« Entre » Léonard de Vinci et Giuseppe Penone : la grâce comme consistance du monde
Laurence Gossart
Nr 13 . 21 décembre 2023
L’occasion nous a été offerte de travailler sur la pertinence de l’idée de grâce dans l’art contemporain pour le numéro que consacre la revue Demeter à cette notion1. L’article qui suit ouvre une nouvelle voie et poursuit ce travail : en quoi la grâce serait-elle une notion pertinente pour penser la « consistance du monde » ? En effet, qu’y a-t-il de plus impalpable, de plus inconsistant que la grâce ? En nous demandant si la consistance du monde ne nous serait pas donnée, nous ouvrons un champ réflexif qui intrigue quant à ce que peut recouvrir cette expression. D’après le Littré, la consistance définit tout d’abord « un état de stabilité, de solidité ». Puis, dans un second temps, « le plus haut point de développement en parlant des êtres vivants, et particulièrement des animaux et de l’homme. Âge, temps de consistance. L’état d’accroissement, de consistance et de diminution2 ». Ce que nous pouvons considérer comme étant une forme de stabilité du monde qui nous entoure est aujourd’hui particulièrement sujet à discussion au regard des conditions d’évolution et de dégradation de notre milieu dont témoignent, par exemple, les problématiques écologiques. Néanmoins, le délitement de nos relations avec notre milieu légitime cette mise en question de l’idée de consistance. La pensée que François Jullien développe à partir de l’idée de consistance permet d’enrichir et orienter notre propos. Dans Vivre de paysage, il écrit :
« Si je m’arrête à ce concept de consistance, c’est pour faire apparaitre dans « ce qui tient ensemble » (est « con » – « sistant »), ne se laissant pas rassembler ni réduire sous l’unitaire de l’essence et de l’idée, un mode de compréhension des choses, en retrait de l’ontologie, qui ne s’entend que par corrélation. Ne se laissant pas arrimer dans l’« Être » ou, pour le dire autrement, ne s’arrogeant aucun support métaphysique, cette con-sistance vient de la co-hérence qui fait que l’un tient à l’autre et ne s’en isole pas3 ».
Ne pas isoler les éléments, les tenir ensemble et, pour ce qui nous intéresse, jouer des fluidités que ces tensions et déploiements permettent d’envisager. Alors en quoi la grâce créerait-elle la cohérence inhérente à la consistance telle que François Jullien définit ce concept ? C’est par ce biais que nous abordons ici la proposition initiale « Et si la consistance du monde ne nous était pas donnée ? » Notre propos s’appuiera sur les notions de fluide et de grâce, car si les fluides permettent de penser l’idée de grâce, voire, comme nous le faisons ici, de la penser à la lumière de la physique, c’est parce qu’ils s’écoulent librement, ayant peu d’adhérence avec ce qui les contiennent. Les fluides ont cette dimension changeante, qui échappe tout en étant parfaitement déformables. Sous-ensembles des phases de la matière, ils comprennent les liquides, les gaz et les plasmas. Or, de ces alchimies transformatrices de la matière émane un autre fluide, plus impalpable encore qui enveloppe et contourne toute contrainte, l’assimile. C’est ici que la grâce apparait, quand s’ouvre un monde dans la matière, un monde de et entre les matières. Car, comme la proposition de François Jullien le suggère, ce sont particulièrement deux éléments qui offrent la possibilité que se déploie ce monde « entre » : l’eau et la pierre. Au travers de quelques œuvres et textes de Giuseppe Penone et de Léonard de Vinci nous verrons comment l’idée de grâce permet d’aborder l’idée de consistance du monde.
