De la modulation comme principe écologique : Performer sur le motif
Pascale Weber
Nr 09 . 14 septembre 2020
Table des matières
« Il y a un autre monde mais il est dans celui-ci »
« Il y a un autre monde mais il est dans celui-ci », cette citation est attribuée selon Annie Lebrun à Ignaz Paul Vital Troxler, d’autres la créditent au poète irlandais William Butler Yeats, ou bien encore à Paul Éluard. Nombreux sont les artistes et poètes en effet qui pourraient en être les légitimes auteurs car c’est à la recherche de cet autre monde qu’ils auront toute leur existence parcouru la planète. Il y a un autre monde dans celui que nous croyons connaître et c’est un territoire que nous devons protéger. Éthique, écologique, poétique, autre et commun à la fois, nouveau et intemporel, réel et fictif, dans l’urgence et le temps ralenti, tel est ce monde insaisissable que nous partageons et appelons de nos vœux.
Comment l’artiste peut-il penser dans un même élan son engagement artistique et son engagement pour la sauvegarde, la prospérité ou la restauration de l’écologie, des formes de vie, et des ressources de notre planète ? Quel intérêt y a-t-il à assimiler des engagements artistiques à des engagements citoyens ? Comment enfin éviter l’enfermement de l’écologie dans une logique de la régulation, qu’il s’agisse de la préservation et de la gestion des ressources ou bien de l’organisation des relations Humains/Nature ?
Ces questions invitent à réfléchir à la complexe relation entre l’art et l’écologie, complexe déjà parce que tel est le terme écologie. Utilisé pour la première fois en 1866 par le naturaliste Ernst Haeckel dans Generelle Morphologie der Organismen, ce terme renvoie alors à une science, avant de recouvrir plus tard une notion, un mode d’existence et d’organisation —l’écologie de la perception par exemple—, de se référer à une action en faveur de la sauvegarde de la nature, puis de désigner un mouvement politique… Un rapide historique nous permet de saisir combien les dispositifs mis en place par les artistes ont accompagné (et ils ont été largement sollicités pour cela) le changement ou la révision des mentalités qui se sont opérés depuis les années 60 quant à notre rapport à la consommation, à la marchandisation du monde, à notre empreinte sur l’environnement. Ces questions nous invitent également à réfléchir à la nécessité de développer des comportements et des pensées éthiques.
Mais quelles sont les compétences avérées de l’art qui seraient utiles au combat écologique ? Et pourquoi les artistes attendent-ils d’autres disciplines, comme la science, la philosophie ou l’éthique, de penser, d’avaliser, de justifier leur activité ? L’art écologique résulte d’une double prise de conscience, celle d’une crise de l’art et celle de la crise écologique. Il procède également d’un double engagement qui tend d’une part à délaisser une pratique de l’art pour définir une nouvelle forme de création et vise d’autre part à respecter et défendre les interrelations présentes dans notre environnement, les écosystèmes dans lesquels les artistes opèrent. Comment, donc, redéfinir une pratique artistique en temps de crise qui soit en résonance, en dialogue, avec un engagement écologique, sans réduire son action à une forme de vulgarisation servant de communication à une action inventive et créative qui se serait déplacée hors de l’art ? Comment l’art, dont une des qualités essentielles dans la tradition occidentale est de rendre visible un « underworld », un monde qui nous échappe, peut-il servir l’écologie ?
Le principe de modulation et d’ajustement harmonieux du mouvement peut nous aider à penser différemment la nature et autrement l’intervention de l’artiste dans la nature : « On n’écoute pas une mélodie pour distinguer les notes les unes des autres, mais pour saisir comment la première note contient la dernière. C’est comme cela que la mélodie nous porte, lorsque nous sommes pris par son mouvement. » dit Alain Milon[1]. Ce principe d’arrangements rythmiques, harmoniques, entre des corps, qui ne sont pas simplement au centre de la nature, ni au milieu, ni au cœur, mais qui sont des entités mouvantes en accord, en résonance avec la nature, est au fondement d’une pratique performative « sur le motif ». La modulation vaut pour chacun des corps d’un duo d’artistes, comme pour chacun de ceux qui participent, en l’inventant, à une performance collective.
Prises de conscience et ajustements
L’Art écologique serait conventionnellement apparu dans les années 60 avec des artistes comme Joseph Beuys, Agnès Dénes, Hans Haacke, Betty Beaumont… dont le retentissement des œuvres s’élargira quelques années plus tard. Des expositions comme Art écologique qui eut lieu en 1969 à la galerie John Gibson à New York, regroupant alors essentiellement des artistes du Land-Art, seront suivies en 1992 par Fragile Ecologies, organisée par Barbara Matilsky au Queens Museum.
Si la distinction entre art écologique et art environnemental ne semble pas toujours très flagrante à leur apparition, elle s’affirmera progressivement accompagnant l’éveil de la conscience de nos sociétés à l’ampleur de la crise écologique en cours. L’art écologique se dissociera alors nettement de l’art environnemental, qui indique une conduite ou une œuvre artistiques in-situ, déterminées d’abord par la relation que l’artiste entretient avec le contexte immédiat (dans le temps comme dans l’espace), utilisant les ressources et les matériaux trouvés sur place et afin de mettre en évidence, de perturber et de revisiter la perception que nous avons de cet environnement. L’œuvre environnementale en tant qu’objet de création reste liée au contexte dont elle est issue et doit ainsi échapper au système marchand. Toutefois si, à l’exemple du travail de Christo et Jeanne-Claude, l’objet d’art n’est pas davantage commercialisable que ne le serait une performance (d’ailleurs l’enveloppement du paysage pourrait relever de l’action performative), il existe une production déclinée (dessins, photographies, films, maquettes…) qui intègre tout à fait traditionnellement le circuit économique. Outre la reconnaissance de l’artiste comme de son travail, ces réalisations permettent de récolter les fonds nécessaires aux projets in-situ. Or l’œuvre de « Little Bay » (1969) réalisée par le couple d’artistes en Australie a reçu de vives critiques de la part des écologistes locaux, montrant que l’art environnemental n’était pas nécessairement écologique. En effet, si le contexte dans lequel se déploie l’œuvre peut être naturel, « sauvage » ou citadin et dénoncer les causes et les effets de la crise écologique, il peut tout autant être social, politique, économique, historique et tenter d’agir sur la conscience sociale, économique… L’art environnemental entend alors créer son propre environnement, un espace de dialogue, dans lequel se chevauchent et se confrontent parfois des questionnements éthique et esthétique, sans lien spécifique avec la question écologique, telle que nous l’entendons aujourd’hui.
Les œuvres d’art écologique (Eco-Art ou EcoART, terme utilisé par l’artiste Beth Carruthers en 2006) actuelles sont variées, elles peuvent être politiques et inciter à l’action, à mobiliser le public, on parle d’Ecovention (contraction des mots écologie et intervention) du nom de l’exposition Ecovention: Current Art to Transform Ecologies organisée à Cincinatti en 2002 par Sue Spaid et Amy Lipton. Cette forme d’art écologique est transdisciplinaire et regroupe artistes, scientifiques, philosophes, politiques, militants … au sein d’interventions sociales engagées et de projets collaboratifs de restauration de systèmes écologiques fonctionnels, avec possiblement des visées pédagogiques d’éducation à l’environnement. L’Eco-Art ainsi nommé ne relève donc paradoxalement pas davantage de l’art que de la science ou de l’action militante. Le phénomène est d’autant plus remarquable que l’Eco-Art tient à se distinguer de l’art environnemental et d’une histoire de l’art du paysage et qu’il récuse toute transcendance d’un rapport sensible à l’espace, au monde naturel, au végétal, à l’animal, à l’Attachement[2] que l’on peut avoir au territoire.
