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Table des matières

Résumé

Le projet du GR 20131 ne propose ni un regard nostalgique ni un circuit touristique mais plutôt un dispositif où se partagent des trames narratives, des strates qui constituent le territoire, des connaissances sensibles et scientifiques. Il évoque le patrimoine universel et industriel, mémoire d’un futur incertain et il fait la part belle aux nouveaux usages écologiques, participatifs et artistiques. Ce GR a également été l’endroit privilégié d’élaboration d’une pensée et d’une culture commune pour la randonnée et de la métropole, enrichie par la diversité des pratiques d’artistes, plasticiens, chorégraphes, dessinateurs ou photographes.

Il est donc ici question de voir dans quelle mesure cette proposition initie une nouvelle échelle spatiale de représentation des territoires et une nouvelle méthodologie pour les appréhender.  Nous verrons aussi selon quelles modalités le projet est transmis aux publics ? Quels sont les liens entre les problématiques environnementales et la création artistique et comment sont-ils envisagés du point de vue de la portée réelle et symbolique des pratiques, entre mise en forme du discours écologique, imaginaire et engagement sociétal. Avec cette proposition, peut-on parler d’éco-gestes de l’art ?

Sortir des sentiers battus avec le Topoguide du GR2013, Marseille

Aiguisée par les propositions artistiques innovantes dans l’espace public, mon travail de commissaire d’exposition m’a permis d’observer comment, au croisement de plusieurs disciplines, des artistes contemporains se sont associés, pour valoriser leur lieu de vie et de travail. Onze artistes ont proposé à travers la marche d’autres représentations du territoire métropolitain que celles  offertes par des outils classiques de la cartographie. Ces artistes ne l’ont pas fait dans les chemins habituels du monde artistique, mais en innovant et en infiltrant le paysage et ses usages, à l’intersection d’une pratique populaire – la randonnée – en introduisant entre ville et nature le tracé particulier du GR2013, dans le cadre de l’événement majeur de Marseille capitale culturelle.

[Figure 1]

Le projet du GR 2013 ne propose ni un regard nostalgique ni un circuit touristique mais plutôt un dispositif où se partagent des trames narratives, des strates qui constituent le territoire, des connaissances sensibles et scientifiques. Il évoque le patrimoine universel et industriel, mémoire d’un futur incertain et il fait la part belle aux nouveaux usages écologiques, participatifs et artistiques. Ce GR a également été l’endroit privilégié d’élaboration d’une pensée et d’une culture commune pour la randonnée et de la métropole, enrichie par la diversité des pratiques d’artistes, plasticiens, chorégraphes, dessinateurs ou photographes.

Il est donc ici question de voir dans quelle mesure cette proposition initie une nouvelle échelle spatiale de représentation des territoires et une nouvelle méthodologie pour les appréhender.  Nous verrons aussi selon quelles modalités le projet est transmis aux publics ? Quels sont les liens entre les problématiques environnementales et la création artistique et comment sont-ils envisagés du point de vue de la portée réelle et symbolique des pratiques, entre mise en forme du discours écologique, imaginaire et engagement sociétal.

[Figure 2]

Avec cette proposition, peut-on parler d’éco-gestes de l’art ?

Qui n’a pas eu le désir d’emprunter un chemin inconnu, de se laisser conduire sur des chemins balisés, suivre des instructions via un topoguide papier ou sonore ? A partir de ces souhaits partagés et dans la filiation de la randonnée qui a débuté au tournant du XIX siècle à Marseille2 des artistes marcheurs ont souhaité introduire une autre relation au territoire autour de la requalification de lieux et de parcs remarquables.3 Dans cette continuité interrogée, ces artistes marcheurs sous la houlette de l’auteur-éditeur Baptiste Lanaspeze ont associé leurs compétences au bénéfice d’un projet d’intérêt général. Ils ont ainsi travaillé à l’homologation de ce GR édité dans un Topoguide.4

[Figure 3]