Échos et grâce : les métamorphoses d’une filiation
La proximité entre les recherches de Léonard de Vinci sur les fluides que mettent en évidence les dessins de chevelures4 et les œuvres dessinées de Penone est tout particulièrement saisissante. C’est une filiation perceptible dans leurs textes qui éclairent leurs pratiques ainsi que dans nombre de thématiques et de réflexions qu’ils partagent. Mais, plus qu’une intuition de chercheure, c’est un dessin en particulier qui confirme cette perception. Vers 1495 Léonard de Vinci dessine Profils d’un vieillard et d’un jeune homme (cliquer pour accéder à l’image Inventario Disegni – Progetto Euploos (uffizi.it)). Ce dessin bien connu montre deux hommes de profil se faisant face et dont les bustes sont reliés pour ne faire qu’un seul corps. Un seul corps mais à différents états de transformation, d’évolution. Michel Jeanneret synthétise ce processus en ces termes : « Le temps érode le squelette comme l’eau sculpte le rocher : la sénescence et la mort sont les phases normales du processus naturel5 ». À ce dessin Penone répond par un autre dessin. Il reprend trait pour trait le profil du jeune homme de droite mais le place dans un format horizontal. Le vieillard a disparu et ce qui fait face au jeune homme est une forme de paysage assez sombre. En réalité cette forme ne lui fait pas face mais émane de lui, comme un prolongement de son corps, comme sortant de lui. Une branche au feuillage naissant sort de sa bouche, comme l’expression d’une respiration, comme si elle poussait en lui ou plutôt depuis lui. Corps, végétal, souffle, bronze sont présents dans ce dessin qui est une étude. Studio per soffio di bronzo6 tend à montrer des métamorphoses de la matière tout en conservant l’unité d’un monde, ce que Giuseppe Penone confirme en 1999 en écrivant : « La volonté d’un rapport d’égalité entre moi-même et les choses est à l’origine de mon travail. L’homme n’est pas spectateur ou acteur, il est nature7 ».
[Figure 1]Les deux dessins montrent des états de transformation de la matière, ils montrent aussi des lignes flexueuses qui sont vectrices d’ondes et d’énergie, de métamorphoses et de vie. Dans son livre Ninfa fluida, Georges Didi-Huberman revient sur les « accessoires en mouvement », notion élaborée par Aby Warburg. Au travers de la figure de Ninfa il montre comment tout se met en mouvement, se meut à la « bordure des corps ». Fluides ou vents s’engouffrent dans les drapés, cheveux et rubans pour exprimer par ses éléments extérieurs ce qui seraient les causes intérieures. Les deux dessins, celui de Giuseppe Penone et celui de Léonard de Vinci, offre des échos tout particuliers à cette idée car en effet tout y est mouvement et grâce. La grâce nous pourrions la définir comme à la fois don et charme. Elle est étymologiquement la charis grecque – le charme, la bonté et la reconnaissance – et devient une faveur accordée par Dieu. Si elle conserve toujours l’idée du don, au sens contemporain elle se dévêt de sa dimension religieuse – le don divin – pour garder ce quelque chose d’impalpable qui, contrairement à l’idée de beau classique, n’est pas mesurable ou quantifiable par quelques proportions ou règles. La grâce semble transcender toute forme en l’animant d’un souffle dont on ne connaît l’origine et donner vie aux éléments qu’elle traverse.
La grâce, c’est dans la nature que Léonard de Vinci va la puiser. Il en traque par son observation minutieuse les secrets et, dans l’ensemble de ses secrets, il y a la beauté et la grâce. Tout concourt pour Léonard de Vinci à comprendre et vivre la peinture comme un art divin, qui incarne un don de dieu. Si la grâce est par certains aspects l’expression d’une élégance fluide et légère, elle est aussi l’émanation de la charis. Ce ne sont plus, avec Léonard, les récits ovidiens de métamorphoses qui œuvrent mais des processus de morphogénèse comme le rappelle Georges Didi-Huberman, mais l’observation de transformations concrètes où la métaphore littéraire antiquisante s’estompe au profit de l’attention aux phénomènes du monde.
Plus qu’Ovide, c’est le Traité de la nature (De rerum natura) qui œuvre dans la pratique de Léonard8. Dans les pages qu’il consacre à Léonard de Vinci dans Ninfa fluida, Georges Didi-Huberman écrit :
« Léonard de Vinci allait aussi loin que possible sur la voie de la métamorphose comme de la morphogénèse. Son étude de la coiffure féminine renvoie au travail sur la représentation de Léda, dont toute la mise en figure associera finalement les turbulences de la chevelure, la ligne serpentine du corps féminin, le spasme du cygne fécondateur, l’ondoiement généralisé des végétaux tout autour, et, enfin, le grouillement animal des bébés à peine sortis de leurs coquilles9 ».