D’autres artistes pourtant, inscrits dans une longue tradition qui les relie à la peinture sur le motif, et dont on pourrait légitimement penser qu’ils relèvent eux-aussi de l’Art écologique, se sont également emparés des problèmes de pollution et de réchauffement climatique, de la fonte des glaciers et de la montée des eaux, de l’effondrement de la biodiversité et de la mise en danger culturelle et physique de peuples isolés, aux pratiques animistes et victimes, sans en être responsables, des catastrophes environnementales. Cette autre tendance donc de l’Art écologique tient à exprimer la « Beauté » de la nature[3], de façon certes moins programmatique, politique, pédagogique et organisée, que poétique ; car elle cherche à sublimer le rapport sensible que l’on peut avoir à toutes formes de vie par des mises en scènes et des dispositifs très simples qui aident à réapprendre la nature et à amplifier le spectre de nos émotions par l’affirmation d’un attachement à l’environnement.
Ainsi, derrière les définitions, les dé-définitions pour reprendre le terme d’Harold Rosenberg, les appellations, les néologismes, les mouvements et les écoles se jouent un combat idéologique et une réactualisation des luttes de pouvoirs et d’expertise, au lieu souvent de laisser l’artiste repenser son esthétique en termes esthétiques, de l’accompagner et de participer d’un dialogue constructif. C’est que la question du rapport de l’art à l’éthique mérite d’être posée de deux façons différentes, du point de vue de l’art, et du point de vue de l’éthique. Dans le premier cas, comme le rappelle Dominique Château, l’art « comporte des présuppositions éthiques et idéologiques spécifiques », dans le second, l’éthique « déplace les présuppositions dans un domaine d’évaluation non nécessairement étalonné à l’aune d’une idéologie artistique spécifique »[4].
Avec la précipitation des effets de notre mode de vie sur l’environnement, la conscience écologique a profondément —et heureusement— évolué depuis les années 60. Pour marquer un changement radical de perception quant aux enjeux de la pratique artistique dans la défense de l’environnement de notre planète, il est naturellement apparu à certains théoriciens qu’ils devaient redéfinir les termes qui encadrent les pratiques de l’art… Dans Arts of the Environment[5], publié en 1972, Gyorgy Kepes soulève la question de l’art à l’épreuve de la conscience écologique : contrairement à l’art environnemental, l’art écologique se fonderait désormais avant tout sur des principes éthiques. L’historienne de l’art Barbara Matilsky reprendra à son compte cette distinction. Sans doute s’agit-il là de reléguer l’art environnemental et un certain nombre d’œuvres que l’on considère désormais comme inappropriées à la cause environnementale, je parle d’œuvres monumentales, destructrices, mégalomanes et étrangères aux questions de respect, de restauration, de dynamisation du milieu. De là à assujettir toute pratique de l’art exercé dans la nature à la cooptation ou la collaboration de spécialistes extérieurs au champ de l’art, il n’y a eu semble-t-il qu’un pas, pourquoi ?
« Tout se passe comme si on avait abandonné l’idée que l’art est absolument distinctif, mais conservé l’exigence d’accorder à cet art qui doute de lui-même le privilège éthique attaché à l’idéologie de sa spécificité (ou, si l’on veut, de son autonomie) »[6] semble répondre Dominique Chateau.
En réalité, cet art écologique qui revendique un engagement social s’est développé au moment où le monde politique défendait jusqu’à l’user le concept d’un art qui doit opérer sur la fracture sociale. Que l’on affirme que l’art est désormais une pratique capable d’agir pour soulager des difficultés de la vie, pour constituer une thérapie à l’échelle de l’individu ou de la communauté, pour participer d’un consensus culturel local ou national, pour une justice sociale, ou pour participer d’une restauration écologique est une des multiples façons de penser la création. Denis Dutton pense la création comme instinct artistique[7], on peut tout autant considérer l’exercice de création comme une réflexion méditative assidue à laquelle n’est pas étrangère la pratique zen qui guide vers l’état de nature et qui a notamment influencé les expressionnistes abstraits américains,… il est possible de prêter toutes sortes de rôles à l’art. Ces rôles sont d’ailleurs, selon moi, davantage des motivations ou des directions qui permettent à l’artiste de « construire » son éthique et sa mythologie personnelles. Il n’y a rien de vraiment nouveau, l’artiste a toujours été doublement engagé, par son adhésion à un statut particulier qui lui permet d’affirmer dans son œuvre ce qu’il ressent comme éthique, en tant que personne soumise aux règles de la collectivité, historique ou contemporaine, et consciente que son rôle est d’éprouver ce qui est censé relever du bien ou du beau.
Ce qui est contestable dans la redéfinition opérée par l’art écologique tient à l’appropriation de ce dernier, d’une éthique de justice sociale, d’une qualité de compassion et de respect de l’environnement social et naturel, et à l’exclusion par cette « École » ou cette discipline émergente, des autres formes de création des préoccupations qu’elle considère désormais comme siennes. Ce qui est contestable, c’est une fois encore le refus d’une diversité de points de vue, d’actions, de relations à la nature, au nom d’une efficacité et d’une connaissance utile dont seraient garants quelques experts. Il ne serait pas inintéressant de se demander pourquoi une plateforme comme celle du Think-tank EcoArt ne s’est pas appelée Eco-initiatives ou EcoAction, mais qu’au contraire le choix a été fait de mettre en exergue l’art tout en affirmant la volonté d’impliquer dans ses activités « un réseau dynamique de professionnels du monde de la communication, de l’art contemporain ainsi que des groupes et des personnes du domaine émergent de l’économie verte », se destinant « à inspirer, à encourager et à impliquer les individus, les institutions et les sociétés dans la préservation de la planète. » Rien, dans ce programme ne fait référence à l’art occidental, tel qu’il s’est constitué depuis la Renaissance[8].
Qu’elles soient interventionnistes ou méditatives toutefois ces œuvres, qualifiées par les uns ou les autres comme « écologiques », ont en commun d’être obsédées par une prise de conscience qui met l’artiste face à une double crise : celle de l’art et de la redéfinition de l’objet d’art, de l’action artistique, du statut, du rôle et de la place de l’artiste dans la société ; celle de l’environnement, des écosystèmes, de la diversité des espèces, de l’incapacité de la majorité des politiques à prendre la mesure du changement climatique en cours et de ses conséquences sur la biosphère, du rôle, de la responsabilité et des devoirs de l’humain à l’égard du monde vivant, pour les générations présentes et à venir. On peut probablement relever un autre clivage au sein de l’art écologique, qui porte sur la valeur et la marchandisation de l’action artistique ; pour un grand nombre d’acteurs sur le terrain, la prise de conscience d’une double crise de l’art et de l’environnement ne peut pleinement servir la cause écologique qu’à condition d’être profondément éthique, c’est-à-dire non-opportuniste. L’engagement écologique ne peut avoir pour finalité la glorification de l’art, du marché ou de l’artiste. Faire de la crise de l’environnement un sujet de promotion (individuelle, marchande, politique, disciplinaire…) serait doublement cynique.
Crise de l’art + crise écologique = art écologique
Depuis plus de 5 siècles, l’art se revendique comme étant de la pensée construite selon des dispositifs qui lui sont propres et qui échappent pour partie à la parole et à l’écriture, tout en appelant d’autres formes de connaissances, qui elles-mêmes, se soustraient parfois au discours. De sorte qu’il est plus aisé de commenter l’histoire, la philosophie et la théorie de l’art que le travail de l’art à proprement parler et qu’une œuvre a d’autant plus de chance de faire parler d’elle qu’elle peut servir à illustrer une pensée, en lien ou non —peu importe — avec celle dont elle est à la fois l’émanation et l’aboutissement.
Comme tous ceux qui en ont la disponibilité et l’énergie, l’artiste pense au monde dans lequel il vit, à la nature, à la situation politique, écologique, à son engagement dans la communauté, il pense aux limites du corps et du désir, à la mort et au deuil… C’est une chose normale, mais en réalité peu de critiques ou d’historiens comprennent ou se soucient de la façon dont pense un artiste (la façon qu’il a de produire de la pensée), l’imaginant probablement enfermé en lui-même, narcissique et aveugle à ses contemporains.
