle qu’à une pratique académique ou institutionnalisée soutenue par son champ social.

Alors la principale sanction pour ces artistes est l’adhésion du public et des acteurs locaux. A la fois parce que c’est le seul moyen pour trouver des financements, mais aussi parce que leurs propositions n’ont de sens que si les publics se les approprient pour les faire vivre au-delà de l’intervention nécessairement ponctuelle des artistes. Par exemple, le projet de Thierry Boutonnier au Grand Mermoz vit maintenant depuis plusieurs années au point de passer aux yeux des institutions lyonnaises pour un original amusant à un partenaire social exemplaire. Cependant ce ne fut pas le cas de tous ses projets. A Paris son projet sur les renards en 2010 n’a pas eu le même succès. Face à Vulpes vulpes, les autorités locales ont freiné longuement contre la valorisation d’une espèce encore considérée comme « nuisible » par certains… au point que l’œuvre n’existe que virtuellement.

Enfin et surtout, l’artiste seul ne peut pas modifier les choses. Et si le programme de l’artiste impliqué sur l’écologie est en cohérence avec ses convictions, il va au contraire prioritairement rechercher le relais des publics pour démultiplier ses effets. Il suffit de convaincre une seule personne, la bonne, pour que cet effet se produise : un industriel, un politique, un chercheur etc… Pour cela les artistes vont jusqu’à développer une esthétique nouvelle, une esthétique verte (Fel, 2008). Celle-ci se définit non pas par un langage formel et la construction de représentations, mais au contraire par l’expérience directe, par le public, d’actions que ce dernier peut ensuite s’approprier et reproduire dans son quotidien selon son adhésion.

Cette éthique écologique est pragmatique et incite à l’action plutôt qu’à la contemplation. C’est pour cela que les artistes peuvent dérouter et donner l’impression de briser la séparation traditionnelle entre science et politique, entre contemplation et vie de tous les jours.

Conclusion

Cet activisme au sens littéral est hélas motivé par un sentiment d’urgence avéré par les savoirs scientifiques. En effet, les changements sociétaux semblent ne pas aller assez vite comparativement à l’érosion de la biodiversité qui elle s’accélère, ne laissant plus le temps de penser un idéal et à peine celui d’agir. L’échec des politiques internationales que ce soit à Copenhague, ou à Rio+20 renforce le sentiment des artistes qu’il faut agir sur le terrain localement auprès des citoyens, des consommateurs. De leur côté, les artistes qui ne sont pas dans l’action sont plus dans un travail de deuil qui, malgré son esthétisme, est démobilisant. En tenant ce discours sur la biodiversité, c’est tout l’avenir de l’humanité, que mettent en évidence les artistes. Il en est ainsi du projet Halfway to Heaven de Zhao Renhui. Ce projet dans les montagnes du Colorado (Amérique du Nord), s’intéresse au papillon Uncompahgre Fritillary (Boloria acrocnema), une espèce considérée comme endémique, qui sera bientôt éteinte. Il  y  a longtemps, son habitat originel était situé dans les plaines gelées de l’Arctique. Puis l’espèce a migré sur des milliers de kilomètres pour se poser dans le Colorado, dont le territoire est situé à plus de 1 000 mètres d’altitude. L’augmentation des températures due au changement climatique a peu à peu poussé les papillons à monter en altitude pour se maintenir à une température adaptée à leur survie. Aujourd’hui, ils ont presque atteint les plus hauts sommets du Colorado. Leur ascension touche à sa fin et elle provoquera bientôt leur perte. À l’heure actuelle, en 2013, il ne leur reste plus que 600 mètres avant le sommet.

Cet article de Loïc Fel et Joanne Clavel a également été publié dans le « regard » n° 53 de la plateforme de la SFE (Société Française d’Écologie): sfecologie.org/regards/2014/01/24/r53-loic-fel-et-joanne-clavel/

Bibliographie

Austin J. Langshaw, 1962, Quand dire c’est faire, (How to do Things with Words).

COALition pour l’art et le développement durable, voir projetcoal.fr

Fel L., 2008, L’esthétique Verte de la représentation à la présentation de la nature. Thèse de doctorat de philosophie, sous la direction de Pascal Acot, Paris 1 Sorbonne. Paru aux éditions Champ Vallon, Seyssel, 2009.

Guinier, Ph., 1950, Foresterie et protection de la nature : l’exemple de Fontainebleau,  In revue forestière française p. 703-716.

Haraway, D., 2008, Des singes, des cyborgs et des femmes. Réinvention de la nature, Chabon. (Simians, cyborgs and women : the réinvention of nature 1991), Paris.

Terrasson, F., 1988, La peur de la nature, Sang de la Terre, Paris.

Terrasson, F., 1994, La civilisation anti-nature, Rocher, Paris.

Citer cet article

Joanne Clavel, « Regard sur ces artistes bio contemporains », [Plastik] : Art et biodiversité : Un art durable ? #04 [en ligne], mis en ligne le 15 février 2014, consulté le 19 mars 2024. URL : https://plastik.univ-paris1.fr/2014/02/15/regard-sur-ces-artistes-bio-contemporains/ ISSN 2101-0323

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