Ce travail s’est réalisé avec les personnes qui vivent et travaillent pratiquement tous à Marseille : Christine Breton, conservateur du patrimoine, qui a initié depuis les années 90 un programme innovant de « patrimoine intégré » avec les habitants des quartiers Nord, et ouvert la voie à la pratique de la promenade urbaine à Marseille. Laurent Malone, photographe, est membre du collectif Stalker, il documente les mutations urbaines à partir de parcours libres et d’errances favorables aux rencontres. Hendrik Sturm, artiste promeneur, originaire de Düsseldorf, a étudié la neurobiologie et les Beaux-Arts. Il enseigne à l’école des Beaux-Arts de Toulon. Nicolas Memain, urbaniste refoulé, expert en architecture du 20ème siècle, est devenu guide-arpenteur de la ville contemporaine. Il tente de devenir un érudit provençal à travers une intense activité métropolitaine. Dalila Ladjal et Stéphane Brisset, du collectif SAFI, plasticiens, ont été très influencés dans leur pratique par la richesse d’interactions qui existent à Marseille entre le végétal et le bâti.

[Figure 4]

Mathias Poisson plasticien et performeur poursuit ses recherches qui s’articulent autour des pratiques de promenades urbaines. Auteur d’un guide touristique expérimental, dessinateur de cartes sensibles, il propose des déambulations sensibles dans des lieux singuliers où l’expérience du visiteur est au centre de la recherche. Julie de Muer, productrice indépendante, accompagne aujourd’hui plusieurs artistes qui s’intéressent à la question du territoire, du paysage, des promenades urbaines en co-développant également des promenades sonores, à écouter dans l’espace public. Geoffroy Mathieu, photographe, travaille sur le paysage qui oscille entre l’espace urbain et le milieu rural et veut documenter avec poésie les relations entre l’espace physique et l’intervention humaine. Pour le GR®2013, il a conçu avec Bertrand Stofleth un Observatoire photographique du paysage (OPP) sur mesure. Denis Moreau, au départ architecte, se déclare selon les cas géographe, urbaniste, écrivain, photographe, aventurier, expert ou simplement promeneur. Dans banlieuedeparis.org, il propose depuis 1995 un chantier sur sa perception de l’ensemble du grand Paris en construction à partir d’une exploration intensive de la métropole. Il est  l’un des membres fondateurs avec le photographe Christophe Galatry du collectif d’artistes « Par ce passage, infranchi » en 2005 (passage-infranchi.org/asso) à la suite d’un premier projet au Frioul à Marseille (avec entre autre la photographe Catherine Poncin). En 2009 ils s’intéressent aux territoires couvrant le Golfe de Fos et l’Ouest Berre. Dans leur projet intitulé ‘Sauf…(territoires) autour du GR®2013’ en co-production avec Marseille-Provence 2013, Denis Moreau contribue en tant que délégué de l’association à l’exploration du tracé de ce GR (2012).

[Figure 5]

Il est donc ici question de voir dans quelle mesure cette proposition initie une nouvelle échelle spatiale de représentation des territoires et une nouvelle méthodologie pour les appréhender.

S’il fallait parler méthode, nous la trouverions dans le pragmatisme qu’il a fallu mobiliser pour réunir 38 communes traversées par le GR®,  le Conseil général et les collectivités territoriales, la Fédération Française de Randonnée Pédestre, les Comités départemental et régional de randonnée et des Bouches-du-Rhône, à l’occasion de la Capitale européenne de la culture. C’est sur un territoire hétérogène, tant dans ses conceptions que dans ses pratiques de la randonnée, que la concertation a été menée. Pour cela, il a fallu travailler en bonne intelligence, tolérance, réunir imagination et esprit de synthèse pour concevoir autour de l’étang de Berre et du massif de l’Etoile la forme générique du signe infini proposée par Nicolas Mémain.

[Figure 6]

Dès 2010, le projet a obtenu l’homologation du GR auprès de la Fédération des Sentiers de grandes randonnées,  grâce à son directeur Jean-Michel Humeau, qui a très vite compris les nouvelles modalités de représentation que ce GR offre. A cette échelle de 365 km de voyage à pied entre ville et nature, le GR®2013 est un sentier métropolitain qui révèle le territoire de Marseille-Provence sous un nouveau jour. Ce projet culturel et participatif propose une nouvelle expérience de la randonnée pédestre entre la ville et la nature. Il met en place un savoir faire partagé par des acteurs qui proposent d’autres façons de bénéficier de l’environnement proche tout en respectant la biodiversité. Ce projet tranche par sa taille et par la dimension des associations d’humains et de non-humains qui se croisent par ces chemins.