Si l’art écologique a su ,parfois, grâce à des projets transdisciplinaire complexes, soutenus par des laboratoires et des départements universitaires, imposer une figure de l’artiste environnemental érudit, au fait d’une méthodologie scientifique de terrain, connaisseur de la recherche-action-participative, capable d’impliquer et de communiquer sur l’avancée et le résultat du projet, d’intégrer les feed-back de la communauté… on ne demande généralement pas à l’artiste contemporain de penser mais de servir un discours. Celui qu’attend, par exemple, la critique institutionnelle, tout à la fois convenu, pédagogique et dérangeant là où ça ne fait pas mal. Cela permet de justifier sommairement un exercice de l’art dont la finalité échappe au plus grand nombre, et qui suscite moins l’admiration qu’un sentiment de jeu de dupe, cynique et mystificateur au service d’escrocs en tout genre.
En se reliant à la cause environnementale, l’artiste non seulement échappe à la scolie auto-promotionnelle et inconfortable —tout au moins usante— destinée à éveiller ou entretenir l’attention de disciplines critiques et curatrices mais il devient également potentiellement un partenaire utile. Ce cheminement que l’on peut aisément comprendre ne doit pas nous soustraire à une réflexion sur les enjeux de la création lorsque celle-ci décide de servir une éthique environnementale. Car nous avons affaire à deux crises distinctes et de portées différentes, la crise de l’art actuel et la crise environnementale. Faire l’impasse de la première, au titre que l’urgence de la seconde serait indépassable, est un déni de réalité et il me semble que si l’on doit se mettre au service de la cause écologique il ne faut pas que ce soit par refus d’affronter les questions qui se posent à l’exercice de l’art. De façon très pragmatique, il est utile de savoir qui l’on est, ce que l’on sait faire et ce que l’on attend en retour, avant de proposer ses services.
Les questions que pose la rencontre de ces deux crises sont nombreuses.
Tout engagement dans quelque domaine que ce soit, artistique notamment, doit-il aujourd’hui dans le contexte d’un monde politique, économique et environnemental, rejoindre un engagement citoyen ? De quelles ruptures et de quelles transitions, l’artiste est-il le témoin? Quelle posture peut-il adopter face à la rupture ? Son rôle est-il d’assister à la fin d’un monde ou de participer à l’émergence d’un nouveau ? Entre l’esthétique de la réparation ou de multiples figures de contrition, quelles esthétiques proposer ?
[Figure 1]« Voici donc venu le temps où les catastrophes humaines s’ajoutent aux catastrophes naturelles pour abolir tout horizon. Et la première conséquence de ce redoublement catastrophique est que sous prétexte d’en circonscrire les dégâts, réels et symboliques, on s’empêche de regarder au-delà et de voir vers quel gouffre nous avançons de plus en plus sûrement. » [9]
À quoi peut donc servir un artiste dans notre monde en décomposition ? Peut-être par son appartenance à une histoire de l’art contemporain déterminée par de multiples et successifs mouvements d’avant-garde. Avant même de pouvoir se revendiquer d’une expérience environnementale, l’artiste n’a eu de cesse d’interroger sa pratique en continuité et en rupture avec la tradition et l’art officiel, de sorte que la rupture c’est un peu son expertise : par une réactualisation de cette posture en rupture systématique avec la tradition, l’artiste doit-il renoncer à son autonomie et sa licence artistique pour servir l’écologie ? Servir comment ? La crise environnementale nous impose à tous de conduire notre existence et notre pensée avec attention et sollicitude. Il nous faut continuellement faire l’effort de nous recentrer pour réveiller notre implication et préserver notre pensée d’un modèle unique et le cynisme, auquel adhère un art contemporain mercantile, qui neutralise toute advenue contestataire. Le paradoxe est donc le suivant, comment défendre une diversité de pensée si l’on doit la soumettre à la seule éthique environnementale ?
Pourtant, on ne peut affirmer que l’autonomie de cet art contemporain a su protéger la diversité de nos représentations mentales, affectives, sensibles, sociétales et culturelles ; bien au contraire, elle a fini par construire un système clos sur lui-même, existant en soi, pour soi, un art sans rapport avec rien. Dévalorisant Ce qui n’a pas de prix, à savoir les choses qui nous font vivre, ainsi que le dénonce l’essai d’Annie Le Brun sur “le nouvel enlaidissement du monde” et la marchandisation de l’art : “La transmutation de l’art en argent, de l’argent en art : c’est ce qui semble être devenu l’objet d’un certain art contemporain.”[10]
C’est qu’un glissement de sens semble s’être produit depuis l’affirmation de l’art comme Cosa mentale. D’un art qui trouve sa justification en lui-même sans besoin de recourir à la philosophie, à un art qui se dégage de toute humanité. D’un art qui se libère progressivement de l’emprise religieuse pour explorer d’autres formes de la connaissance à un art déconnecté des grands mythes et de toute société. Cet art-là, depuis sa place hégémonique, est porté et célébré par des personnes, qui si puissantes qu’elles soient, n’ont pas de nouveau projet de société, ni projet environnemental, ni projet éthique et seraient davantage enclines à exclure les formes d’art actuelles soucieuses de proposer des alternatives : penser l’écologie et la précarité de l’objet, de l’image, du geste, de l’action, de l’engagement, de la rencontre, du lien, du soin, de l’expérience. Ainsi, il faut pour s’engager dans une voie écologique, que l’artiste ait fait le deuil d’une certaine conception de la création, c’est-à-dire non pas seulement rompre avec l’histoire récente de l’art —ce que firent toutes les générations et tous les mouvements artistiques pour asseoir leur légitimité— mais rompre avec l’histoire de l’art occidental, la fameuse table rase, avec le risque (déjà manifeste) d’une crise identitaire forte : une partie des artistes doivent ainsi réécrire leur histoire, recréer leur famille, réinventer le sens et les modalités de leur action.
Une expression artistique au service de la nature ?
C’est en tant que membre du duo Hantu que je souhaite réfléchir sur le sens, l’humilité et les enjeux d’un art qui nous connecte à la nature en nous la faisant découvrir. Hantu signifie fantôme en indonésien. Ce fut d’abord le titre d’une performance sur la mémoire du corps et sur les fantômes qu’il porte, puis ce fut une classification de 20 actions, gestes et postures —hantu#1 (corps et mémoire), hantu#2 (corps et totem), hantu#3 (peau, contact, échange), hantu#4 (errances et déambulations en forêts), hantu#5 (corps, arbres et plantes), hantu#6 (l’Abondance), hantu#7 (l’esprit de la rivière)…— puis ce fut le nom de notre duo.
Ainsi hantu réalise depuis plus d’une décennie des hantu qui révèlent une force hantu, il ne s’agit pas d’un jeu rhétorique, ce processus de verbalisation montre davantage que notre duo n’existe qu’à travers une déclinaison de différentes actions, qui ont davantage besoin d’être nommées pour être répertoriées que pour marquer l’histoire ou occuper l’actualité artistique, ces actions ne sont elles-mêmes répertoriées que pour mieux nous aider à creuser notre investigation quant aux possibles relations du corps à un environnement, qui l’accueille, qui le traverse et qui anime en lui des énergies, des mémoires et une connaissance qui échappe en partie au monde cérébocentré que l’Occident a progressivement construit, qui manque le corps et ce qui le relie à la nature.
Derrière ce mot donc, hantu, se déploie l’idée que pour nous, l’identité n’est qu’un moment, une conjoncture, une disponibilité, une expérience en devenir. Si notre travail relève de l’art écologique c’est en tant que dispositif de passage, d’attention au lieu, aux formes de vie qu’il abrite, de méditation, en tant que recherche d’un temps ralenti, d’une soif de découverte, de transmission, de partage. Rien à posséder, à revendiquer, à glorifier. Pour moi, rien n’existe en dehors de ces moments photographiques hantu qui se constituent en images tandis que nous cherchons à faire converger deux expériences sensibles irréductibles l’une à l’autre : être présente et rendre présent.
