L’esprit des bois
Vincent Balmes
Nr 09 . 14 septembre 2020
Si on entend par écologie la conscience d’un rapport au monde où nous sommes traversés, animal ou végétal, du miracle de l’émergence de la vie, l’art serait d’abord ce geste où, dans le travail de l’œuvre, nous partageons et prolongeons ce miracle, qui transforme la matière, vivante ou non, en discours porteur de sens, qui l’inscrit dans le sensible. Je dis miracle en référence à cette connaissance récente de l’auto-éco-organisation de la matière, qui, à partir des poussières d’étoiles du bigbang, structure les molécules où adviennent ces propriétés incroyables d’auto-éco-croissance, auto-éco-reproduction, jusqu’à la création des cellules vivantes qui s’architecturent en êtres animaux ou végétaux, à travers tout un travail d’échanges énergétiques dans leur milieu physico-chimique, qui fait toute la complexité de la stabilité dynamique des structures dissipatives.[1]
Si je parle de prolonger ce miracle, c’est pour avoir perçu dans le geste d’art la rencontre que fait la conscience, incroyable émergence elle-même de cette complexité la plus grande qu’est notre structuration cérébrale, son épigénèse à travers tout ce travail d’échanges de notre cerveau avec son environnement relationnel[2], rencontre donc de notre conscience avec le vivant des autres êtres et mise en travail d’une production de sens, par une œuvre qui est matérialisation du registre symbolique, lui-même apanage du discours humain.
Être le lieu de cette création symbolique nous crée l’obligation de prolonger ce miracle de la nature, qui nous traverse, par sa mise en œuvre dans le registre culturel. On voit là apparaitre l’hypothèse d’un paradigme fractal organisateur du cosmologique – écologique, ontologique, sociologique [complexité / émergence / miracle] – ; autrement dit, l’auto-éco-organisation de la matière engendrerait la bascule vers des propriétés imprévisibles, se complexifiant à leur tour et ainsi de suite: le vivant, la conscience, le symbolique, l’intellect et l’art. Art qui est alors le geste créateur d’un sujet prolongeant le miracle de sa propre existence en participation à la Création.
Ainsi, sommes-nous confrontés à des forces beaucoup plus grandes que nous, dont tout être vivant est animé, est porteur, est participant, ce dont il doit témoigner par ce geste de prolongation et transmission, chacun selon les conjonctures de son existence singulière, mais aussi bien dans ses échanges et partages avec ceux qu’il y rencontre, dont il s’enrichit pour s’organiser et se déployer.
Ainsi entendue, la pensée écologique façonne toute une posture existentielle, source de nos transformations du réel. Nous y agissons comme par une mission de poursuivre la création naturelle en y faisant advenir toutes sortes d’artefacts, du silex au Rafale, de l’écriture à la sculpture, du cultuel au culturel, de l’artisanat à l’industriel, de la physique au virtuel, les civilisations. Nous voyons aujourd’hui le risque que certaines de ces transformations humaines du réel ne comportent une destruction irréversible de la nature et sa mise en déséquilibre, la polysémie du vocable écologie s’enrichit alors de la défense contre ce risque, discours qui revendique d’inspirer les actions humaines selon ce courant de pensée, dans leur dimension à proprement parler politique, écologie devient l’acte politique de sauvetage de notre biotope Nature. On peut interroger le rôle des œuvres d’art, artefacts s’il en fût, dans ce discours de sauvetage, la Nature, nous en sommes !