[Figure 7]

Quel est l’impact de ce projet sur les populations et selon quelles modalités ce projet est-il transmis aux publics ? Lorsqu’un territoire est entièrement morcelé, tant par ses activités que par les usages, comment réunir les habitants, faire connaître et représenter des espaces hétérogènes entre ville et nature ? Comment envisager de se rendre dans des territoires complexes voire parfois hostiles ? Comment déplacer les a priori et renverser notre rapport au territoire à l’échelle de la marche ?

Toutes ces questions sont bien celles auxquelles les 11 artistes marcheurs se sont attelés, chacun à sa façon en abordant des propositions concrètes pour les transmettre aux publics, non seulement au travers du plaisir de la randonnée, mais aussi dans son hybridation avec diverses pratiques artistiques.

Les transmissions se font à plusieurs niveaux, par le Topoguide,5 par l’adoption d’un paysage, la diffusion du carnet « Comment se perdre sur un GR », l’organisation de promenades sonores téléchargeables ou à proposer, le partage de savoir autour de la faune et de la flore, autour d’une compréhension du paysage autrement, par la connaissance tant du patrimoine industriel qu’autour d’un pique niques d’herbes récoltées en chemin.

[Figure 8]

Geoffroy Mathieu s’est vu confier, dans le cadre de la commande de l’Observatoire du Paysage l’accès aux archives du GR avant qu’il ne soit ouvert. Avec Bertrand Stofleth ils ont mis en place un protocole (avec le Ministère, commande du CNAP 2013) qui envoie sur le territoire un photographe/artiste pour dessiner le portrait de ces paysages, entre art et science, objectivité et subjectivité de l’image. Pour cela ils ont mis en place un système de 100 points de vue, autant de partis pris de représentations iconiques du GR aujourd’hui que de mesures d’évaluation de son devenir à une autre échelle du temps, dans 10 ans. Ils ont également associé à leur  réflexion un comité de pilotage constitué d’artistes et de paysagistes. En vue de constituer les modalités de transmissions, ils ont proposé à d’autres photographes d’adopter une part du paysage, avec 70 reconducteurs de ces paysages selon un appel à projet via Internet, consultables sur le site du GR.6

Mathias Poisson et Virginie se sont employés à inventer des outils basiques pour envisager d’autres modalités et d’autres relations au paysage du point de vue de la trace et de la mémoire des lieux. Pour cela, ils ont inventé une agence de tourisme expérimentale, un guide de ballade qui s’intitule « Comment se perdre sur un GR » proposant des rôles à jouer dans une expérience collective. Ce petit ouvrage7 est un délice de dessins et d’expériences à réaliser de façon personnelle et collective.

[Figure 9]

Julie de Muer propose des promenades sonores8 en collaboration avec Radio Grenouille, en se demandant ce que peut être, dans le cadre de Marseille 2013, un médium comme celui-ci,  faisant lien avec les citoyens. Pour cela, elle a invité des musiciens et amateurs à créer des compositions sonores à écouter en marchant. Cette expérience corporelle a été déclinée par 30 auteurs.

[Figure 10]

De la même façon, Denis Moreau s’est impliqué par la création de promenades au sein du programme ‘Sauf…(territoires) autour du GR®2013’. Avec Christophe Galatry, ils ont proposé aussi cinq résidences d’artistes à Martigues, Port-de-Bouc, et Istres en relation avec la programmation du GR®2013 (passage-infranchi.org/residences).