Présence et représentation révèlent deux points de vue inconciliables et l’image, comme moment photographique, cherche à capturer ce désir paradoxal. Cette convergence d’engagements, nous pouvons également la trouver dans « L’Atelier du Peintre » de Courbet, qui montre à la fois l’espace de travail (généralement absent de la composition), l’atelier, le résultat du travail, la peinture, l’expérience du peintre liée à son statut et sa présence démultipliée dans l’œuvre (par son implication dans l’agencement des personnages, par son auto-représentation, par son travail plastique). « L’Atelier du Peintre » montre Courbet, seul, isolé entre ces soutiens intellectuels et ses mécènes à droite, et parmi le peuple les puissants du monde à gauche. Cette allégorie témoigne de la difficulté du peintre à s’inscrire dans une action collective, en tant qu’artiste et ici encore, elle montre que dans la tradition occidentale le rôle de ce dernier réside dans son autonomie vis-à-vis du social. Le titre ne fait pas explicitement référence à Courbet, ce n’est pas non plus « L’Atelier de l’Artiste » (de la figure de l’Artiste), il s’agit simplement de l’atelier du peintre, celui qui a peint la peinture et qui figure au centre du tableau. Aplatissement du geste, de l’expérience et de sa représentation. Il ne reste plus qu’un espace et un corps dans cet espace.
Mais reprenons puisqu’il s’agit de réinventer le sens et les modalités de la pratique artistique, et de concevoir une expression artistique au service de la nature. Si on admet qu’il y a une rupture historique, en quoi cela redéfinit-il le rôle de l’artiste dans la société et dans le collectif ? Et partant de mon expérience, que faire de moi, de mon savoir, de mon incapacité à comprendre le monde autrement qu’en le dessinant, en le photographiant ou en le dansant ? Mon travail de création n’a jamais touché à des convictions mais à des incertitudes, je n’ai jamais cherché —et me sentirai mal à l’aise de devoir le faire —à convaincre. L’art n’est pas affaire de persuasion mais de manque et de perte et c’est en cela que, malgré toutes ses corruptions, l’exercice de l’artiste est essentiel à la défense de la nature, de la biodiversité autant que de la diversité culturelle.
Doit-on pour autant considérer qu’il pourrait y avoir un bon usage de l’art et par l’art, un bon usage la nature, un usage utile, raisonné. L’exercice de l’art pourrait permettre par exemple de développer la relation entre l’être humain et la nature, ou de dépasser les interprétations colonialistes et opprimantes pour que la notion de nature devienne la base de notre culture ? En réalité, ce que je propose avec la performance sur le motif c’est précisément la possibilité d’un refus du bon usage de la nature, un refus du bon autant que du mauvais, en fait c’est le principe d’usage qui me semble contestable. Par sa mise en mouvement indéterminé, ouvert à l’expérience « avec » la nature, « en » nature, l’approche du « performer » ne consiste pas à échantillonner ce qui l’entoure, ni à lister, ni à ordonner, encore moins à hiérarchiser ce qui existe, qui le fait exister à ses yeux, ni à distinguer ou se distinguer de ce qui est présent à lui. La performance n’est pas une démarche de différenciation mais un arrangement, au sens musical du terme dans lequel chaque instrument joue sa partition, sa part complémentaire, en écho à une multitude d’autres voix et propose une nouvelle possibilité de mouvement ; ses silences mettent en relief d’autres sons, ses graves des aigus, ses tonalités basses de hauts sifflements légers ; chaque fois que le corps expulse l’air hors de lui, il remplit l’espace et chaque fois qu’il emplit d’air ses poumons il vide l’espace…
[Figure 2]En quoi consiste-donc la performance sur le motif ? Nous verrons qu’en premier lieu, c’est une activité qui s’exerce en pleine nature, et en second lieu qu’elle peut se déployer et s’inventer collectivement, qu’elle se transmet en se renouvelant.
Il existe deux phases dans l’exercice de la performance en nature. La première concerne la découverte et le développement d’un mouvement égocentré —qui permet notamment de dépasser une vision essentiellement cérébocentriste et une conception mécanique du corps—, la seconde est une phase écologique : j’habite tellement mon corps, qu’il me porte ailleurs. Mon corps est sans limite. Un basculement peut alors s’opérer de l’attention à soi à travers le végétal à l’attention au végétal à travers son propre corps. La nature parle à mon corps qui apprend à développer les qualités nécessaires à l’écouter.
Que signifie de créer sur le motif ? Il s’agit naturellement en premier lieu d’une référence à la tradition picturale en plein air qui se développe à partir du 18e siècle. On oppose généralement cette tradition à celle de l’atelier : représenter ce que l’on voit et qui nous fait face (directement sur la toile ou sur des esquisses préparatoires) ou représenter ce que l’on a conçu d’imagination, de recherches et prélèvements divers.
En extérieur, l’artiste est soumis aux conditions climatiques, à la lumière, à la nuit qui tombe, aux intempéries. On dit des peintres paysagistes qu’ils peignent une nature qui s’étend devant eux comme une scène de spectacle extérieure à leur propre condition. Ils mettent néanmoins leur corps à l’épreuve, déambulant et portant leur matériel, expérimentant une nouvelle amplitude possible de mouvement ou de nouvelles conditions d’immobilité d’un corps qui renonce au confort de l’atelier. En second lieu donc, dire de ses paysages qu’ils sont une représentation d’un espace qui fait face renvoie probablement davantage à l’expérience du spectateur et du critique qu’à l’expérience de déplacement du peintre : le peintre voyageur témoigne à la façon d’un documentariste ou d’un reporter d’un monde auquel le spectateur ne peut pas toujours accéder.
Créer sur le motif traduit alors deux soucis qu’il me semble important de relever : celui de rendre compte d’une nature telle qu’on la découvre, telle qu’elle apparaît, produisant d’infinies et constantes variations ; et celui de témoigner d’une expérience en train de se vivre, le présent de l’expérience, et non pas sa portée historique, politique, une expérience qui ne vaut que par la rencontre impromptue d’un corps, d’un regard, d’une lumière, d’une heure de la journée, de la présence d’un animal,… le hasard d’une composition qui échappe à la seule loi de la mise en forme enseignée à l’Académie. Si le motif reste une réalité construite, elle rompt avec la réalité d’un monde jusqu’alors uniquement représenté comme décor et base phénoménologique à une action imaginaire qui dit quelque chose, qui raconte une histoire. Le peintre sur le motif découvre le monde en le représentant, il apprend davantage à regarder qu’il ne cherche à représenter : il est dans l’expérience, il est davantage présent au lieu qu’au sujet qu’il représente.
Revenant à une pratique plus actuelle, faire des images —photographiques et vidéo— en nature, en considérant la caméra comme un instrument d’improvisation et en improvisant ses propres mouvements, consiste à adopter un point de vue élastique. Cette perspective mobile renonce à une traditionnelle catégorisation du visible (que je n’associe pas nécessairement à l’art), car le monde se crée devant la caméra et permet de faire émerger un nouveau plan de réalité, en résonance avec les pures sensations du corps présent, mais empreints aussi de la connaissance de récits locaux. Car souvent des personnes nous forment à ce lieu, elles nous le font découvrir. Ces personnes peuvent avoir des préoccupations et des pensées divergentes sur un même territoire. Faire des images en nature, c’est être témoin d’approches holiste, scientifique, économique, solidaire, historique, multinationale, globalisée. Faire des images en nature s’inscrit de fait dans la tradition du récit de voyage, un genre qu’il est utile de revisiter si l’on souhaite décoloniser l’histoire, dépasser les représentations coloniales et les visions véhiculées par l’industrie mondialisée du tourisme.