À la modeste échelle de ma pratique de sculpteur de grands bois, j’éprouve que la fouille de chaque bois, par gouges et ciseaux en taille directe à main levée, rencontre et met au jour les lignes de force qui habitent ce fragment d’arbre, enfourchure, racines ou fût ; ces lignes sont l’inscription mémoire des aléas de sa vie, de ses croissance et développement, de sa première germination à son abattage, voire au-delà, et c’est dans cette lecture de son histoire que je perçois les présences d’esprits qui l’auront habité, ils y auront vécu ces flux vitaux que je dois donner à lire. Ces apparences, évocations ou fragments de formes humaines exhumées, nous rendent sensible ce parcours de l’être végétal qui habitait la texture vivante, nous disent l’histoire des esprits qui hantaient croissance et mort de sa matière, parce qu’elles sont autant d’éléments du langage de notre regard humain sur le monde, des lettres de notre alphabet sensible. Mais peut être ces esprits n’avaient-ils pas forme humaine au naturel et ne s’agit-il que de projections anthropomorphes métaphoriques !
Il n’est donc pas question de représentation objective, d’une figuration classique plus ou moins stylisée, ébauchée, mais mon geste est une tentative d’ouverture subjective, quasi-animiste, aux états d’âme d’une rencontre de découverte, en deçà de toute conceptualisation ; c’est le risque d’un accueil émotionnel d’avant toute construction intellectuelle; l’objet abouti, atemporel, relève d’un déjà là dévoilé, révélé. Son installation le contextualise dans le langage contemporain où il peut devenir une composante du discours qui, de la nature, fait culture, qui fait logos de notre inclusion à l’éco-nomie de notre foncier naturel.
C’est aussi témoigner dans cette expérience créatrice de l’importance du vivant végétal en support de nos existences, reconnaitre notre fraternité des échanges d’êtres vivants, notre communauté d’appartenance à travers la diversité de nos biologies animale et végétale respectives, conjuguées en devenir global par l’emprise planétaire de la culture humaine.
Mon geste de transformation, de remise en mouvement vital des forces végétales apparemment mortes dans ce bois abattu et ramassé, s’est présenté à moi comme homologue, dans cet acte de création, de celui que je déployais, dans la dimension de leur croissance psychique, avec les enfants que je recevais dans un travail psychanalytique. Cette transformation fait émerger et s’organiser la singularité de chaque être, révèle sa personnalité propre qui se découvre au fil du travail, où le matériau brut de ses pulsions vitales s’élabore en organisation symbolique propre aux partages d’une relation inscrite dans son contexte culturel, famille et société.
De même qu’on ne sculpte pas un visage sans tenter qu’il porte un regard, pas une main sans qu’elle soit un geste et donc porteuse d’intention, ni toute figuration humaine qui ne fasse présence d’un être à rencontrer, de même tout comportement enfantin faisait sens, m’adressait un désir dans une relation ouverte à la subjectivité en devenir. J’ai vécu ces deux temps en parallèle, de mes carrières de pédopsychiatre et de sculpteur autodidacte, comme se nourrissant l’une l’autre dans cet aller-retour entre le psychique infantile et la matérialité des bois, espaces où je me confrontais à ma propre appartenance à l’humaine condition, dans son lien à notre culture, son lieu biotopique.
Et de même que chaque enfant repartait vivre dans sa famille et son appartenance sociale, de même j’en viens à souhaiter que mes bois transformés partent habiter dans la vie d’amateurs qui les aiment et les reçoivent dans leur environnement culturel.
Ce serait donc une expérience sensorielle de la dimension écologique qui animerait mon geste quand je suis au travail sur ces bois; la question qui vient alors serait que cette dimension soit aussi transmise, lisible, actualisée pour l’art-mateur[3]visitant l’œuvre aboutie et installée. Tel serait l’apport de mon art à l’écologie, en susciter chez lui la sensibilité comme dynamique mise dans mon geste pour l’émergence d’un sens, par la rencontre sensible d’une présence surgie de la conjugaison des poussées végétales et de mes émotions d’être humain.