On retrouve clairement le mouvement, le fluide, la semence, la graine. Georges Didi-Huberman écrit que la pensée de Léonard de Vinci pourrait être comprise « comme une considération “fractale” sur le monde, ce qui signifie que ses “études de détails” sont, en réalité, des études sur la texture mouvante, toujours fluide, des choses, ce qui est fort différent. » Pas de simples détails mais l’analyse d’un processus de la nature qu’il observe partout. Il poursuit en expliquant que ces dessins sont en réalité « des études sur la texture mouvante, toujours fluide, des choses […]. » Texture du monde toujours mouvante et fluide que Léonard traque de son dessin dans les moindres flottements et flux des éléments et du vivant. Ainsi, c’est tout ensemble son approche analytique et sensible qu’il fait affleurer : « Chez Léonard, les “détails” apparaissent comme ils le feraient aux yeux d’un morphologiste de la matière qui serait aussi un poète laissant aller ses fantasmes quant au genitalis spiritus mondi10[…] ».
Félix Ravaisson, à l’occasion de l’article qu’il consacre à l’enseignement du dessin, revenait sur l’idée de grâce en précisant que :
« […] si l’on peut considérer les formes, ainsi qu’on le fait souvent en géométrie, comme des vestiges durables des mouvements, et pour ainsi dire comme des mouvements immobilisés, on peut dire pareillement, ce semble, que la beauté est comme de la grâce devenue, de mobile, fixe […]. Aussi trouvera-t-on, si l’on cherche les grandes lignes qui font la beauté des formes, que ce sont les mêmes qui font la grâce des mouvements11 ».
La forme serait du mouvement enregistré et la beauté de la grâce fixée. Qu’y a-t-il donc de plus impalpable, de plus mouvant et insaisissable que la beauté ? Nous voyons ici la pensée sinuer, se faire serpentine, se propager d’un auteur à l’autre, dans le temps et les espaces. Comment manifester les transformations du monde, ces transformations si difficilement saisissables ? Comment une ligne serpentine en vient-elle à matérialiser le mouvant et la matière ? Comment incarne-t-elle à la fois un pur tracé, une abstraction, un mouvement, des flux, des fluides ? Comment en somme cette ligne capte l’intensité de l’impalpable, de ce qui glisse sous les doigts et se laisse peu saisir pour s’inscrire dans la matière et devenir image ? Quelques exemples permettent d’éclairer cette proposition.
Capelli neri… un soffio12 est un ensemble de treize dessins de format 21×29,7 cm exécutés à la mine graphite et frottage, numérotés de 1 à 13. Une inscription en italien chaque fois différente13 y apparaît. Prenant naissance au bas de la page prise à l’horizontale, les dessins fixent un instant simulant le vent : un mouvement, un souffle, une gerbe, une mèche de cheveux. Bien que tous réalisés de la même façon, les dessins se chargent d’un sens, ou plutôt acquièrent un éclairage différent, grâce à cette ligne de texte, petite phrase nominale que l’on pourrait lire comme l’un des vers d’une poésie. Car l’ensemble, rappelons-le, est indissociable et doit être compris comme un cycle qui débute par Capelli neri… un soffio – 1 et se clôt par Capelli neri… un soffio – 13. Des cheveux noirs… un souffle apparaît comme un programme que les points de suspension du titre suggèrent. Dans cet espace qui sépare les deux dessins, comme dans l’espace présent au sein même du titre, s’étendent onze autres dessins et sous-titres qui développent le dispositif mis en œuvre par Giuseppe Penone. La présentation choisie par le Centre Pompidou14 à l’occasion de l’exposition de la donation de dessins faite par l’artiste joue sur cet étirement dans l’espace, comme une ligne d’horizon posée à hauteur de regard. La lecture de l’ensemble est donc orientée de gauche à droite. Pourtant, au sein même de cette bande constituée par les dessins encadrés, c’est une longue ondulation, une ligne serpentine suggérée qui suit le mouvement interne de chaque dessin.