[Figure 3](Performance réalisée avec le soutien du Cérium et du Consulat de France.)
Faire des images dans la jungle ou sur la banquise, dans un espace menacé par l’économie mondialisée, la plantation de palmiers à huile (Archipel Mentawai en Indonésie), ou l’exploitation de ressources (mine d’uranium Aréva à Kangiqsujuaq en Arctique, mine de fer d’ArcelorMittal dans le Labrador), par la pollution locale qui en découle, par les changements climatiques dont la dérégulation économique est largement responsable, est une démarche individuelle et un acte politique. L’artiste n’est pas attendu ni même toujours bien accueilli dans ces lieux, car avant d’être un voyageur il est, qu’il le veuille ou non, un représentant de l’impérialisme Occidental poursuivant l’entreprise exploratoire Européenne des trois derniers siècles. L’artiste-voyageur personnifie la culture d’une région qui actuellement encore organise la richesse, le travail, la loi…, il ne peut faire l’économie d’une réflexion sur l’incapacité de l’Occident (qui ne recouvre pas seulement une région géographique mais une conception idéologique et non-raisonnée d’un monde à la solde du profit) à reconsidérer sa place et sa relation à d’autres formes culturelles. L’artiste est confronté à une éthique locale élaborée dans une région aujourd’hui fédérée avec d’autres régions parce que leurs populations se reconnaissent appartenir à une même histoire, victimes du colonialisme et de la globalisation. La propre éthique de l’artiste est ébranlée par les accusations de spoliation culturelle dont il pourrait être coupable, sans en avoir parfois conscience. Ainsi, c’est par-devers lui qu’il participe probablement d’un réajustement des représentations de son temps en dessinant et en franchissant les frontières de nouveaux espaces culturels : performer dans un territoire consiste à prélever et exploiter des énergies, des sensations, des émotions, une réalité perçue du territoire, une initiation à ce lieu, mais aussi des mots, des images, des instants de vie… Car créer consiste à prélever pour donner, voler pour offrir, saisir pour se dessaisir.
Être artiste, c’est affirmer une discipline, autre terme pour désigner l’éthique du point de vue de l’art. Cette discipline se construit à partir de l’expérience personnelle et de la connaissance de modèles dont chacun peut s’inspirer (c’est-à-dire voler). L’un d’eux m’a intéressé : il s’agit du quakerisme, apparu au milieu du 17e siècle. La Société des quakers prône un mode vie simple et un ensemble de restrictions : « un régime sévère de prescriptions et de proscriptions. Ces listes de choses à faire ou à ne pas faire, qui trouvent leur justification première dans le texte biblique, concernent à peu près tous les aspects de la vie. Elles font savoir clairement ce que l’on peut posséder ou non, quel type d’emploi tenir, comment se comporter face à toutes sortes de biens de consommation. »[11]
La vigilance et les revendications autochtones et communautaires exigeant un droit de regard sur l’utilisation pas les artistes (allochtones mais également autochtones d’ailleurs) d’éléments de leur propre culture fait écho à ce système d’astreintes, comme si seul un régime sévère de restrictions permettait de saisir l’attachement de ses habitant au territoire qui les porte. Plus encore, c’est sur l’acceptation de restrictions que se fonde la communauté et que l’étranger peut être admis. Ayant performé plusieurs semaines au Nunavik, j’ai été amenée comme beaucoup à faire un parallèle entre la dégradation du milieu de vie en Arctique liée au changement climatique et la dégradation de la santé des habitants victimes autant de la pollution, d’une mauvaise alimentation que de la violence de la mondialisation faite à leur culture et leur traditions (coutumes, rythme de vie, sédentarisation, importation de la junk food, alcool, habitat sommaire et surpeuplé…). Il apparaît ainsi avec évidence que la culture et les habitudes de vie sont en lien avec la crise de l’environnement et qu’un système d’acceptation de restrictions est une façon d’organiser localement une régulation des relations population/environnement.
Passer par le pôle pour saisir l’énergie du vivant et questionner l’abondance nourricière peut sembler paradoxal même si des serres apparaissent dans ces régions qui découvrent la culture de fruits et légumes (culture hors-sol), mais c’est précisément parce que la situation environnementale arctique témoigne de façon exacerbée de la crise environnementale planétaire qu’elle nous permet de saisir de façon plus évidente des liens entre notre façon de vivre au quotidien et notre façon de concevoir notre relation à la nature. L’Arctique est la région du monde où le taux de suicide des jeunes est le plus important, qu’on l’impute à des problème de santé (diabète, carences..) ou de perte de sens de l’existence : les changements biologiques inédits que l’être humain expérimente aujourd’hui doivent s’accompagner d’une actualisation de son imaginaire, de son éducation et des représentations collectives, sexuées et aliénantes du corps, de sa santé, de son alimentation, de sa vitalité, autant que de l’environnement[12].
En créant dans des régions du monde fragilisées par la mondialisation, l’artiste me semble pouvoir et devoir défendre la possibilité d’un emprunt artistique (comme on emprunte une expression langagière), dès lors que ce dernier n’entraîne ni avilissement, ni destruction, ni manque pour l’écosystème, le lieu —réel et symbolique— et ses habitants. Pour autant, il doit avoir conscience de la violence de son geste et parfois accepter que des négociations avec la communauté participent de la vie autochtone. La culture de spoliation peut tout à la fois limiter la co-présence et les interactions humaines à des relations marchandes que constituer une tentative de régulation interculturelle lorsqu’on peine à se dégager de l’histoire coloniale.
Par ces crispations concernant la protection de leur culture, les autochtones demandent que le développement raisonné des activités humaines soit un principe absolu appliqué à l’ensemble des productions matérielles et immatérielles humaines. La régulation des activités, des emprunts culturels comme de l’exploitation des ressources minières a introduit avec force la notion de risque qui prévaut à chaque prise de décision. Si la culture du risque peut être anxiogène, elle réveille également pour chacun la conscience de la fragilité du monde, du corps, du vivant, de la précarité des équilibres. Le risque nous invite à rechercher des alliés, à nous associer et à faire œuvre de solidarité. Le risque devient un principe de vie, une philosophie de vie en nous rappelant que la catastrophe fait partie de la nature : la floraison des arbres fruitiers fait partie de la nature au même titre que le développement de super bactéries.
Les images portent les traces de façon plus ou moins explicite des conditions de vie, de la violence dont sont victimes les populations —humaines et non humaines— rencontrées : rennes morts de faim durant l’hiver, difficulté des saumons à remonter la rivière avec l’accélération de la fonte des neiges, populations humaines et animale obligées de fuir à cause d’incendies, destruction culturelle par la pression de la mondialisation… Il y a toutefois un paradoxe de l’image qui rend la réalité irréelle, opérant un passage à la fiction qui ne permet pas finalement, si tant est que cela n’ait jamais été un des enjeux du travail de l’art, de rendre conscient de la réalité tangible des problèmes écologiques. Mais l’image seule ne peut rien sans le corps, il y a nécessité d’impliquer toute la personne. La présence est l’expérience du corps au présent, au point qu’au terme de l’action, on en garde un souvenir essentiellement ancré dans nos perceptions. La narration que l’on peut faire du déroulé de l’action est imprécise, des pans entiers de ce qui s’est passé peuvent disparaître, de sorte que l’autre, celui qui est dans la représentation devient non seulement l’œil qui voit et veille, mais aussi la mémoire de ce qui a été.