À transposer l’adage lacanien « je ne sais pas ce que j’ai dit tant que personne ne l’a écouté », je constate que je ne sais pas ce que j’ai fait tant que personne ne l’a regardé, et force est de reconnaître que ça ne fonctionne pas toujours; pour beaucoup de visiteurs contemporains le côté statuaire de la sculpture, dont ils sont familiers, prévaut et leur fait rechercher une figuration anecdotique immédiatement identifiable comme objet, il peut même s’agir clairement de tenir à l’écart le risque d’émotion dérangeante qu’ils perçoivent confusément, c’est du moins ce que je dois conclure d’un certain nombre d’occasions de débats sur les lieux mêmes d’exposition, tant il est vrai que la lecture d’une œuvre dépend des références culturelles préalables dont cette lecture est supportée. Il est vrai aussi qu’il y a des visiteurs qui entrent en résonance avec ma démarche, soit d’emblée soit dans notre échange improvisé par les circonstances.
Je proposerais de cette question l’exemple d’une tablette sumérienne, fin du IVème millénaire, de sa lecture par les auteurs de l’ouvrage « La naissance de l’écriture » [4]où je l’ai trouvée et de celle qui s’en est imposée à moi lorsque je l’ai gravée en reproduction sur ma pièce Chrysalide – ou le berceau de l’Humanité[5].
Cette lecture est centrée sur l’objet de la recherche de cet ouvrage, où l’invention de l’écriture apparait comme une nécessité fonctionnelle concernant d’abord la comptabilité des circulations commerciales aussi bien que les textes de loi, le code de Hamurabi de Babylone (~1760 avant J.C.) en est un modèle célèbre; la gravure cunéiforme sur pierres et tablettes de terre sont les bibliothèques qui abritent la mythologie et des récits légendaires transmis par la tradition orale[6] telle l’Épopée de Gilgamesh, non moins célèbre.[7]
[Figure 1]
L’agrandissement permet une lecture plus fine mais c’est surtout d’en graver à mon tour les traits, par report sur le support en ébène, qui m’en a imposé une autre perception avec la force d’une évidence.
[Figure 2]
J’y ai trouvé, comme avec les cases d’une bande dessinée, ponctuée des onglets dans trois cases, l’écriture d’une histoire : une jeune pousse végétale de la case 2 s’agrandit en case 3 puis 4 pour terminer dans la moitié inférieure par un grand arbre; dans la case 2, les autres éléments peuvent figurer une vulve et un pénis, qui deviennent en case 3, carré sur trapèze – soit triangle emboité au carré – , un accouplement puis une famille en case 4, d’autant que nous savons par ailleurs que triangles et carrés symbolisent des hommes et femmes, famille qui s’augmente encore dans la partie inférieure, à l’égal du grand arbre. J’y lis aussi que la main figurée dans la première case se retrouve en transformation symbolique dans la fourche à cinq dents terminale. Autrement dit, j’y ai vu, et propose d’y voir, une mise en parallèles de la croissance végétale d’un cèdre et d’un groupe humain avec son roi – selon les explications des auteurs sur le symbole de la fourche à cinq dents, famille ou tribu, ou, par généralisation au monde visible, similitude voire communauté [monde végétal et humanité]. Cette lecture, inspirée d’une préoccupation écologique actuelle, rend-elle compte d’un questionnement philosophique de l’auteur historique de cette tablette, il y a cinq mille ans? La lecture des textes contemporains montre une pensée mythologique où la dimension philosophique ferait figure d’anachronisme[8], ce qui ne permet pas d’écarter une vision magique des rapports de l’homme à son monde et donc d’équivalence, voire communauté, des deux domaines du vivant.
[Figure 3]
Les composantes de cette pièce[9] relèvent aussi d’une approche singulière: la bille d’ébène, porteuse du cartouche de reproduction des hiéroglyphes, est issue des forêts africaines lieu d’origine de l’espèce, est habitée d’un androgyne se séparant, figure de l’ontogénèse hellénique , mais couple encore fusionnel par communauté des hémicorps droit de la femme et gauche de l’homme, et c’est au cours de leur émergence sous le ciseau que ce cartouche et sa gravure se sont imposés à moi en autre dimension de l’anthropogénèse. Le tout est supporté d’un cardan aux allures de vaisseau planétaire sur son berceau de lancement. Quelle lecture en faire sans ces traits culturels en arrière-plan ?