[Figure 2]Les variations subtiles alimentent leur lecture. Ricordi nel vento, par exemple, est occupé au quatre cinquième par le frottage de la mine graphite et laisse dans la partie supérieure une bande de quelques centimètres où est inscrit le titre en italien à la main. Le frottage est intense, les traces horizontales sont constituées de gestes épais superposés et juxtaposés les uns aux autres. Parfois les lignes serpentines apparaissent lorsque la mine rencontre la fine épaisseur de la mèche de cheveux qui se trouve sous la feuille, parfois c’est dans la reprise dessinée que l’artiste fait après-coup. Tout d’abord il y a un jeu avec la technique de l’empreinte que Giuseppe Penone s’est appropriée, puis il y a ce dont il fait l’empreinte, or, c’est certainement dans cette articulation que semble se placer l’un des aspects d’une nouvelle émanation de la grâce. Entre frottage, empreinte et graphie, les gestes de Giuseppe Penone semblent dissimuler dans leur fluence, à la croisée de la nonchalance iconoclaste et de la poésie du hasard de pures émanations de grâce. Cette liaison sensible, cette unité entre texte et images qui se répondent, s’interrogent, se démontrent, nous la retrouvons aussi chez Léonard de Vinci, dans cette même élégance presque absconse où l’écriture fait dessin, essaimant dans son sillage sens et reflux. Penone attrape d’un cheveu une lettre, n’en fait qu’une ligne, l’abandonne plus loin, d’un souffle, dans un hors champ. Puis il saisit une autre mèche qui, serpentine, dessine courbes contre d’autres courbes dans le vide d’une brume que venait à peine d’épandre le graphite de la mine. Elle y devient flux et s’écrit dans un unique délié. Le cheveu abstrait, impalpable fil d’un écheveau de vents, les dessins effrangés des émanations graphiques, saisissent les strates d’instants qu’arrangent en treize bouquets les gestes traversés de présences énigmatiques.
Dans le Traité de la peinture de Léonard de Vinci nous trouvons en effet des réflexions sur la comparaison entre eau et cheveux qui mettent en leur centre la similarité des mouvements à l’instar des propositions penoniennes.
« Observe le mouvement de la surface de l’eau, comme il ressemble à la chevelure, qui a deux mouvements, dont l’un vient du poids des cheveux, l’autre des courbes des boucles. Ainsi l’eau a ses boucles tourbillonnantes, dont une partie suit l’élan du courant principal, et l’autre obéit à un mouvement d’incidence et de réflexion15. »
L’observation de Léonard le conduit à constater une similitude des formes et des comportements entre l’eau et les cheveux. Les carnets de Léonard – Institut de France (cliquer sur le lien pour voir l’image) permettent d’observer quelques réflexions dessinées de Léonard (cliquer sur le lien pour accéder au dessin. Il distingue différents types de mouvements que dessine l’énergie sur la matière – les « boucles tourbillonnantes » et les ondulations – et si l’on relit ces quelques lignes en dehors de tout contexte, elles pourraient sembler tout particulièrement liée à l’œuvre de Giuseppe Penone.
Une pensée teintée d’Orient
Il y a donc aussi grâce, inspiration, respiration, vent, souffle et tourbillon chez Penone, le pneuma mais aussi l’inspiration poétique, la respiration poïétique. Tout est fluide…fluide du corps et de la terre, vents et eaux, air et sève. Inspirer, expirer, respirer, insuffler, souffler, souffle. Parfois apparaissent puis s’absentent pour de nouveau paraître, juste à peine plus loin, les empreintes de la mèche initiale qui deviennent des suggestions végétales et enfoncent notre regard dans la brume d’une encre venue d’Asie. En effet, l’idée de transformation, de métamorphose, n’est pas sans évoquer le cœur de la pensée chinoise. Dans Vivre de paysage, François Jullien explique :
« Or la Chine nous met devant une tout autre entrée de ce que nous appelons « paysage », en Europe. Elle tranche radicalement avec ce sémantisme de l’étendue, de la vue et de la découpe. Elle dit « montagne (s) – eaux (x) », shan shui ; ou « montagne(s) – rivière(s) », shan chuan. Le terme date de l’Antiquité, mais vaut tout autant aujourd’hui en chinois moderne. Il n’a pas été remplacé, n’a jamais subi d’altération, même au contact de la pensée européenne, ne s’est pas usé16 ».