Les images hantu, réalisées sans public sont des moments photographiques, il faut entendre moment au sens de la mécanique c’est-à-dire qu’il s’agit de la conjonction entre une force et une distance. Ce ne sont donc pas seulement des traces documentaires de performances, non plus que des tableaux vivants, ces photographies résultent d’une énergie des corps et d’une distance non seulement de l’un à l’autre mais des deux dans le lieu que la performance interprète. Nous nous confrontons régulièrement à des lieux qui nous attirent par leur énergie particulière, comme à la « Caldara»[13] de Manziana près du lac de Bracciano en Italie, qui était consacré par les Étrusques à Manth, le Dieu de l’au-delà et des enfers : la forêt sombre qui encercle la Caldara et la présence de résurgences d’eaux sulfureuses, autrefois considérées comme émanation du monde souterrain sont à n’en pas douter les raisons de cette consécration.
Nous avons séjourné et réalisé des images également dans la Forêt du Puy-de-Dôme, au Labrador Canadien, au Kebun Raya Bogor sur l’île de Java, (Arboretum National d’Indonésie), sur l’île de Vardø (Extrême Nord-Est de la Norvège) où furent exécutées les sorcières pendant l’Inquisition[14] , au Cratère de Pingualuit au Nunavik …
Modulation du corps « sur le motif »
Revenons à ce que signifie performer sur le motif. Comme le peintre décide de quitter l’atelier, le performer peut décider de quitter la scène et comme le peintre se trouve contraint par les conditions de lumière, de climat, le performer s’en remet lui aussi au hasard du temps présent. Mais le motif fait également référence à un dessin qui se répète et que l’on repère davantage que l’on invente. La notion de motif est liée à l’idée d’un modèle et de ses infimes variations, l’usure, l’accident dans la commune répétition du même. Ainsi, ce n’est pas vraiment le motif qui importe mais ce qui rompt la répétition. Chaque fois, de Corot à Monet, à Kirkeby, à Hockney, il s’agit de retranscrire une sensation immédiate : le corps présent, le corps en présence.
Par la pratique de la performance in-situ, je construis et actualise la relation de mon corps à la nature et j’inscris mon action et ma présence dans la nature dans une histoire personnelle et collective élargie, qui cherche à déborder les stéréotypes véhiculés par le tourisme ou les expéditions commerciales ou scientifiques. La relation du corps au lieu doit être envisagée comme une expérience globale et impossible à décomposer. C’est la raison pour laquelle, comme l’a souligné Mark Rothko, l’artiste fait davantage appel à la sensualité qu’à la sensation. C’est un point que j’ai déjà souligné : » la sensualité est une entité indivisible, liée au désir, à la pulsion de vie tandis que ce que nous désignons comme une sensation est en réalité la synthèse de micro-sensations distinctes, énonçantes comme les sciences naturelles énoncent en les décrivant les phénomènes naturels. »[15]
Cet exercice participe-t-il d’un renouvellement durable et inclusif du rapport de notre espèce à la biosphère ? Probablement, dans la mesure où le corps et la nature sont agis par le mouvement de tout ce qui existe pour notre regard, entraînés dans une danse dans laquelle chaque chose, chaque être doit s’ajuster pour ne pas être percuté, tout en infléchissant à son tour la dynamique générale.
Ne pas faire de la nature tout ce qui n’est pas l’homme, dit Alain Milon, mais comment sortir de cette conception binaire pour non plus comprendre l’espace avec un dedans et un dehors mais un plan d’entrelacs et de relations infinies ?
La nature en effet reste toujours globalement perçue comme un espace transformé ou à transformer par l’être humain, que ce soit pour être exploitée, pour sa préservation raisonnée ou pour être sanctuarisée. L’être humain en tant que propriétaire ou gardien transforme, optimise, gère et réorganise la nature afin de la protéger contre lui-même. Comment dépasser cette conception technicisée de la nature ? Sommes-nous incapables d’envisager la nature sans nous l’approprier, en faire un objet d’appropriation ? C’est-à-dire en refusant ce rapport permanent de l’être humain au monde : l’homme appartient au monde et/ou le monde appartient à l’homme. Performer en nature consiste à saisir des mouvements, multiples, contradictoires, simultanés et permanents qui opèrent dans et par le monde : être ici et ailleurs, être présent et en représentation, être porteur d’une culture et refuser l’héritage de cette culture, dénoncer une injustice mais refuser de servir une cause… Performer est une sorte de travail d’autorégulation de la relation de son corps à l’espace dans et par lequel il opère. Et ainsi, si l’on comprend l’écologie comme la science des régulations de la relation humain/nature, il ne pourrait y avoir de performance en nature sans écologie car c’est la nature même de l' »exercice ».
En quoi consiste plus précisément la performance sur le motif ? Méditer, danser, mettre en mouvement son corps —fut-il en apparence immobile—, sa respiration ou ses pensées, dans une respiration en rythme avec ce qui respire avec lui, non pas au sein d’une grande respiration commune mais dans un concert de respirations qui sont autant de variation du mode de la présence. Ce mouvement multiple auquel participe le corps efface les limites de l’être humain et de la nature : le corps est nature et la nature est corps, corps et nature sont des zones de passage et de retournement de la matière, dedans et dehors sont des zones qui se jouxtent et que l’on traverse dans un sens ou dans un autre.
« L’homme est le mi-lieu de la nature, elle-même mi-lieu de l’homme. Le mi-lieu se traduit en fait par le refus d’être au milieu des choses comme une sorte d’échelle de mesure définissant la « juste » proportion que les choses doivent avoir les unes entre elles. Le mi-lieu ne sera jamais le juste milieu des choses. Et dans le contexte de ce milieu singulier homme-nature, il faut accepter l’idée de mouvement permanent, aussi bien celui de l’homme que celui de la nature. Il n’y a pas un point qui serait occupé par l’homme et un autre par la nature. Les deux sont pris dans un mi-lieu commun que la modulation du plan de nature exprime. »[16]
Les performances de l’artiste cubano-américaine Ana Mendieta, filmées dans les années 70 majoritairement dans un environnement naturel, réfléchissent la relation du corps et des quatre éléments, la terre, l’eau, l’air et le feu et témoignent de cette infinie modulation du temps, de l’espace, de la mémoire et des divers niveaux d’implication et d’approche possibles de la nature.
Dans Rivers and Tides, l’Écossais Andy Goldsworthy montre que son travail dans la nature est une façon de se fondre dans un rythme naturel, planétaire et cosmique. Ses constructions et ses fragiles structures sont une manière d’inscription dans un temps qui est celui du corps œuvrant dans et par la nature, un temps étiré, ralenti ou accéléré par le contact de la végétation, l’évidence du passage des saisons, de la fonte de la neige, de la décomposition du bois, des changements de températures et de la lumière tout au long de la journée, un temps présent et changeant.
À l’instar de Timm Ulrichs, qui repose en position fœtale sept heures à l’intérieur d’une pierre prédécoupée et creusée (« Dans une pierre (L’enfant trouvé) », 1978) certains performers vont précisément inscrire leur présence dans une nature communément conçue comme hostile à l’homme et mettre à l’épreuve leur corps et leurs sens, exploitant la dimension proprement performative de leur intervention dans la nature. C’est, du reste, une modalité que notre duo a souvent mis en œuvre lors de performances en rivière, en arctique ou en région équatoriale. Dans ces performances toutefois, ce n’est pas tant l’exploit qui est visé que le dérèglement des sens par une mise en situation extrême ou inconnue.
Le Roumain Peter Alpar crée des installations et des performances évoquant la puissance de la nature, avec « Breathing Stone » (2011) il plante son corps en terre comme un arbre. Performer en nature consiste en effet à expérimenter si l’on peut dire d’autres modalités du vivant : il ne s’agit jamais que d’un jeu, d’un simulacre ou d’une épreuve limitée dans le temps, car le corps est fragile et naturellement contraint par sa physiologie.
Pour finir, on peut citer Elena Cremona et Adam Popli, qui à travers les deux médiums photographie et performance invitent le public à réfléchir sur ses responsabilités envers la Terre Mère et sur ce que signifie faire partie de la nature plutôt que s’opposer à elle. Le duo n’hésite pas à considérer son travail comme une forme de communication et d’éveil à la conscience.