Le GR®2013, sentier de randonnée métropolitain est aussi à découvrir à travers différentes expériences culinaires avec des « Pique-niques point de vue » organisés dans 6 villes traversées par le GR®2013. Les pique-niques invitent les herbes sauvages à notre table. Constitués d’ingrédients du territoire traversé par le GR®2013, ils questionnent et envisagent la dialectique ville/nature en faisant lien et racontent la nature riche et contrastée du paysage provençal. Les pique-niques sont accompagnés d’expériences, d’observation et de découvertes gustatives des plantes sauvages mais aussi du comptoir des paysages : un cabinet d’exposition des saveurs du GR®2013. Ces pique-niques sont issus de la résidence  de création « Paysages gustatifs », une invitation du collectif SAFI à des chefs cuisiniers, à parcourir certains segments du GR®2013 pour un temps de rencontres et de cueillettes qui facilitent la découverte du sentier par tous les sens.

[Figure 11]

En plus du site Internet de MP13, une exposition : « Le Palais et Le Sentier » du 12 mars au 12 mai 2013, ouverte à tous, gratuitement, s’est tenue durant deux mois au Palais de la Bourse. Cette échappée du sentier a été proposée aux arpenteurs du GR®2013 en suivant la signalétique rouge et jaune des associations du Comité Départemental de Randonnée Pédestre des Bouches-du-Rhône au niveau du Vieux-Port de Marseille. Le public accédait ainsi au premier étage du Palais de la Bourse investi par une dizaine d’interventions artistiques réalisées autour du GR®2013. Dans son salon d’honneur, Mathias Poisson et l’agence Touriste, Bryan Connell, Rémy Rivoire, Frank Gérard, le collectif SAFI et Philippe Piron montraient leurs points de vue sur le GR® : photographies, installations, cartographie, ouvrages et senteurs. Christine Breton – Hôtel du Nord et Cie, Hendrik Sturm et Baptiste Lanaspeze proposaient aux visiteurs des balades dans une coursive enrichie de documents. Geoffroy Mathieu et Bertrand Stofleth exposaient dans le Salon Provence, les premières étapes d’un observatoire photographique du paysage du GR®2013. Laurent Malone projetait un peu plus loin, Silence, des portraits de Roms. Julie de Muer et Radio Grenouille proposaient deux balades sonores permettant aux visiteurs munis d’un lecteur MP3 de parcourir le Palais et de s’allonger dans le salon des Élus.

[Figure 12]

Sur le papier, MP2013 s’est engagé dans une démarche éco-responsable et on comprend rapidement à la visite des projets réalisés dans l’espace public de cette année exceptionnelle qu’effectivement, le GR2013 est un des rares projets à participer concrètement à l’amélioration de l’attractivité et à la visibilité du territoire et à inciter les partenaires à s’engager dans une démarche écologique et citoyenne. Afin d’être en cohérence avec les démarches éco-responsables des partenaires publics et privés et de réduire les facteurs de dégradation du cadre de vie  de la capitale, ce GR sensibilise les visiteurs aux enjeux environnementaux par des actions concrètes sur les grands projets en production directe notamment, en mobilisant les structures du territoire pour pérenniser les démarches de protection du patrimoine naturel. Le projet de sensibilisation à la biodiversité via le GR®2013, conjugue ainsi messages écologiques et partage d’expériences sensibles dans une diversité d’approches participatives et collaboratives.

[Figure 13]

En conclusion, ce GR2013 offre la possibilité de décaler le regard qu’on porte sur les paysages, de créer du lien et une succession de combinaisons d’approches différentes qui introduit à une nouvelle voie, celle de la découverte de paysages entre Nature et Ville dans le cadre de Marseille Capitale Culturelle.

À travers campagne et lotissements, cabanons et garrigue, réserves naturelles et autoroutes, ce sentier métropolitain de randonnée pédestre chemine et révèle les poches de poésie de notre monde périurbain. Entre ville et nature, la figure du chevelu chère à Bruno Latour se construit en fonction de l’intérêt que le projet construit par ses usagers de cette nouvelle infrastructure de transport pédestre qui contribuera au delà de l’année 2013 à renouveler nos déplacements en milieu urbain et périurbain.

Citer cet article

Cécile Bourne-Farrell, « GR2013 », [Plastik] : Art et biodiversité : Un art durable ? #04 [en ligne], mis en ligne le 15 février 2014, consulté le 12 octobre 2024. URL : https://plastik.univ-paris1.fr/2014/02/15/gr2013/ ISSN 2101-0323

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