Le contemporain du support est immédiatement perçu par la plupart, la profondeur historique du bois ciselé lui-même l’est moins que son altérité de nature africaine, mais la présence de l’écriture en hiéroglyphes ouvre un questionnement direct, un rebus en BD en est une désignation fréquente…
Et qu’en est-il au bout du compte pour l’art-mateur d’une invitation à la pensée écologique lors des échanges de rencontre ? Cette œuvre date de 2007, ses expositions et les échanges avec les visiteurs ne sont pas récents, ni eux ni moi n’étions portés par la préoccupation écologique telle que nous en avons aujourd’hui la pression et la conscience, notre lecture et mes commentaires restaient dans le bain culturel du moment et du lieu, autour d’une création plastique; tel monsieur Jourdain faisant de la prose, je faisais de l’écologie sans le savoir, les références culturelles que j’en citais faisaient plus figure d’érudition, voire de cuistreries et décourageaient plus d’un de s’intéresser plus avant à l’œuvre ! Remise en exposition de nos jours, peut-être ouvrirait-elle un lien vers la question écologique…
Autrement dit, ainsi analysé mon travail singulier, ce qu’il apporterait à l’écologie serait, par son inscription dans les questionnements actuels, le développement d’un discours qui les enrichisse d’une dimension différente où le sensible se conjugue à l’intellect dans une pensée complexe; pour l’art-mateur, sa mobilisation sensible, par une approche immédiate du réel de l’œuvre, fait ici source à relecture par son intellect de la perception sensorielle première, en écho du travail de création qui animait mon geste transformant la matière.
Les autres approches qu’en donneront d’autres arte-facteurs permettront de voir si ceci m’est particulier ou généralisable, parce qu’alors règle commune au monde de l’art qui me traverserait du seul fait de m’y inscrire, je découvrirais la lune ! ?… Plaideraient, selon moi, pour cette lecture, la visite des tableaux, vitraux, chapiteaux, orfèvreries de trésors et sculptures de thèmes religieux et bibliques qui illustrent les lieux sacrés et représentatifs de la pensée dominante en leur temps, pensée dont l’actualité n’a plus la même force ni évidence de nos jours, voire demande souvent à être rappelée en commentaires pour les visiteurs contemporains, pourtant déjà sensibles à la chose par leur culture s’ils font cette démarche d’aimer voir.
[Figure 4]
On peut proposer, en illustration de cette conjecture du décalage culturel conjoncturel, le David du Bernin[10], à la villa Borghèse à Rome; ce grand marbre est habité d’un geste d’élan du personnage, son corps entièrement tendu à supporter son regard de visée pour son tir de fronde sur Goliath, lequel n’est pas représenté, ce corps en chorégraphie est seul signifiant du regard, immatériel, et de son but, non figuré (en art tout corps est graphe) lecture qui coulait d’évidence pour le Bernin et ses contemporains mais moins pour les nôtres, la simple anecdote statuaire ne se dépasse qu’en appui sur les fonds culturels du visiteur, en échos de ceux de l’auteur.
[Figure 5]
Le David Combattant de Paul Landowski, prix de Rome de 1900, reprend le même thème, mais en bronze et dans un personnage plus juvénile, d’un élan qui le projette dans l’espace. Un tirage de ce bronze est placé au seuil du collège qui porte son nom (à Boulogne Billancourt), la question reste de la perception d’un sens de cette œuvre pour les collégiens, que savent-ils de ses références bibliques ? Y voient-ils un héros auquel s’identifier ? J’y verrais quant à moi une allégorie des conflits de la crise d’adolescence dont ils ont l’âge, dans cet affrontement au géant à vaincre, sens qu’ils ne pourraient entendre que sur le mode subliminal, aveugles qu’ils sont à la pensée de la crise qui les habite, qu’ils vivent au premier degré. Ce qui n’empêche pas qu’ils puissent éprouver une admiration, en écho de leur propre tension existentielle… ainsi cette œuvre fut-elle épargnée, respectée, lors d’un épisode de révolte des élèves de SEGPA[11] avec saccages et tags[12], alors qu’elle est parfaitement accessible (souvenir d’un ancien élève). Mais ma vision est évidemment conditionnée par ma pratique de pédopsychiatre et n’a rien d’universel. Qu’en aurait dit Landowski ? Et les élèves ou enseignants du collège ? Quel degré d’intuition pour les édiles à l’origine de ce choix ?