Chacun de ces exemples montre que d’une certaine façon le corps en soi n’existe pas, pas davantage que la nature en soi, mais seul le débordement de l’un dans l’autre qui permet le mouvement de la matière. Dans chacun de ces exemples, la nature n’est pas un sujet en soi, mais la présence du corps à et par l’environnement naturel, semblant affirmer que pour libérer la nature de l’emprise de notre espèce, il faudrait d’abord renoncer à la considérer comme un sujet théorique : « Paradoxalement, la véritable mission de l’écologie serait là : non pas penser raisonnablement l’usage de la nature, mais refuser tout simplement de raisonner sur elle. »[17]
Il ne s’agit évidemment pas de nier la nature ni même de refuser de la considérer, mais pour parler du point de vue de mon propre exercice, il s’agit de penser la relation homme/nature comme un effort continué d’ajustement : se mettre en harmonie et en rythme par le mouvement ou la posture, l’immobilisation et une disponibilité totale. En s’immergeant dans la nature, il s’agit de voir et de sentir autant que de donner à voir et donner du sens à ce que l’on perçoit, c’est-à-dire constituer un espace de récit et d’écoute de l’expérience et de la limite de l’expérience ; jusqu’où sommes-nous aveugles au monde dans lequel nous vivons ?
Performer consiste à accorder le corps —la perception, la présence, la posture, l’action— aux qualités particulières et dynamiques d’un Milieu et d’un l’Environnement (Gibson) et qui n’existent que dans une réciproque activation de mon corps dans et par la nature. L’immersion performative est une condition qui permet d’accéder intuitivement aux soubassements d’une réalité qui émerge d’une autre temporalité et qui se pense en terme d' »énergie vibratoire », de dynamique de « vibrations ». La performance s’oppose alors à une gesticulation qui serait certainement plus spectaculaire : immobile, je performe en cherchant à me couler dans divers champs de forces (le vent, la marée…). D’une certaine façon, il s’agit de s’ouvrir à la différence, en soi, et d’appeler un monde différent, avec ce que cela suppose de rupture, de danger et de violence.
[Figure 4]L’art qui s’exerce en pleine nature permet ainsi à l’artiste de se revendiquer d’une expérience environnementale, sensible et physique, spécifique. L’entreprise artistique s’appuie autant sur un travail d’observation et de disponibilité des sens que sur une expression du corps et de ses émotions. L’œuvre crée et repère des synergies et des convergences, elle établit une écologie de la perception et de l’émotion, elle témoigne d’un pouvoir d’énonciation, de faculté de structuration de la pensée, davantage qu’elle ne cherche à agir directement sur les personnes et leur comportement. La capacité à se déployer dans et par la nature, en pleine conscience que notre corps est agi par son environnement autant qu’il agit sur lui, est une qualité essentielle de l’engagement écologique de la performance en nature. Peut-on considérer que cette qualité soit porteuse d’une expérience de partage et de transmission ?
L’art environnemental : expérience de l’interrelation
La performance en nature construit une phénoménologie de la perception en acte. Elle s’appuie sur la complexité des sens qui co-organisent de façon symbiotique et non-réductionniste notre perception du monde, et qui par un dépassement des dichotomies et une approche systémique, organique, mettent incessamment en relation le tout à la partie.
Performer sur le motif consiste à inscrire son expérience dans un mouvement continu de transformation des corps et de la matière. Mais la performance en tant qu’expérience artistique reste contradictoire, elle ne peut être réduite à l’expression d’un seul principe vital, ou d’une seule logique du vivant qui par exemple établirait des priorités parmi les espèces à protéger ou une hiérarchisation des actions écologiques. Performer, c’est se mettre en situation de témoin de la transformation de la vie et des corps vivants mais aussi de la violence et du pouvoir qu’exerce toute entité vivante pour rester en vie. Et dans cette lutte du vivant dans un milieu, l’artiste montre que c’est autant le contexte et les qualités du milieu qui déterminent le comportement du corps, que le corps qui « déclare » son milieu, pour reprendre l’expression de Barnett Newman (« I don’t manipulate nor play with space. I déclare it »)[18].
En tant qu’exercice d’ajustement permanent, la performance en nature invite à interagir avec ce qui est en présence du corps, notamment d’autres corps. Par ailleurs, elle affirme la capacité du corps à s’exprimer hors du langage verbal, comme pour dénoncer un échec de la parole à dire le corps. La transmission d’une telle expérience dans le cadre d’un texte comme celui-ci manque pour partie son objectif et c’est au contact du corps, dans le cadre d’une expérience partagée que la transmission est la plus aboutie. Ainsi dans le contexte d’une expérience en nature, les performances collectives apparaissent-elles comme une modalité extrêmement enrichissante. J’aborderai ce point à partir de la série « Arboretum » que notre duo a organisée à Paris et à Rio en 2018 et 2019.
[Figure 5]Arboretum est une performance sur les liens que nous entretenons avec les espèces végétales, de notre vivant et que l’on est supposé entretenir à notre mort. Elle est inspirée d’un rituel mortuaire du Sulawesi : les Toraja ensevelissent leurs enfants mort-nés ou morts avant d’avoir des dents dans une niche creusée dans un arbre, puis ils referment la niche et si l’arbre survit, l’enfant vit à travers lui. Réalisée à l’origine en duo sans public dans la forêt, cette performance consistait à panser jusqu’à le recouvrir totalement mon corps allongé, immobile sur une branche, manifestant la présence de la mort au sein même du processus de vie, évoquant la possible régénération, la poursuite du processus vital au delà de la mort individuelle.
Dans le cas des performances collectives qui suivront par la suite, ce travail de méditation sur la nature et la transformation du vivant, nous demandons à des binômes de performers de se répartir dans un espace : dans la première version présentée au Théâtre de la Cité Internationale, pour chaque binôme, un performer s’allongeait au sol et l’autre prenait soin de lui. Ensemble, ils choisissaient un endroit où le soigneur « greffait » au moyen d’un linge qui l’emmaillote, une plante sur son partenaire. Il y avait également dans cette version deux « maîtresses de cérémonie », habillées tantôt comme des jardinières, tantôt des infirmières, elles distribuaient les plantes et conduisaient les binômes, aidant à leur installation et soutenant leurs actions.
[Figure 6]Dans les deux versions qui ont suivi au Brésil (au Centre Typographia et dans les jardins de l’UNIRIO), les binômes agissaient seuls, ayant eu connaissance des précédentes expériences, inventant de concert, explorant les possibles relations au sein de leur binôme, dans et pour la nature. Nommant les plantes, inventant des filiations, un langage entre la plante et le corps qui l’accueillait, des gestes, improvisant des déambulations.
Cette série de performances interroge le principe de solidarité. Solidarité entre les humains qui construisent par leur interrelation une expérience dont ils seront les seuls dépositaires, solidarité entre Plantes et Humains (imaginée et réelle dans le cadre d’une symbiose). Sommes-nous condamnés à être des prédateurs ? Nous subissons ou nous nous infligeons une maltraitance comparable aux sévices que nous causons aux arbres et autres plantes. Cette triste commune expérience nourrit chez certains humains le désir de communiquer avec leur environnement végétal. Dans une relation symbiotique nous apprenons et réapprenons enfin à engager un véritable dialogue avec les plantes, un dialogue qui emprunte autant à la communication de notre espèce qu’à celle de végétaux. Que disent les plantes ? Comment le disent-elles ?
Dotés d’excroissances, d’attelles ou d’implants végétaux, qui viennent prolonger leur corps en prenant appui sur leur boîte crânienne, leur colonne vertébrale, leur bas-ventre ou poitrine… les performers des performances que nous conduisons aujourd’hui portent sur leur corps la sphaigne végétale, la terre et les plantes. Ils évoluent en extérieur au contact direct des végétaux environnants et expérimentent le temps de la performance une proximité physique et conscientisée entre un point de leur corps et les plantes qu’ils « arborent ».