Le paysage n’est donc pas pensé comme une vue, une étendue, une portion ou tout autre processus intellectuel qui découpe, mais comme une relation entre des opposés que sont l’eau et les montagnes. L’éclairage que donne le sinologue de la conception chinoise du paysage est aussi pertinent en regard de l’œuvre de Léonard Vinci. Daniel Arasse dans l’un des entretiens « Histoires de peintures » diffusés sur France culture évoquait la similarité des recherches du grand peintre et de la pensée chinoise17. Il étaye son propos en s’appuyant particulièrement sur le tout premier paysage connu de l’artiste : La vallée de l’Arno18 daté du 5 août 1473. Dans cet entretien il émet l’hypothèse que : « ce qui l’intéressait était au premier plan, le rocher et l’eau, c’est-à-dire, le stable et le mouvant, et la rencontre des deux, et le fait que le stable même (le rocher) n’est que le résultat d’un mouvement infini et indéfini du monde. Ce qui intéresse Léonard de Vinci c’est le mouvement […] et la grâce c’est le mouvement. Le monde n’est que mouvement et les formes fixes sont des conventions. […] Il y a une relation absolument aberrante avec la peinture ou pensée chinoise. C’est la récurrence chez Léonard de l’opposition entre l’eau et le rocher qui est au cœur de la peinture chinoise. Un autre écho, c’est la conception même du moi. […] Ce que l’on peut deviner dans les milliers de pages et anecdotes qu’il écrit, c’est que le moi est un passage. Le moi est une porte. Il dit : “le peintre n’est que le lieu de passage d’une création divine” et c’est une pensée absolument chinoise. […] Ce qui m’intéresse, c’est l’étrange écho entre une singularité absolue de l’art occidental qu’est Léonard – une sorte de modèle, de symbole – et quelque chose qui curieusement évoque la Chine19. »
Le Paysage de la vallée de l’Arno ( cliquer sur le lien pour accéder à l’image Catalogue 8 P r. – Paysage – de Léonard de Vinci – Progetto Euploos (uffizi.it)) concentre nombre des préoccupations de Léonard de Vinci : les roches, la montagne, l’eau, le végétal. Plus exactement, les circulations entre les différents éléments qui créent à la fois harmonie et équilibre. Comme le constate toujours Daniel Arasse dans le même entretien, ce paysage n’existe pas, c’est une recréation ultérieure qui joue de tensions et de rythmes inscrits entre roches et eaux. Deux éléments que François Jullien qualifie de « pôles » :
« De ce qui va s’ouvrant entre les pôles, d’où vient le monde (comme on parle de polarité dans le domaine du physique ou de l’organique), il revient en effet au paysage – « montagne(s) » – « eau(s) » – à la fois de le rassembler, de le condenser et de le faire émerger au sein du sensible : entre Haut et Bas, l’immobile et l’ondoyant, l’opaque et le transparent, le massif et le fluide ou bien encore le vu et l’entendu20 ».
La grâce apparait bien comme force de cohérence des éléments entre ces pôles. Montagne, rochers, eau, vent et autres fluides interagissent et se complètent, se tiennent ensemble, physiquement et symboliquement. À l’instar des œuvres de Léonard de Vinci, bien des œuvres de Giuseppe Penone mettent en jeu cette tension dont les polarités ne sont pas sans évoquer les polarités des principes complémentaire du Yin et du Yang, du féminin et du masculin. Les objets ne sont finalement pas des objets célibataires mais bien pris dans des tensions qui ouvrent des mondes riches de vie et dont la consistance se révèle dans les flux de grâce qui opèrent nombre de métamorphoses.
Citer cet article
Laurence Gossart, « « Entre » Léonard de Vinci et Giuseppe Penone : la grâce comme consistance du monde », [Plastik] : Et si la consistance du monde ne nous était pas donnée ? #13 [en ligne], mis en ligne le 21 décembre 2023, consulté le 21 novembre 2024. URL : https://plastik.univ-paris1.fr/2023/12/21/entre-leonard-de-vinci-et-giuseppe-penone-la-grace-comme-consistance-du-monde/