[Figure 6]
À l’instar des références religieuses au Moyen Age, bibliques à la Renaissance et devenues mythiques, voire mythologiques pour qui faisait ses humanités en fin XIX° dominée par l’entrée dans l’ère industrielle, et son prix de Rome en 1900, l’écologie n’est-elle pas ce qui polarise en crescendo la pensée contemporaine, en ce début du XXI°, quant à la place de l’humain en ce monde ?
Dans mon propre travail, Virginale (2015)[13], me semble relever de cette approche sur fond de déploiement grand public des préoccupations écologiques : la poussée du vivant végétal est ici mise en scène en métaphore humaine; le fût ciselé dressé est coupé d’une des branches de la souche de base dont la jonction en V le supporte; cette souche par sa poussée vitale soulève, éclate, la grille qui l’enserrait au sol, la scie qui l’a tranchée est encore là; la ciselure donne à voir une silhouette féminine juvénile, élancée, de son pubis s’élève un bras dont la main lui prend la taille et une longue dorsale plaquée à ventre et poitrine porte une tête qu’elle et qui l’embrasse, le tout en désir phantasmé de sa proche entrée dans l’âge adulte, issue, séparée et supportée de sa souche originelle, familiale.
Mais tout ce développement, où je déploie la similitude de la croissance végétale et de la féminité humaine, n’est pas d’emblée présent à l’esprit de tout visiteur et certains se satisferaient du bois ciselé sans la dynamique de son installation qui en renforce le raccord à l’écologie. L’explicitation en cartel ferait écran à la pensée spontanée de l’art-mateur, la non explicitation peut laisser dans une confusion émotive en recherche de mots pour la dire… mais aussi, même sans en faire l’analyse que j’en soutiens, l’installation engendre, sur le mode intuitif subliminal, une perception orientée de la transformation féminine invoquée dans l’œuvre.
[Figure 7]
[Figure 8]
Comment, dans le climat politique actuel, ne pas voir un message écologique avant la lettre dans le Soldat Laboureur, artisanat d’art du XIXe siècle, fronton en cuivre repoussé de mon horloge comtoise mesurant toujours le temps qui passe ? Message lourd aujourd’hui d’un sens que ses contemporains ne pouvaient soupçonner, mais opposant déjà, en visuel de la pensée romantique, le geste agricole à l’autodestruction guerrière des humains.
Pensée actuelle d’une fin dernière de l’humanité faite de main d’homme, via la destruction du végétal et des équilibres géophysiques, la question de l’écologie serait ainsi une composante de l’interrogation multidimensionnelle sur le sacré de la vie, héritage qu’il nous appartient de gérer, les arts plastiques en seraient une expression sublimée, cerveau gauche et cerveau droit actifs de conserve dans le care, le prendre soin de la planète, notre vaisseau spatial, dont ils magnifient la beauté.