[Figure 7]Devenir support à la germination de plantes et faire pousser des végétaux à même la peau est certes surtout une idée poétique, ce travail invite à envisager la confrontation entre l’organisme humain, son écosystème, son microbiote et des organismes végétaux comme une expérience commune dont le résultat importe moins que le processus de transformation de nos propres représentations, nous rappelant une fois de plus qu’il existe un autre monde, qu’il est dans celui-ci, qu’il nous faut également le protéger, car il nous apprend à vivre avec les perturbations dont nous sommes responsables.
C’est pourquoi, il me semble que davantage qu’un outil au service d’une cause, la pratique artistique est l’émanation de ce que l’artiste ressent comme conforme à son idéologie du bien : il ne saurait contraindre son travail, en le destinant plus directement ou exclusivement à une cause politique sans en vider le sens et le pouvoir.
Références :
Andrew Brown, Art & Ecology Now, Londres, Thames & Hudson, 2014. 256 p.
Denis Dutton, The Art Instinct: Beauty, Pleasure, & Human Evolution, Oxford University Press, 2009, 278 p.
- Laval-Jeantet (dir.), No Man’s Land – L’homme a-t-il encore sa place ?, ed. CQFD-Mudam Luxembourg-U.P.1, Montreuil-sous-Bois, 2019.
Sacha Kagan, Art and Sustainability: Connecting Patterns for a Culture of Complexity, Bielefeld, Transcript Verlag, 2011. 476 p
Gyorgy Kepes, Arts of the Environment, New York: George Braziller, 1972.
James C. Gibson, Approche écologique de la perception visuelle, postface Claude Romano, traduction Olivier Putois, ed. Dehors, 2014, 519 p.
Lucy R. Lippard, Undermining: A Wild Ride through Land Use Politics and Art in the Changing West, New York, The New Press, 2014. 208 p.
Barbara Matilsky, Fragile Ecologies: Contemporary Artists’ Interpretations and Solutions. NY: Rizzoli International Publications, 1992.
Alain Milon, Pour une critique de la raison écologique – Le plan de nature, ed Circé, Strasbourg, 2014.
Linda Weintraub, To Life! Eco-Art in Pursuit of a Sustainable Planet, Berkeley, University of California Press, 2012. 384 p.
Pascale Weber, L’Attachement, préface Pierre Ouellet, ed. Al Dante, distribution : Presses du Réel, 2015, 256 p.
Pascale Weber (dir.), Le Mythe de l’Abondance- ressources, imaginaire, formes de vie, Cérium, Montréal, Ca/Editions CQFD, distribution : Presses du Réel, Montreuil-sous-Bois, 200 p.
Pascale Weber, « Environmental art and wilderness: the stakes of beauty » in Beauty, Martha Levine (dir.), IntechOpen, 2020.
Pascale Weber, « L’arbre porteur » in Ce qui me pèse et ce qui me porte : de l’esthétique de la « portance » au souci éthique, Christine Leroy & Chiara Palermo (dir.), Éd. de la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord, à paraître.
Pascale Weber, « Se retirer et performer dans le no human’s land » in No Man’s Land – L’homme a-t-il encore sa place ?, ed. CQFD-Mudam-U.P.1, Montreuil-sous-Bois, 2019.
Pascale Weber, « L’animalité, un état du corps », in Le Corps, les dimensions cachées, Guy Freixe (dir.), Éd. Deuxième époque, 2017, ISBN 978-2-37769-018-3.
Pascale Weber, « The experiencing body, for a combination of movements », Jean Delsaux (co-auteur) in Aesthetics and Neurosciences, Scientific and Artistic Perspectives, Kapoula, Zoi, Vernet, Marine (Eds.), Springer, 1st ed. 2017, 329 p.
[1] Alain Milon, Pour une critique de la raison écologique – Le plan de nature, ed Circé, Strasbourg, 2014, p.26.
[2] Je me suis intéressée à la notion d’attachement, non pas en référence à celle de dépendance maternelle développée par les psychologues Margaret et Harry Harlow, mais en tant qu’origine d’un récit identitaire : pourquoi développe t-on un sentiment d’appartenance à un territoire ou bien au contraire n’erre-t-on pas incessamment à la recherche d’un lieu auquel se rattacher ? (Pascale Weber, L’Attachement, Al Dante, 2015)
[3] J’ai traité spécifiquement le sujet de la Beauté et de l’art écologique dans l’article « Environmental art and wilderness: the stakes of beauty » : « le sentiment de beauté, sans le limiter au monde l’art, est une construction élaborée à partir de sensations vécues par un corps qui dispose d’une capacité à se rendre disponible, à s’ouvrir à ce qui l’entoure. Nous avons encore aujourd’hui du mal à définir les sensations en dehors d’une conception positiviste qui associe à chacun de nos ressentis des considérations physiologiques, en découpant notre anatomie en organes sensoriels quasi autonomes, sensés enregistrer et traduire des informations, qu’eux seuls perçoivent, au cerveau qui en assurera la gestion. Mais surtout la sensation apparaît ici comme un échange entre deux objets : celui de la sensation (la couleur et sa vibration par exemple) et celui qui en permet l’enregistrement : l’organe de perception chosifié. L’expérience, le vécu sensible, le ressenti subjectif et affectif du corps sont totalement oubliés. » (Pascale Weber, « Environmental art and wilderness: the stakes of beauty » in Beauty, Martha Levine (dir.), IntechOpen, 2020).
[4] Dominique Chateau, « L’éthique dans le contexte de la dé-définition de l’art », in Nouvelle revue d’esthétique 2010/2 (n° 6), p.25-37.
[5] Gyorgy Kepes, Arts of the Environment, New York: George Braziller, 1972.
[6] Dominique Chateau, « L’éthique dans le contexte de la dé-définition de l’art », op. cit.
[7] Denis Dutton, The Art Instinct: Beauty, Pleasure, & Human Evolution, Oxford University Press, 2009, 278 p.
[8] http://www.projetcoal.org/coal/2011/07/05/eco-art-a-creative-think-tank-for-a-healthier-planet/
[9] Annie Le Brun, Ce qui n’a pas de prix, Stock, mai 2018, p.9.
[10] Annie Le Brun, Ce qui n’a pas de prix, op.cit., p.29.
[11] Peter Collins, « Il y a un autre monde, mais il est dans celui-ci. L’écologisme quaker », in Terrain, n° 60, 2013, pp. 74-91.
[12] Le lien entre la situation environnementale et l’organisation triviale de la vie des autochtones est un des points développés dans un ouvrage collectif que j’ai dirigé, suite à mon séjour au Nunavik durant les fêtes rituelles de fin d’année. (Pascale Weber (dir.), Le Mythe de l’Abondance- ressources, imaginaire, formes de vie, Cérium, Montréal, Ca/Editions CQFD, Montreuil-sous-Bois, 200 p.)
[13] « La Chaudière »
[14] Louise Bourgeois et Peter Zumthor y ont érigé un mémorial dédié à leur réhabilitation.
[15] Pascale Weber, L’Attachement, op. cit., p.72.
[16] Alain Milon, Pour une critique de la raison écologique- Le plan de nature, op.cit., p.26.
[17] idem, p.16.
[18] Barnett Newman, « Frontiers of space » (1962): Interview with Dorothy Gees Seckler, in Barnett Newman : selected writings and interviews, edited by John P. O’Neill & Mollie McNickle, University of California Press, Berkley/Los Angeles, 1992, p.247.
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Pascale Weber, « De la modulation comme principe écologique : Performer sur le motif », [Plastik] : Art et écologie : des croisements fertiles ? #09 [en ligne], mis en ligne le 14 septembre 2020, consulté le 21 novembre 2024. URL : https://plastik.univ-paris1.fr/2020/09/14/de-la-modulation-comme-principe-ecologique-performer-sur-le-motif/