C’est ainsi que la monstration de pousses végétales, in statu nascendo, dans leur fragilité et espérance, dépasse les visions agricole, ou de jardinage décoratif, pour ouvrir une autre dimension, pour offrir un support à la pensée écologique qui transcende le trivial quotidien de la simple biologie, et actualiser l’urgence d’en prendre soin afin que s’en déploie le destin; des photos de ces mêmes pousses n’en traduiraient pas la même urgence que leur présence vitale. C’est ainsi que la texture du bois originel d’extraction de mes œuvres souligne l’aboutissement, post mortem, de la croissance du sujet végétal, dans une figuration d’esprits qui l’ont habité sa vie durant, ouvre la porte à la pensée écologique, qui transcende les restes de souche en discours sur notre destinée; les mêmes formes physiques mais en marbre, modelage ou bronze n’en transmettraient pas, comme la matière bois, les mêmes vibrations, ni apports de l’art, dans le temps historique actuel de l’interpellation écologique. Je dis interpellation parce que photos ou tirages, résine ou bronze, fournissent une connaissance intellectuelle ou imaginaire, mais on peut les tenir à distance dans leur abord plastique, beauté de l’objet abouti, clos, alors que la présence réelle peut en outre ouvrir à actualiser l’être de l’art-mateur comme elle a concerné le déploiement vital du créateur, œuvrant de sa main dans la matière. « Le bois c’est vivant, ça donne envie de le caresser » est la réaction la plus commune à mes créations…
« Pour Spinoza, l’homme est un mode de Dieu, une des multiples déterminations de la substance unique et infinie. Le progrès de la connaissance engendre le bien moral et nous assure la possession du bonheur, la béatitude. L’homme part de la connaissance du premier genre: soumis à son imagination, à ses sens, il se pose comme un être fini se suffisant de soi; dans la connaissance du deuxième genre, par la raison, il rattache son être à la Nature, à l’ordre universel. Et dans la connaissance du troisième genre, il connait Dieu et toutes choses en Dieu. Dieu seul (et pour Spinoza, Dieu = Nature) est alors l’objet de notre pensée. C’est l’amour intellectuel de Dieu. L’homme, par la pensée, s’identifie à la pensée universelle et à l’ordre universel, de sorte que rien ne peut venir le troubler. Notre volonté n’est plus distincte de celle de Dieu. Nous parvenons à la vérité, au bonheur, à la liberté. [14]»
[1]La Nouvelle Alliance. Métamorphose de la science – Ilya Prigogine et Isabelle, nrf Gallimard, Paris, 1979.
[2] Votre cerveau vous joue des tours , Albert Moukheiber, éditions Allary, Paris, 2019.
[3] J’avance ici ce néologisme comme un jeu de mots à la Lacan pour introduire un double sens: le regard de l’amateur aurait ce caractère insistant de l’œillade masculine de « mater », que les femmes connaissent bien, ouverture du regardeur à sa propre émotion devant l’œuvre, sans être voyeur pour autant.
[4] Naissance de l’écriture-cunéiforme et hiéroglyphes, Éditions de la Réunion des Musées Nationaux- Paris 1982.
[5] Détail, photo Joël Mangin, autorisation du service culturel de la ville de Montgeron.
[6] Lorsque les dieux faisaient l’homme – Mythologie mésopotamienne, Jean Bottéro et Samuel Noah Kramer- NRF Gallimard, Paris, 1989.
[7] Abed Azrié, L’Epopée de Gilgamesh, Berg International, Paris, 1979.
[8] Lorsque les Dieux faisaient l’Homme – Mythologie mésopotamienne – Jean Bottéro et Samuel Noah Kramer, op. cit.
[9] Idem, photo Joël Mangin.
[10] David du Bernin 1623/24, recherche wikipédia, gravure de 1704 contenue sous CC BY -SA 3.0
[11] Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté. Il désigne des classes qui accueillent des élèves présentant des difficultés d’apprentissage, parfois en raison d’un handicap.
[12] David combattant, Paul Landowski (autorisation des descendants de Paul Landowski).
[13] Virginale, Vincent Balmès, 2015, vue de l’exposition, Centre culturel, Montgeron
[14] Raymond Balmès, Leçons de philosophie, Tome II – appendice : les morales du bien, p.619.
Citer cet article
Vincent Balmes, « L’esprit des bois », [Plastik] : Art et écologie : des croisements fertiles ? #09 [en ligne], mis en ligne le 14 septembre 2020, consulté le 15 novembre 2024. URL : https://plastik.univ-paris1.fr/2020/09/14/lesprit-des-bois/